• Aucun résultat trouvé

De tous les usages possibles du palmier de babaçu, l’extraction de l’amande est l’activité la plus emblématique, d’une part car c’est elle qui a la plus grande réalité commerciale, mais aussi parce qu’elle repose sur une technique de casse spécifique. L’amande extraite de la noix est transformée en huile par les usines locales, dont l’approvisionnement dépend de l’effort de collecte et de casse des familles rurales.

La collecte et la casse de la noix de babaçu peut se réaliser de diverses façons, qui peuvent impliquer les hommes mais demeure généralement l’apanage des femmes et des enfants, qui accompagnent leurs mères à partir de 6 ou 7 ans. Seules ou en groupe, ces activités s’effectuent en complément des activités domestiques, les noix sont collectées dans les champs puis cassées sur place ou ramenées à la maison. La casse de l’amande est aujourd’hui encore essentiellement manuelle, qui s’effectue assise à même le sol., dans une position caractéristique des jambes : l’une tendue, l’autre est recourbée pour soutenir la hache, dont le tranchant est orienté vers le haut (photo n° 4). La noix est posée sur le fil de la hache, et y est frappée de façon répétitive à l’aide d’un gourdin en bois. La noix est cassée en huit, les coups se font plus ou moins forts selon l’objectif : casser la noix ou dégager l’amande. Outre la dextérité et la force, les femmes doivent également acquérir la connaissance des fruits et des palmiers, afin de reconnaître les noix les mieux adaptées aux usages : une noix contenant des grosses amandes est souvent pauvre en mésocarpe (et vice-versa), une noix sèche contient des larves, mais son amande se décolle mieux… C’est toute une « culture technique » qui se matérialise par ces gestes périlleux. Une casseuse moyenne va extraire 4 à 7 kilos d’amandes par jour, ce qui équivaut à ouvrir entre 260 et 460 noix.

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

( 39 )

b. L’empreinte du babaçu dans l’économie domestique et la vie quotidienne

L’extraction des amandes s’effectue selon un système extrêmement rudimentaire de collecte commerciale. Quand le caboclo a besoin d’argent, il pénètre dans la forêt de babaçu, ou y envoie sa femme, pour regrouper des noix. Il les amoncelle devant son habitation, où les femmes et les enfants en effectuent la casse. Pour cela, ils utilisent une hache qu’ils maintiennent avec les jambes, la lame tournée vers le haut ; tandis qu’une main manœuvre la noix, en même temps, l’autre assène de forts coups avec un morceau de bois. Une fois réunie la production du jour, les caboclos vont la vendre dans le commerce le plus proche. S’ils travaillent comme métayers ou salariés, ils sont contraints de vendre leur production d’amande au propriétaire de la terre. […] Le commerçant local, à son tour, revend les amandes aux entreprises de São Luis, Parnaíba ou Teresina, qui viennent chercher la marchandise en camion

(Valverde, 1957 : 387).

Bien que cette activité demeure secondaire dans l’ordre des priorités, l’apport monétaire provenant du babaçu est conséquent et s’avère essentiel, bien que plus d’importance soit accordée aux activités agricoles aussi bien dans le temps consacré que dans la hiérarchie des activités. Néanmoins, le babaçu joue alors un rôle primordial de régulateur des revenus familiaux : une mauvaise récolte peut être compensée en consacrant plus de temps au travail du babaçu, dans la mesure où la vente de l’amande génère un revenu monétaire immédiat permettant de pallier aux nécessités quotidiennes. Dans d’autres cas, l’achat de médicaments, ou une dépense imprévue peuvent être supportée grâce à la vente du babaçu.

Dans les années quatre-vingts, une enquête systématique par questionnaires conduite par Peter May (1990) a permis de mettre de caractériser la relation de dépendance existant entre les pratiques agricoles et le niveau économique des familles. Le constat est très instructif : le volume des amandes de babaçu dans les revenus familiaux est intimement lié au niveau du revenu provenant des autres activités. Plus le revenu familial est modeste, plus le revenu extrait du babaçu acquiert une importance relative. En d’autres termes, la vente des amandes revêt une importance croissante à mesure que la pauvreté avance ; la dépendance au revenu du babaçu traduit la vulnérabilité des familles. Vice-versa : plus d’autres options de revenus surgissent, moins les familles seront dépendantes du babaçu. Sans doute possible, cette relation vérifiée dans le Maranhão rural des années quatre-vingts était déjà vraie chez les paysans depuis au moins les années cinquante.

A part le babaçu, seul l’emploi salarié peut jouer ce rôle de « compensateur ». Sans cette ressource, les faiblesses agricoles (liées par exemple à la sécheresse) se soldent par une plus grande dépendance aux propriétaires et aux commerçants, ainsi que par un surcroît de migration (de longue durée et/ou pendulaire). En ce sens, l’association des activités agricoles et extractives est entendu comme un « mode naturel de défense » pour l’agriculteur contre les diverses pressions extérieures dont il fait l’objet (Droulers, 1978). Le travail du babaçu s’impose alors comm une condition de la sécurité et de la permanence des producteurs dans leur région d’habitation (May, 1990 ; Anderson et al., 1991).

En dépit d’une commercialisation irrégulière, dans ce monde rural, la prédominance du babaçu dans la vie quotidienne est avérée, aussi bien dans l’organisation et la réalisation des activités que dans l’alimentation, les loisirs, les paysages. Le babaçu accompagne véritablement les familles et participe à la formation d’une culture domestique. Les multiples usages du babaçu contribuent à assurer une forme d’autosuffisance aux familles, participant dans tous les domaines : alimentaires, combustible, matériel de construction, rations animales, etc.

L’étude de May (1990) a permis de recenser 38 usages domestiques (64 en incluant la transformation industrielle) (dont les plus courants sont illustrés par les photos ci-après). En effet, l’expression populaire veut que « du babaçu, rien ne se perd » [do babaçu, tudo se aproveita] : les troncs et les feuillages sont utilisés dans la construction d’habitations, de clôtures, ainsi que dans la fabrication d’artisanat domestique et artistique (paniers, chapeaux, nattes, etc.). Les fruits sont comestibles après transformation : on en extrait la farine de mésocarpe, complément alimentaire infantile ; l’amande extraite manuellement, pilée, produit un lait utilisé pour la cuisine des viandes et poissons ; torréfiée, elle fournit une huile de cuisson, qui est également utilisée dans la fabrication de savon et savonnettes. Les coques des fruits sont transformées en charbon végétal, d’une teneur en carbone supérieure aux combustibles ligneux.

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

( 41 )

2. Images paradaxoles : une nature idéalisée,

un homme pris en pitié

Alors qu’en 1970 Andrade reconnaît volontiers qu’une « civilisation du babaçu » s’est formée au Maranhão, Valverde (1957) préfère parler d’un « cycle de dépendance au babaçu ». Pereira (1975) quant à lui refuse de reconnaître que l’exploitation du babaçu soit caractéristique d’un genre de vie typique du Brésil. Indépendamment de ces différences de perception, aucun de ces auteurs ne dénomme la population rurale, qui pourtant vit du babaçu et en fait vivre l’économie, en référence à cette activité ; elle ne reçoit d’ailleurs même pas de nom précis : travailleurs ruraux, habitants, population locale, on les désigne surtout comme des caboclos. Pour être encore plus précis, une différenciation est opérée au sein de cette population, puisque les auteurs accordent grande importance à l’origine du caboclo en question, créant une dichotomie distinguant le caboclo

maranhense « simple reproducteur de son espèce, abâtardi, résigné et passif » du caboclo Nordestino (migrants du Ceará et du Piauí) « lutteur, ambitieux, orgueilleux et allant de l’avant »

(Rocha, 1997). L’insignifiant maranhense et le vaillant cearense partagent pourtant les mêmes conditions de vie misérables, la dépendance aux fazendeiros et aux marchands de babaçu (Valverde, 1957). Mais qu’ils soient du Maranhão ou d’ailleurs, ils sont tous les deux caboclos par leur condition paysanne : la terre est un moyen de survivance, auquel ils n’ont pas d’attachement particulier ; ils respectent les droits et les devoirs vis-à-vis du patron et des commerçants, ils sont dominés économiquement et sur l’espace, et l’acceptent (Sigaud, 1978).

Documents relatifs