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Entre 1966 et 1985, la Sudam a financé 195 projets au Maranhão, parmi lesquels près de la moitié se concentraient entre les municipes de São Luis (54) et d’Imperatriz (51), soit entre les deux agglomérations urbaines les plus importantes et connaissant la plus grande croissance de population. São Luis s’est spécialisée dans l’industrie alimentaire (dont la production d’huile de babaçu – 11 projets), tandis que la région d’Imperatriz, où existaient encore de grandes étendues forestières, se distingue dans l’industrie du bois et de façon secondaire dans la production de riz et l’élevage bovin (tableau n° 3).

Sur le front pionnier, les entreprises forestières jouent un rôle important : elles ouvrent des pistes dans les régions encore inaccessibles, en extraient le bois de valeur qu’elles transportent par camion vers les villes, où les troncs sont débités dans les scieries locales. En introduisant des activités économiques, elles contribuent également à fixer la population. A titre indicatif, en 1977, au pic de la production de bois dans cette zone, Imperatriz aurait compté jusqu’à 300 entreprises forestières (Franklin, 2005).

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SUDAM : Superintendência de Desenvolvimento da Amazônia ; SUDENE : Superintendência do Desenvolvimento do Nordeste. Au Maranhão, en raison de sa position de transition entre le Nordeste et l’Amazonie, les juridictions de ces deux institutions se sont superposées.

Tableau 3 : Répartition des projets financés par la Sudam au Maranhão entre 1966 et 1985 SECTEUR N° TOTAL DE PROJETS MUNICIPES LES PLUS DOTES

Riziculture 60 Imperatriz (16); Pedreiras (14);

Bacabal (10); Santa Inês (10)

Industries alimentaires 36 S. Luís (24)

Industries du bois 26 Imperatriz (21)

Entreprises agropastorales 25 Imperatriz (5)

Construction civile 12 S. Luís (5)

Scieries 6 Imperatriz (6)

Industrie textile 5 S. Luís (5)

Source : Sader, 1986 à partir des données Sudam, 1985

Nombre de projets destinés à l’élevage ont également été financés par la Sudene (pour un total de 430 000 ha) et la Comarco (509 000 ha), lesquels se sont concentrés dans les microrégions du Pindaré et de l’Itapecuru (Amaral Filho, 1993). Cependant, la progression des entreprises d’élevage est d’autant plus spectaculaire qu’une part importante d’entre elles ont été implantées sans l’aide de subventions, aussi bien chez les grands que chez les petits propriétaires. Selon Fearnside (1991)

Même dans la zone la plus touchée par les programmes incitatifs (le long de la route Belém-Brasília) à l’époque glorieuse de l’action de la Sudam, seulement la moitié des défrichements ont reçu des encouragements fiscaux. Les causes de l’expansion des pâturages doivent être recherchées dans le rôle clé qu’ils jouent par rapport à la spéculation foncière (: 238).

Cette observation peut être complétée par celle de Poccard-Chapuis (2004 : 67) :

L’élevage bovin au Brésil s’est développé par et pour l’expansion des frontières agricoles, c’est à dire en fonction de l’occupation progressive du territoire et de l’incorporation de nouvelles terres dans le système productif.

En effet, alors que les procédés de déboisement se modernisent, le massif forestier constitue de moins en moins un obstacle à l’avancée des troupeaux (Valverde, 1989) ; l’Amazonie devient une région d’attraction pour les éleveurs, permettant à l’élevage brésilien de poursuivre lui aussi sa migration : outre que l’élevage extensif s’adapte parfaitement aux immenses étendues, les politiques d’incitations fiscales sont venues renforcer l’attrait des fronts pionniers amazoniens. Ainsi beaucoup

d’éleveurs ont migré vers l’Amazonie, et beaucoup de migrants en Amazonie sont devenus éleveurs

(Poccard-Chapuis, 2004). A la suite des petits colons ou des entreprises forestières, une fois la ressource sylvestre épuisée, les terres sont reconverties en domaines d’élevage. Ainsi, l’effectif de bovins s’est démultiplié dans l’ensemble du « croissant pastoral » allant de Cuiabá (Mato Grosso) jusqu’à l’océan Atlantique, occupant la frontière entre les Etats du Maranhão et du Pará. Au Maranhão, d’une façon générale, les régions dans lesquelles l’expansion de l’élevage bovin a été le plus notable sont la région des Cocais (+75,6%) et surtout de la Pré-Amazonie (+90,6%), tandis que dans l’ensemble de l’Etat la variation a été de +54,7% (voir graphique n° 3 et carte n° 4-D). Dans ces deux régions, entre 1977 et 1994, la superficie plantée en riz – synonyme de la petite agriculture – s’est réduite ou a très peu augmenté, tandis que les effectifs bovins s’y sont développés (carte n° 5).

Chapitre I – Le Maranhão dans le temps et dans l’espace

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Graphique 3 : Effectifs de bovins par mésorégion, 1975-1980 (IBGE)

Ces statistiques sont souvent interprétées comme une politique déguisée de colonisation « par la patte du boeuf », destinée à distribuer d’énormes lots fonciers entre les grandes entreprises du Sudeste, au détriment des agriculteurs les plus fragiles. Selon cette logique,

L’implantation de ces grands groupes, achetée par le gouvernement au prix d’avantages fiscaux importants, garantit une certaine stabilité sociale et politique régionale. [...] Mais il ne faut pas oublier qu’aux revenus directs de l’élevage s’ajoutait une fructueuse capitalisation foncière. Dans le mouvement d’avancée de la frontière agricole, la terre prend une valeur croissante, et le contrôle du foncier est devenu un objectif principal pour de nombreux éleveurs. Les professions d’éleveurs et les opportunités de spéculations foncières ont donc fait bon ménage (Poccard-Chapuis, 2004 : 254).

Le graphique ci-après (n° 4), composé à partir des recensements agricoles effectués par l’IBGE entre 1960 et 2007, montre de quelle manière ce processus de pastoralisation s’est répercuté sur l’occupation des terres dans la micro-région d’Impératriz.

Graphique 4 : Evolution du statut des responsables d’exploitations agricoles et de surface occupée, microrégion d’Imperatriz, de 1960 à 2006

Sur le graphique A, au premier plan, les courbes nous informent sur l’évolution du nombre d’exploitations agricoles, ainsi que sur le statut des responsables de ces exploitations entre 1960 et

2006. En arrière plan, les histogrammes présentent la composition relative des exploitants agricoles (proportion par statut). Ainsi, à Imperatriz, la poussée pionnière est continue jusqu’en 1985 : les exploitations agricoles sont de plus en plus nombreuses, et continuent de se multiplier, atteignant un maximum de 33 307 établissements ruraux, cela même si la superficie des terres occupées n’augmente plus à partir de 1980 (graphique n° 4-B). Selon l’expression, « la frontière se ferme ».

Au fur et à mesure que l’espace est occupé, le profil des arrivants évolue et la concentration foncière s’accentue, atteignant son niveau maximal en 2006. Les arrivants les plus capitalisés acquièrent rapidement le statut de propriétaire, ils s’approprient de nouvelles terres ou s’installent sur celles déjà mises en valeur par les posseiros. Les années 1975-1995 sont sur ce point des années « charnières » : alors que la population rurale continue d’augmenter, son statut sur les terres se modifie. Dès 1980, les propriétaires dominent 97% des terres ; la taille moyenne de leurs exploitations est alors de 170 ha – contre 7 ha pour les posseiros, dont la part diminue au profit du statut de métayer, statut-tampon entre l’accession à la propriété et la perte de la posse18. Les occupants passent de 83% en 1970 à 28% en 1985, tandis que les métayers, catégorie quasiment inexistante jusqu’en 1975 (8% des exploitants agricoles occupent ce statut), représentent, en 1980, 27% des exploitations agricoles et 40% en 1985. Ce transfert de statut, de posseiro à metayer, traduit une « précarisation » des exploitations agricoles qui passent sous l’influence d’un propriétaire terrien, qui occupent une part des terres de plus en plus élevée.

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