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Ce n’est qu’à partir des années 1920 que le peuplement du cours moyen du Tocantins s’intensifie, grâce à l’exploitation des pieds d’hévéa et de noix du Brésil, ainsi qu’à la découverte de mines d’or, de diamant et de cristal de roche, donnant naissance à de petits villages, et contribuent ainsi à fixer dans la région une nouvelle vague de population (Da Matta e Laraia, 1978 ; Carvalho, 1924).

LES MIGRATIONS CONTEMPORAINES

Le peuplement des vallées du moyen Mearim remonte aux premières décennies du XXe siècle, grâce aux migrations des paysans nordestins, provenant surtout du Piauí et du Ceará, qui viennent occuper les terres libres, plus fertiles et humides que celles du sertão semi-aride. Selon Valverde (1957), après la première guerre mondiale, l’augmentation de la demande industrielle pour l’amande de babaçu aurait également joué comme facteur d’attraction pour la population migrante. Ce peuplement prend de l’ampleur au cours des années quarante dans la zone comprise entre Pedreiras et Bacabal, qui devient dans les années cinquante une zone pionnière active, entraînant le développement commercial de ces deux villes. En parallèle, cette intensification du peuplement et des activités agricoles occasionne une poussée de déboisements au cœur de la forêt, liés aux brûlis précédant la mise en culture. Ainsi, avec l’intensification des activités humaines, les paysages se transforment, laissant place à une forêt secondaire dans laquelle la présence du babaçu se renforce (Porro, 2005).

2. La forêt de babaçu, une forêt anthropique

a. Le palmier babaçu, un palmier « miracle »

Le babaçu appartient à la famille des palmiers, et au genre Orbignya, dont une vingtaine d’espèces ont été scientifiquement validées. Celles-ci se rencontrent dans l’ensemble de l’Amérique latine, du Mexique au Pérou, en Bolivie, et au Brésil. Palmier « élégant », il peut atteindre une vingtaine de mètres de hauteur, avec jusqu’à huit mètres de feuilles, orientées vers le ciel. Le babaçu ne fleurit qu’une partie de l’année, de janvier à avril. Les fruits sont récoltés jusqu’au mois d’octobre. Il s’agit de noix d’une grosseur variable, pesant en moyenne 250 grammes chacune, qui se présentent sous forme de grappes, environ six par pied, contenant chacune environ 200 noix (photo n° 2). Ces noix contiennent des amandes, principal produit commercial, dont le nombre varie entre 3 et 9 par noix (photo n° 1).

Photo 1 : Coupe longitudinale d’une noix de babaçu

L’espèce a été décrite pour la première fois à la fin du XIXe siècle, mais la taxonomie du babaçu a été à l’origine de nombreuses confusions. Aujourd’hui, il semble admis que les palmiers de babaçu se

regroupent en deux grandes familles, Orbignya phalerata et Orbignya oleifera, qui se caractérisent par des foyers de peuplement distincts. Mais les deux espèces présentent de fortes tendances à l’hybridation avec les espèces voisines, ainsi qu’une très grande variabilité morphologique. La littérature hésite parfois entre Orbignya phalerata, Orbignya martiana et Orbignya speciosa, noms qui sont en réalité des équivalents : le nom officiel (Orbignya phalerata) est celui de la première description, les autres noms s’en tenant au rang de synonymes.

Notre région d’étude (Maranhão, Piauí, nord Tocantins et est du Pará) est dominée par l’Orbignya

phalerata, qui est la variété la plus répandue et la plus significative économiquement, tandis que

l’Orbignya oleifera se concentre essentiellement dans les autres Etats (Kahn, 1986a). Photo 2 : Les âges du palmier babaçu

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La première référence aux actuelles forêts de palmiers de babaçu, extensives et monospécifiques, dans la région du Maranhão, se rencontre dans une œuvre de 1820, citée par Abreu (1928), où il est indiqué que les actuelles forêts denses de babaçu ont surgi uniquement après le déclin du cycle de la canne-à-sucre.

[...]

Les plantations de coton étaient établies selon un modèle continu de rotation, pénétrant chaque fois plus à l’intérieur des terres les plus hautes, et se distanciant des cours d’eau qui orientaient l’occupation initiale à mesure qu’ils s’épuisaient. Les terres abandonnées étaient alors occupées par les palmiers de babaçu (May, 1990 : 58).

A l’origine, le babaçu était naturellement présent dans les forêts maranhenses, mais il n’a pas toujours occupé une surface aussi étendue, et les forêts pures qui suscitaient l’admiration des voyageurs n’existaient pas. C’est avec l’intensification du peuplement humain que le babaçual a pris corps dans les paysages du Maranhão, d’abord dans les zones de Cerrado, puis de la Baixada, sur l’île de São Luis et postérieurement dans la région des Cocais et enfin dans la Pré-Amazonie (Amaral Filho, 1993). Ainsi, à partir de la carte n° 3, on remarque que la répartition des forêts de babaçu coïncide avec les zones de peuplement. Trois grands pôles producteurs de babaçu sont reconnus, dans lesquels les paysages se caractérisent par un peuplement végétal dense : le long de la vallée du fleuve Itapecuru (Caxias, Codó), dans la vallée des fleuves Mearim et Pindaré, où les villes de Pedreiras et Bacabal, dont la formation remonte aux années vingt, sont peuplées à 80% de migrants originaires du Ceará et du Piauí. Enfin, la vallée du Parnaíba, où une fine bande (estimée par Valverde, 1957, à 40 kms de large) accompagne le lit du fleuve.

On remarque également trois régions de production secondaire, dans lesquelles le peuplement est un peu plus épars : le Golfe maranhense, cours supérieurs des fleuves Parnaíba, Itapecuru, Mearim ; le nord-est de l’état.

Retenons également de cette carte, établie « à dire d’expert » par Valverde (1957), que ces zones ne correspondent pas avec exactitude aux aires de concentration naturelle du babaçu. Car d’une façon générale la méconnaissance prévaut quant à la localisation et l’extension des forêts de babaçu, comme l’illustrent ces trois citations :

On a également vu affirmer que les forêts exploitables de babaçu couvrent au moins le quart du territoire national (Vargas, 1953).

Les estimations, affirmées sans réel fondement, varient entre 1 et 14 milliards de pieds de babaçu, selon l’imagination plus ou moins fertile de ceux qui les proposent (Valverde, 1957).

Dénommée « zona dos Cocais », cette région comprend l’ensemble des Etats du Maranhão, du Piauí et le nord de la Vallée do Tocantins (au dessus du 10ème parallèle) à la confluence avec le fleuve Araguaia (Brasil, 1952)

Certaines régions, comme la région tocantina, difficiles d’accès, n’ont que peu été explorées, et ne sont pas exploitées car à cette époque encore très peu peuplées. La production commence à y gagner en importance dans les années soixante-dix, avec l’accroissement de la population. Il convient à ce propos de souligner que la présence des babaçuais découle de la présence humaine, et non l’inverse. Le peuplement ne s’oriente pas vers les palmeraies, il les précède et les produit.

Au cours des trois dernières décennies, en raison de l’ouverture de pâturages et de champs, le babaçu est devenu l’une des espèces dominantes dans les forêts secondaires de la frontière orientale de l’Amazonie.

Carte 3 : Distribution de la population et extension des forêts de babaçu en 1950 au Maranhão

b. La « babaçualisation »

La diffusion du babaçu est liée à l’anthropisation et aux dérangements de l’ordre naturel découlant de la présence humaine (Kahn et Moussa, 1997). Plante adventice et colonisatrice, lorsque le babaçu est présent dans la forêt primaire, sa structure de peuplement y est relativement stable, l’espèce n’est pas surreprésentée par rapport aux autres et présente une proportion équivalente d’individus de tous âges (Grogan et Galvão, 2006). A ce stade, la couverture effective du babaçu correspond en moyenne à 20% de l’ensemble et côtoie en bon voisinage les autres espèces forestières, mais le babaçu tend à dominer la végétation lorsque ces forêts primaires sont coupées et brûlées par l’agriculture itinérante. La capacité de domination du babaçu dans le paysage post-déforestation n’est pas due à une croissance rapide, mais à son extraordinaire capacité de résistance : les plantules et les jeunes pieds résistent au feu et sont capables de se régénérer après une coupe. Cette plante

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présente en effet une remarquable réadaptation aux perturbations anthropiques qui viennent bouleverser I‘équilibre du milieu, à la suite desquels le babaçu est prédisposé pour coloniser l’espace (Foresta, 1995).

Le peuplement du babaçu consiste en une population à deux strates : la strate supérieure est formée de palmiers adultes, et la strate basse est composée de jeunes plants et de petits palmiers [pindovas]. Les graines et les jeunes plants, disséminés par les rongeurs, sont extrêmement vivaces : ils peuvent survivre sous terre ou dans l’ombre des autres espèces pendant de nombreuses années, ce qui permet de constituer des stocks importants de graines et plantules, qui prolifèrent lorsque des conditions propices à leur développement apparaissent (Kahn, 1986a).

Une fois atteint l’âge adulte, le palmier de babaçu se singularise par une exceptionnelle capacité de résistance, et survit même au feu. Cela signifie qu’après les brûlis caractéristiques des régions pionnières pour l'ouverture de pâturages ou de champs, dans un premier temps, le babaçu demeure souvent le seul symbole de végétation témoignant encore d'une présence forestière (Embrapa). Les palmiers adultes vont alors survivre tandis que les espèces avec lesquelles le babaçu entre normalement en compétition sont éliminées. D’autre part, les plantules qui étaient en stand-by peuvent se développer grâce à l’excédent de lumière et d’espace.

Le babaçu tend à devenir une espèce dominante après un déboisement en raison d’un mode de germination cryptogénique (caché) : le méristème apical peut demeurer sous terre pendant plusieurs années jusqu’à ce que la tige apparaisse. S’il demeure la seule espèce présente, en l’absence de concurrence avec les autres espèces et grâce au surcroît de lumière, les plants restés sous terre peuvent se développer.

En conséquence, dans les paysages récemment déforestés, dans lesquels le babaçu était présent à l’état naturel, mais dans des proportions normales, on peut observer au bout d’un certain nombre d’années une reconquête presque complète de l’espace par le babaçu.Tout d’abord parce que cette forme d’adaptation permet aux jeunes palmiers de survivre aux abattis et aux brûlis associés à l’agriculture itinérante. Libérés de la compétition lors de la période de jachère, les palmiers croissent et forment des groupements de forte densité (May, 1990). En outre, le babaçu est une espèce adventice, qui colonise l’espace et envahit les niveaux inférieurs de la forêt (Kahn, 1986b). En une petite dizaine d’années, cette espèce aura presque entièrement recouvert l’espace en question : des tests effectués ont mis à jour le cycle de domination du babaçu sur les autres espèces (graphique n° 1) : au bout d’un an, le babaçu recouvre 25% de la zone déboisée, 50% au bout de 7 ans et 85% au bout de 10 ans (Anderson, 1991).

Graphique 1 : Cycle de domination du babaçu sur les autres espèces végétales

Source : à partir de Anderson, May et Balick, 1991

Les paysages dominés par le babaçu se caractérisent par une abondance de jeunes pieds et quelques adultes. Si elle croît à l’état naturel, la forêt de babaçu atteint de très hautes densités (dans le Pará, Kahn (1996) a observé jusqu’à 15 000 plantules sur un demi hectare de pâturage) et forme une végétation tellement touffue qu’elle empêche le développement des autres espèces (Brasil, 1952). De plus, les babaçuais s’auto-entretiennent et sont peu sujets aux attaques d’insectes, mais en contrepartie, ils se caractérisent par une très faible biodiversité et forment des étendues quasi monospécifiques.

Les vagues successives d’adventices envahissantes présentent des effets croissants sur la fertilité du milieu, en relation avec une reconstitution de la biodiversité de plus en plus ralentie. La domination des formations végétales de la première vague est, en effet, essentiellement structurale et l’on retrouve très rapidement un nombre important d’espèces forestières ; la deuxième vague entraîne une simplification structurale avec abaissement de la canopée et donc une réduction des niches potentielles et du nombre d‘espèces allant parfois jusqu’a la monospécificité du peuplement végétal (cas des formations à Imperata) ; enfin la troisième vague correspond toujours une simplification structurale extrême associée une quasimonospécificité et à une relative stabilité temporelle des peuplements (apparition lente, de 5 à 10 ans, et irrégulière d‘autres espèces) (Foresta, 1995 : 240)

Une fois que le babaçu a capturé un site et en domine le paysage, on peut prédire que l’espèce pourra s’y maintenir indéfiniment, à moins que des coupes intentionnelles y soient effectuées de façon répétée pendant plusieurs années (au moins 10 ans) ou que d’autres espèces y soient introduites (Anderson et al., 1991). Les babaçus sont d’autant plus susceptibles de dominer l’environnement que l’activité humaine sur le paysage naturel y est intense. Même sur les sites rasés à blanc, par exemple ceux convertis au pâturage et soumis à un procédé d’abattage et de brûlage régulier, cette prédominance du babaçu persistera pendant un grand nombre d’années. L’élimination systématique des jeunes palmiers dans les pâtures et les jachères de cycle court réduit drastiquement la capacité de colonisation du babaçu, qui ne dépend plus alors que des palmiers adultes sénescents.

Pour conserver la productivité d’une population de babaçu, des pratiques de gestion sont essentielles, afin de permettre d’une part le recrutement de jeunes palmiers (Porro, 2005 : 32), mais

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aussi pour obtenir un rendement optimal : bien que peu nombreuses, les expériences confirment que la densité idéale du babaçual est comprise en 98 et 140 pieds à l’hectare, et que l’intervention humaine en améliore systématiquement la productivité (Embrapa). On voit ainsi que la sélection des palmiers à conserver/à détruire est essentielle pour gérer l’évolution d’une palmeraie de babaçu et la densité de son peuplement, faute de quoi la zone sera inexorablement reconquise et dominée par le babaçu, mais pas nécessairement productive en amandes.

Mais il ne faudrait pas prendre l'expression d'un phénomène pour le phénomène lui même : l'invasion sans précédent à laquelle nous assistons aujourd'hui dans les tropiques humides d'Afrique et d'Amérique ne traduit pas d'abord un problème spécifique dû aux adventices envahissantes ; la plupart de ces espèces, même en ce qui concerne les exotiques, existaient depuis longtemps sans manifester leur capacité d'envahissement. Leur invasion traduit d'abord et surtout un problème de gestion du milieu forestier et vient matérialiser la puissante vague de déforestation des vingt à trente dernières années

(Foresta, 1995 : 238).

Palmier colonisateur, au fur et à mesure que l’occupation des zones de frontière avance, les forêts de babaçu en accompagnent le mouvement et s’étendent, faisant du babaçu un élément prégnant dans les paysages ruraux, même dans des régions où il était quasi-inexistant lorsqu’elles étaient inoccupées. Aujourd’hui, le babaçu est présent de façon régulière jusque dans l’état du Pará (Kahn et Granville, 1992) ; selon les témoignages locaux, le municipe de São Domingos do Araguaia semble constituer aujourd’hui la ligne de frontière de sa présence.

B. LE CABOCLO, ARTISAN OU ESCLAVE DU SYSTEME DU BABAÇU ?

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