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Après le morcellement initial, qui a été particulièrement marqué par la présence des acheteurs japonais, s’amorce, à partir de 1965, un processus de reconcentration des terres. José Mendes Netto, Euclides Honório, Martinez de Mello ainsi que d’autres personnages liés au grillonage Frades, sont cités par Sader (op.cit.) pour avoir fondé plusieurs projets agro-pastoraux financés par la Sudam : en 1968, huit

propriétaires réunissent leurs glebas, au nombre de onze, à cheval sur les fazendas Frades et Campo Alegre, et forment la Sociedade AgroPastoril e Industrial Tocantins, totalisant une surface de 69 938 ha.

La figure n° 4 concorde avec cette citation, et en effet, selon notre relevé, huit propriétés ont en effet été incorporées pour former la Sociedade AgroPastoril e Industrial Tocantins. Celles-ci appartenaient à Raimundo Ribeira Bastos, Oreste Borges de Freitas, Katsuichi Tanimoto et Nelson Tadahira, Tetsuo Osashi, Tokusabbo Koga, Koji Tanimoto et Akira Katayoma, ainsi qu’une propriété commune à trois autres agriculteurs japonais, mais plus qu’une entente, ces opérations suggèrent un rachat pur et simple des terres.

L’offre d’aides fiscales et de crédits a été un autre aspect politique de la course des entreprises sur la frontière, notamment par le biais de la Sudam, créée en 1967. En combinant les différentes offres, une entreprise pouvait commencer avec un apport initial correspondant seulement à 25% de l’investissement total, et la terre constituait une forme d’apport. De cette manière, les projets agropastoraux ont constitué d’excellents prétextes, non seulement pour l’acquisition d’immenses propriétés, mais aussi pour obtenir des crédits qui allaient pouvoir être appliqués ailleurs (Sawyer, 1984 : 23).

En 1967, la Compagnie Industrial Do Araguaia (CIDA), installée sur les terres de Martinez de Mello, recevait son crédit de la Sudam et occupait 50 000 ha sur la Fazenda Frades, tandis qu’en 1970, ce fut au tour de la Imperatriz Pecuária Industrial, appartenant à Sebastião Netto, fils et acolyte de João Mendes Netto, qui était, selon Zeca Preto le vrai maître de la Campo Alegre.

A travers tous ces témoignages émanant de sources diverses, bien que les noms des personnages se recoupent parfaitement, l’enchaînement des événements est flou, les dates des transactions immobilières se superposent et les rôles des promoteurs se confondent souvent. Selon Sader,

l’ensemble des faits laissent à penser que l’opération de grillonage n’a pas débuté en 1960, avec l’ouverture de la Belém-Brasília, mais plutôt dans la seconde moitié de la décennie, après la création de la Sudam. Les dates des registres ne veulent rien dire, et attestent seulement d’un effort immense pour obtenir les financements.

Cela expliquerait l’assertion d’Asselin (op. cit.), pour qui Campo Alegre et Frades sont deux

grillonages contigus, conçus par José Mendes Neto et son fils Sebastião Geraldo Neto, qui se sont liés à Abílio Monteiro da Rocha pour effectuer les falsifications ( :38).

En ce sens, un des acteurs n’apparaissant qu’en bout de chaîne (en son nom propre José Mendes Netto, puis à travers ses entreprises – Citronorte et Imperatriz Pecuária) serait en réalité un des promoteurs de l’opération.

Quels sens doit-on alors attribuer aux morcellements successifs, si ceux-ci sont le fait des acteurs présents aux deux bouts de chaîne, et que ceux-ci opèrent eux-même la reconcentration des propriétés ?

Droulers et Le Tourneau (2005) trouvent l’explication de cette stratégie de morcellement / reconcentration dans des raisons d’ordre fiscal :

on les voit ainsi réaliser de très nombreuses écritures de vente et d’achat sur les mêmes parcelles. Typiquement, celles-ci sont achetées en association avec un partenaire qui revend peu de temps après (parfois à la même date !) sa moitié des acquisitions ( : 183)

On comprend ainsi mieux l’association entre Dirceu et Abílio, ainsi que la revente des terres de Dirceu à Abílio, un an à peine après l’achat en commun. On remarque également le calendrier très resserré des premières transactions opérées par Abílio : entre février et novembre 1960, la presque totalité de ses terres sont revendues.

Parfois les terres sont rachetées par des entreprises (dont nous savons au moins pour une partie d’entre elles qu’elles appartiennent au même propriétaire) puis réenregistrées au nom du particulier quelques temps plus tard (idem, ibidem).

Dans le cas de la Campo Alegre, le phénomène prend la forme inverse, mais aboutit au même résultat : de très nombreuses fazendas sont formées à partir du démembrement de la propriété initiale, portant le nom de particuliers. Par la suite, elles passent au nom de l’entreprise. Par exemple, les terres de la Citronorte et l’Imperatriz Pecuária ont d’abord été enregistrées au nom de leur propriétaire, José Mendes Netto, avant de passer au nom de deux entreprises distinctes.

Chapitre III – Régularisation foncière : de la posse à l’usufruit collectif

( 193 )

De même pour l’entreprise AgroPastoril. Un premier mouvement de concentration est opéré par Raimundo Ribeira Bastos, qui rachète les plus petites propriétés de la zone convoitée. La propriété ainsi formée et à son nom est incorporée le même jour au patrimoine de la Sociedade AgroPastoril, de même que d’autres propriétés au nom de particuliers (tous japonais), pour un total de 27 588 ha. Notons que ces transactions ont éte enregistrées le même jour, le 1er mars 1968, ce qui atteste pour le moins d’une entente entre l’individu Bastos et les entrepreneurs.

Les Japonais ont-ils réellement occupé la zone ou s’agissait-il de laranjas, des prête-noms ? L’activité notariale est bien réelle, mais reflète-t-elles des opérations réelles ou inventées de toutes pièces par les grilloneurs ?

Quoi qu’il en soit, les entreprises se sont installées bien plus comme des négociants de la terre que

comme des unités de production (Sawyer, 1984 : 22), les transactions foncières constituent plus un

placement foncier qu’un investissement productif, ce qui est classique de cette période d’ouverture de l’Amazonie brésilienne. Néanmoins, leur impact sur la zone s'observe certes au niveau des écritures foncières, mais certaines d’entres elles, comme la CIDA, vont marquer la région de leur empreinte, bien au-delà de l’impact qu’elles ont réellement eu sur le marché.

La réalité de la concentration foncière est indéniable, en dépit du morcellement des propriétés : les fazendas Frades et Campo Alegre était presque complètement aux mains de la famille Netto, au nom du père (João) ou du fils (Sebastião), ou par le jeu des entreprises rurales (Citronorte, Imperatriz Pecuária), qui pour des raisons fiscales, ne sont pas rassemblées en une seule propriété.

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