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Chapitre 2 – Modèle théorique

2.4 La souffrance sociale : un rapport à soi fragilisé, inversé et brisé par le déni de

travail (Honneth, 1996, 2008 ; Castel, 2009). Par conséquent, on peut aussi se demander : quelles sont leurs autres aptitudes qui sont valorisées au sein de l’espace public ? Est-ce qu’elles sont sur le marché du travail, aux études ou impliquées au sein de leur communauté ? Si oui, qu’est-ce que cela leur apporte ?

2.4 La souffrance sociale : un rapport à soi fragilisé, inversé et brisé par le déni

de reconnaissance

Pour Renault, la reconnaissance et la souffrance sociale sont directement liées. La souffrance sociale est perçue ou vécue lorsque des expériences de déni de reconnaissance sont le fruit de rapports de domination institutionnalisés. Selon Renault (2004, p. 391), « les relations intersubjectives dégradantes ou dévalorisantes produisent de la souffrance sociale lorsqu’elles sont socialement instituées. » Les souffrances freinent non seulement le développement d’un rapport à soi positif, mais fragilise, inverse ou brise ce rapport à soi. Dans ces situations, l’individu peut alors perdre des capacités qui lui permettent généralement de lutter pour maintenir ou restaurer un rapport à soi positif.

2.4.1 Définition de la souffrance sociale

La souffrance sociale est un concept polysémique et sa compréhension dépend de l’objet d’analyse (Fassin, 2004 ; Renault, 2008). Parfois, il est utilisé à des fins de compréhension des rapports sociaux de domination ou marqués par des abus de pouvoir, alors qu’à d’autres moments, il s’agit de l’expression des pénibilités et des difficultés de l’existence. Dans le champ du travail social, Soulet (2007, p. 11) indique qu’elle est propre à la vie en société et que dans les sociétés contemporaines il s’agit de « l’expression des fragilités individuelles nées de l’exigence sociale d’autonomie et de réalisation de soi dans une configuration sociétale qui n’offre pas la garantie de supports institutionnels et de protections formelles. » Selon une perspective anthropologique, la souffrance sociale réfère à la construction culturelle et historique de la souffrance qui s’inscrit de façon psychique et corporelle. Les pouvoirs politique, économique et institutionnel sont à la source des violences subies par les individus et les groupes. Les sociétés sont perçues comme étant productrices de souffrance sociale, et ce, tant sur le plan des blessures infligées que de l’inadéquation des réponses sociales mises en œuvre pour y répondre (Kleinmen, Das et Lock, 1997). Selon Renault (2004, p. 327-328), la souffrance sociale en soi est une forme d’injustice :

Le concept de souffrance sociale désigne précisément ce type d’expérience dans lequel, d’une part, l’injustice subie peut s’avérer si profonde que les dynamiques pratiques qu’elle enclenche peuvent se retourner contre l’individu plutôt que contre l’injustice de la situation et, d’autre part, les ressources normatives font défaut qui permettent le développement d’une conscience de l’injustice de la situation.

2.4.2 Les formes de mépris qui alimentent la souffrance

Des formes de souffrance sont ressenties, lorsque l’individu ne dispose pas de moyens lui permettant de transformer le vécu d’injustice en expérience consciente9 (Renault, 2004). On

sait que lorsque l’individu ou le groupe est confronté au déni de reconnaissance, il risque fortement d’intérioriser le mépris et ne plus réagir à la situation injuste. En fait, l’intériorisation de la honte, engendrée par le vécu d’une injustice non conscientisée, limite

9 Comme mentionné précédemment, la situation d’injustice peut se transformer en expérience de l’injustice ou

en vécu d’injustice. L’expérience entraîne des dynamiques pratiques et revendicatives, c’est-à-dire le rejet de la situation injuste, de fuite ou de lutte contre elle. Le vécu d’injustice n’entraîne pas ce type de réactions puisque la situation d’injustice n’est pas portée à la conscience de l’individu.

les capacités de défense de l’individu. Par conséquent, les actions (les luttes) pour la reconnaissance sont limitées ou absentes. Il y a un passage « [d’] une image dégradée de soi- même renvoyée par autrui ou plus généralement par les modalités de l’interaction sociale, à une intériorisation qui s’accompagne d’une perte de la capacité de réaction aux situations violentes dont l’individu fut ou est encore victime » (Renault 2004, p. 389). Perdant des capacités à transformer le vécu en expérience, le déni de reconnaissance n’entraîne plus de dynamique pratique ou revendicative visant la reconnaissance. Ainsi, l’absence de lutte pour la reconnaissance et le cumul des expériences de mépris tendent plutôt à induire de l’insatisfaction, de l’impuissance et de la souffrance.

2.4.3 La souffrance sociale entraîne des formes de lésion du rapport à soi, fragilisé, inversé et brisé

La souffrance modifie les affects. Elle a la capacité de mobiliser la vie consciente, de modifier le rapport à soi ainsi que les interactions avec autrui (Renault, 2008). Les rapports sociaux au sein des trois sphères de reconnaissance agissent sur le rapport à soi et les différentes formes de déni de reconnaissance qui peuvent y exister sont à la base de la souffrance vécue par certains individus. Renault identifie en conséquence trois formes de souffrance sociale : 1) la non-reconnaissance de l’identité ; b) les relations disqualifiantes ; c) la souffrance psychique. En ce qui concerne la non-reconnaissance de l’identité, il mentionne que celle-ci fragilise le rapport positif à soi en ne permettant pas la valorisation de l’existence du moi. Le poids des douleurs présentes et passées qui s’accumulent peut entraîner une vie extrêmement pénible. En ce qui concerne les relations disqualifiantes, elles entraînent un rapport à soi inversé où une identité négative se développe par l’intériorisation de la honte. La souffrance prend alors la forme d’un sentiment dépréciatif plutôt qu’un sentiment de pénibilité. Quant à elle, la souffrance psychique entraîne non seulement la pénibilité et la dépréciation de soi, mais la « déconstruction » du rapport à soi. La souffrance psychique apparaît ainsi « comme la forme la plus extrême de la négation du rapport positif à soi, forme dans laquelle l’image positive ne pouvant plus être entretenue par aucune relation à autrui valorisante, le moi perd la possibilité de se considérer lui-même comme porteur d’une valeur et de compenser les douleurs présentes et passées de son existence » (Renault 2004, p. 378).

La souffrance psychique est remarquée dans les situations de désaffiliation qui peuvent entraîner le « syndrome de l’autoexclusion » (Renault, 2004, p. 382). L’autoexclusion se produit dans le cadre du processus d’interaction entre la personne désaffiliée et ses pairs, les passants ou les institutions, car ces interactions sont caractérisées par des formes de violence symbolique institutionnalisées. Pour supporter le poids de ces violences, les personnes désaffiliées mobilisent en permanence divers types de mécanismes de défense « dont les modes sont notamment l’adaptation et l’identification aliénante à la situation et donc à la souffrance, ce que l’on peut appeler le syndrome de l’autoexclusion » (Renault, 2004, p. 381). Par conséquent, la personne désaffiliée peut fuir les contacts avec le réel et avec elle- même par la consommation de substances psychoactives ou par la mise en place de dispositions psychiques particulières (Renault, 2004). Selon Renault (2004, p. 368), « la souffrance psychique désigne ainsi les troubles non pathologiques, exprimés comme souffrance, qui ont pour origine d’une part l’insertion dans des relations sociales violentes (désaffiliation comme dévalorisation), et d’autre part un défaut de support social (désaffiliation comme précarisation). »

2.4.4 La lutte pour la reconnaissance pour atténuer la souffrance sociale

On rappelle brièvement que le rapport positif à soi se construit lorsque les besoins, les droits et les aptitudes de l’individu sont confirmés dans le regard d’autrui. Il peut ainsi développer la confiance, le respect et l’estime de soi. En contrepartie, lorsque l’individu est confronté au déni de reconnaissance, le rapport à soi est menacé. Pour contrer ces différentes formes de mépris, l’individu réagit à l’image portée à son égard et lutte pour sa reconnaissance. Toutefois, dans certaines situations, les expériences de déni de reconnaissance, notamment lorsqu’elles sont le fruit de dominations institutionnalisées, peuvent fragiliser, inverser, jusqu’à briser le rapport à soi. Un processus entraînant des formes de lésion du rapport à soi. Lorsque le rapport à soi est fragilisé, le mal-être ressenti prend la forme de pénibilité. Néanmoins, bien que le rapport à soi soit fragilisé, l’individu dispose encore de moyens qui lui permettent de lutter pour maintenir ou restaurer un rapport à soi positif. En ce qui concerne le rapport à soi inversé, les relations disqualifiantes agissent sur les capacités de l’individu à lutter pour sa reconnaissance. En fait, l’intériorisation de la honte limite les capacités de défense de l’individu. Ainsi, les actions (les luttes) pour la reconnaissance sont limitées ou

absentes. Perdant des capacités à transformer le vécu d’injustice en expérience, le déni de reconnaissance n’entraîne plus de dynamique pratique ou revendicative visant la reconnaissance. Ainsi, l’absence de lutte pour la reconnaissance et le cumul des expériences de mépris induisent plutôt de l’insatisfaction, de l’impuissance et de la souffrance. D’une part, parce que les situations injustes ne sont plus portées à la conscience, d’autre part, parce que l’individu renonce par perte d’espoir. Enfin, lorsque le rapport à soi est brisé, le mal-être prend non seulement la forme de pénibilités et de sentiments dépréciatifs, mais peut entraîner la souffrance psychique.

2.5 Schématisation du modèle théorique : processus de développement et de