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En 1952, les experts chargés d’organiser l’industrialisation du babaçu font le constat d’une faible densité de population et d’une forte mobilité dans la région où le babaçu est naturellement le plus florissant ; ils établissent alors logiquement un rapprochement entre la valorisation de la ressource et l’organisation du peuplement (Brasil, 1952 ; Pereira, 1975). Ils envisagent ainsi que la production d’amande pourra s’intensifier à des coûts raisonnables grâce à l’installation de petits colons sur les terres publiques de la région géo-économique dans laquelle la présence de babaçu a été relevée comme la plus significative (vallées de l’Itapecuru, du Mearim/Pindaré et du Parnaíba) (Brasil, 1952 ; Valverde, 1957). Les premiers projets, modestes, prévoient d’installer en 5 ans 9 000 familles « provenant du Ceará et des Etats voisins » sur des lots de 10 ha. Au terme de la cinquième année, la production de babaçu devrait avoir doublé par rapport à 1952.

Cet exemple, relativement marginal, fait écho à une forme d’action déjà expérimentée par le gouvernement fédéral dans le but d’intégrer et contrôler les territoires vides de la nation brésilienne. La première initiative de fixer les migrants et de guider la colonisation agricole vient de Getúlio Vargas qui met en place, en 1941, le système de Colônia Agrícola Nacional (CAN). Le Maranhão accueillit une des six expériences de colonisation agricole dans le municipe de Barra do Corda, où 340 000 ha de terres furent « cédées » par l’Etat du Maranhão au Gouvernement fédéral pour installer 2 000 famílias. Le projet de colonisation de Barra do Corda fut un échec pour des raisons à la fois géographiques – liées au peu de connaissance de la réelle occupation de la zone ainsi qu’au conflit persistant avec les indiens – et conjoncturelles car l’économie maranhense entrait dans processus de deterioration. Les autres expériences de CAN conduites sur des terres moins occupées (par exemple Dourados (Mato Grosso do Sul), 8 000 colons et Ceres (Tocantins), 4 000 colons) se sont conclues avec plus de succès (Droulers, Nasuti et De Biaggi, 2010)

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

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Les projets de lotissement agricoles du GEB ont été lancés en 1952 de façon expérimentale pour soutenir la production de babaçu. Le premier à São Lourenço do Ipixuna (Alto Mearim) s’est heurté aux imbroglios administratifs et n’a pas dépassé le stade du papier tandis que le second, effectivement mis en place, à nouveau à Barra do Corda, a été géré par l’absurdité. Après que le périmètre du nouveau « Noyau de Colonisation » a été délimité (par avion !), les posseiros qui occupaient déjà la zone ont été expulsés ! Or l’approvisionnement en riz de la ville de Barra do Corda dépendait de ces agriculteurs. L’arrêt de la production, lié au départ des producteurs, a alors entraîné une pénurie de riz dans la ville, tandis que le projet, qui avançait lentement, est progressivement tombé « dans le discrédit total et dans l’abandon » (Vargas, 1953 ; Valverde, 1957). Pourquoi fallait-il remplacer les occupants, n’auraient-ils pas fait l’affaire ? Fallait-il des colons japonais ou des cearenses, qui échappent aux préjugés érigés contre l’indolence et l’inaptitude de homme rural maranhense ?

D’autres initiatives, de plus petite amplitude, ont préfiguré une volonté plus ample de planification du peuplement.

Le premier grand projet de colonisation du Maranhão a été mené sous la houlette de la Sudene (Superintendance du Développement du Nordeste, qui planifie le développement de la totalité de l’Etat ainsi que des huit autres Etats nordestins). La distribution des colons nordestins dans un Maranhão où les terres libres abondent et où le climat humide est plus propice semble la solution la mieux à même de réduire les tensions dans les régions souffrant de la sécheresse.

Donc, avec des problèmes écologiques bien différents, le Maranhão a été intégré à la planification régionale du Nordeste brésilien avec la vocation partiulière d’accueillir les paysans nordestins sans terre et de ravitailler en riz les villes du Nordeste (Droulers, 1979).

En 1961, le GIPM (Groupe Interdépartemental de Peuplement du Maranhão) est créé spécialement pour étudier cette question, avant d’être transformé en 1965 en PCAT (Projet de Colonisation du Haut-Turi). Ce projet, situé dans le nord-ouest de l’Etat, indique à la fois le passage à une phase

opérationnelle [de la colonisation] et la décision de concentrer les efforts sur la partie septentrionale de la Pré-Amazonie du Maranhão (Bitoun, 1980).

Cette opération colossale, inspirée d’un modèle israélien de colonisation circulaire, prévoit d’établir en cinq ans 40 000 familles (25 000 agriculteurs et 15 000 colons des secteurs secondaires et tertiaires) sur une superficie de 30 000 km², située sur le cours supérieur du fleuve Turiaçu (Droulers, 1979) (carte n° 4).

Cependant, les autorités sont rapidement dépassées par le nombre de familles arrivées spontanément avec l’espoir d’obtenir un lot au sein du projet. En 1972, la gestion en est transférée à l’entreprise Colone (Compagnie de Colonisation du Nordeste), tandis que le projet lui-même a été reformulé pour fixer 5 200 familles autour d’un modèle agricole associant pâturages (sur 85% du lot), vergers, cultures permanentes et de subsistance. En 1974, ce sont près de 11 000 familles qui se sont installées sur place, mais seulement 7% des terres sont légitimement attribuées, le reste est approprié par des titres irréguliers (7%) ou occupé par des posseiros mal connus. En somme, les 2/3

des occupants sont des paysans semi-marginaux itinérants, sans terre, sans lot, sans technique

(Droulers, 1979). On est donc loin du modèle agricole prévu pour subvenir aux besoins alimentaires des villes nordestines, mais l’intensité croissante des déboisements atteste de la vigueur de l’occupation du nord-ouest maranhense. Néanmoins, ce projet reste celui ayant réussi à installer le

plus grand nombre de colons, et contribue à alimenter la frontière agricole qui avance en direction du Pará (carte n° 4).

Au début des années soixante-dix, une nouvelle grande opération de colonisation en Pré-Amazonie est lancée par le Gouvernement du Maranhão. Celle-ci est dirigée par la Compagnie Maranhense de Colonisation (Comarco, créée en 1971) avec l’objectif d’harmoniser le processus d’occupation des terres publiques le long de la BR-222 sur près de 2 millions d’hectares (Meireles, 1980). L’opération envisage à la fois la régularisation foncière des posseiros, mais aussi l’installation de familles de petits paysans (sur des lots de 50 ha) ainsi que la vente de lopins à de grandes et moyennes entreprises agro-pastorales (lots de 10 000 à 50 000 ha). A l’imitation de l’expérience de la Colone, la Comarco est une société anonyme d’économie mixte : on suppose alors le modèle entrepreneurial plus efficace pour assurer le succès du projet à court terme (Asselin, 1982).

L’action de la Comarco a été très controversée : accusée d’expulser les posseiros à la faveur des entrepreneurs du Sud, la zone sous la juridiction de la Comarco se confond avec celle de l’affaire de la Fazenda Pindaré, pour laquelle cette institution a été accusée d’émettre des titres frauduleux (Sader, 1986). De fait, les actions de planification achoppent sur un phénomène d’appropriation frauduleuse des terres [grilagem], caractéristique du processus amazonien d’appropriation des terres. En 1976, le procès de la Fazenda Pindaré – qui recouvre près de la moitié de la zone que la Comarco souhaitait régulariser – entraîne un véritable imbroglio juridique quant au statut des terres, faisant reculer le Gouverneur de l’Etat (Droulers et Nasuti, 2009). La Comarco sera désactivée en 1979, remplacée par la Coterma (Compagnie des Terres du Maranhão), qui opérera sur l’ensemble de l’Etat.

Ces échecs permettent d’illustrer plusieurs points. Tout d’abord, on constate que la vision théorique de la planification modelée dans les cabinets achoppe toujours sur le « principe de réalité »: tout d’abord, les institutions de gestion ont du mal à faire face aux flux de colons en demande de terre. Ensuite, les familles, très mobiles, sans titre de propriété légaux, souvent analphètes, ont du mal à s’encadrer dans les procédures de régularisation foncière et ne les recherchent pas toujours. Enfin, l’échec de la colonisation du GEB affirme la méconnaissance des aménageurs sur les dynamiques locales, et notamment sur la relation existant entre l’approvisionnement des villes et l’agriculture de « subsistance ».

A cela s’ajoute le manque de connaissance géographique des régions que l’on prétend occuper : de nombreuses cartes répètent les incertitudes, particulièrement en ce qui concerne l’occupation humaine, étant donné que la localisation des villages et l’organisation des activités étaient mal connues ; les limites sont fausses, contradictoires et sommaires. L’immensité des terres publiques, grossièrement délimitées, est souvent assimilée à des terres inoccupées entraînant sur place des conflits avec les posseiros et les populations indigènes. Par exemple, l’expérience de colonisation de Barra do Corda a été renouvelée trente ans plus tard, cette fois-ci par le bras de l’Incra qui a installé le Projet Integré de Colonização (PIC) pour établir des agriculteurs sans terre, alors même que le problème de délimitation avec les terres des indiens Guajajáras subsistait. Ces derniers, au final, ont recupéré en 1991 une terre indigène de 137 329 ha, Cana Brava, qui accueille 3 400 habitants (Coelho, 2002 ; PIB, 2009).

2. L’avancée spontanée des petits colons

Depuis l’Indépendance, la population du Maranhão a toujours representé un peu plus de 3% de la population du Brésil13 et pourtant cet Etat a été au centre d’une intense activité migratoire, accueillant des migrants nordestins à la recherche de terres fertiles à mettre en culture, rejetant des migrants maranhenses aux mêmes objectifs. Par étapes et générations, les migrants ont contourné les confins forestiers passant des rives du Parnaíba à celles du Tocantins, avant de s’avancer dans la grande forêt. Le mouvement de peuplement a ainsi suivi trois axes de pénétration, présentés sur la carte n° 2.

A la fin des années cinquante, la migration nordestine augmente massivement, apparemment précipitée par la grande sécheresse de 1958-1959 (IBGE, 1983), puis s’intensifie significativement au cours des décennies 1960 et 1970. Ces migrants sont des paysans sans terre, essentiellement originaires du Piauí, du Ceará ou eux-même maranhenses, posseiros qui tentent de fuir leur condition de métayers précaires, cherchant à s’installer sur des terres publiques [terras devolutas].

Ces mouvements, rendus possibles par l’ouverture des axes routiers et attisés par les projets de colonisation, sont à l’origine de la formation d’une frontière agricole extensive d’occupation spontanée dans l’ouest de l’Etat, dans les vallées des fleuves Tocantins, Pindaré, Turi-Açu et Grajaú (carte n° 4), considérée comme une des zones de frontière agricole les plus actives de l’époque (Jatobá, 1978).

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