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Chapitre 5 – Les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance des

5.6 Les relations avec le marché du travail

Lorsqu’on examine l’insertion professionnelle des répondantes, on constate que quatre d’entre elles présentent un parcours où elles ont presque toujours été actives, c’est-à-dire soit sur le marché du travail ou aux études. Les périodes sans emploi se situent autour de la naissance de l’enfant. On observe aussi que six répondantes ont eu recours à des aides gouvernementales et reçoivent des prestations depuis plusieurs années. De ces répondantes, deux d’entre elles ont eu des expériences de travail dans le cadre de programme de réinsertion en emploi. Trois répondantes ont également des parcours où on remarque des périodes en emploi ou aux études et d’autres où elles sont exclues de ces milieux. Enfin, une autre répondante avait toujours été sur le marché de l’emploi, jusqu’au moment où son fils a été placé. Quelques mères expliquent qu’à certains moments de leur vie, elles avaient des difficultés personnelles qui les empêchaient de maintenir leur emploi. Ces difficultés étaient notamment liées à des problèmes de santé, à une rechute de consommation de psychotropes ou à des répercussions suivant la violence conjugale subie.

Plusieurs répondantes soulignent que le travail est une source de valorisation personnelle, alors que quelques autres ont vécu des expériences plus négatives. Comme d’autres répondantes qui œuvrent dans le domaine de la santé, Gabrielle mentionne que l’aide apportée aux autres lui procure un grand bonheur. « Moi j’aime ça aider le monde [ça m’apporte] le bien-être, la joie, je me sens bien, je suis heureuse, j’aime ça aider, il faut que j’aide, sinon je suis malheureuse. » Par ailleurs, quelques répondantes, comme Catherine, racontent un moment où elles ont reçu la reconnaissance de leur milieu de travail. « Je suis

bonne, je reçois des félicitations. À un moment donné, j’arrive [au travail] et on me dit : “on a une mention spéciale pour toi…” ». D’autres répondantes racontent plutôt des expériences négatives et des relations interpersonnelles disqualifiantes. Laurence est préposée à domicile. Elle indique que la relation avec la personne aidée est souvent difficile. « Il m’a sacré une fois après. Puis il chiale une fois de temps en temps parce que je fais une affaire pas correcte. » Élise explique qu’au moment où elle était enceinte de son troisième enfant, elle recevait des propos méprisants directement liés au fait que deux de ses enfants sont placés. « Puis j’avais un problème avec une employée à ma job. […] Elle était tout le temps en train de me caler genre. Un autre enfant dans la misère… »

Des mères mentionnent que leurs collègues de travail sont au fait du placement de leur enfant alors que d’autres mères préfèrent taire cette information. C’est ce que mentionne entre autres Catherine qui travaille en milieu rural. « Je ne peux pas parler de ma situation, parce que c’est une petite communauté. » Florence a aussi décidé de taire cette information à ses patrons et collègues de travail. Toutefois, comme elle est native de la petite communauté où elle habite, elle mentionne que plusieurs personnes de sa municipalité sont au fait du placement de son enfant chez son ex-belle-mère. « Ça ne me tente pas de passer pour une droguée, puis une ci, ou pour une ça. […] Ils savent que j’en ai un, puis “that’s it”. […] [Mais c’est] juste à ma job. Tout le monde en fait ici le sait. C’est un petit coin, tout le monde le sait que je n’ai pas mon garçon. »

Marie-Ève, pour sa part, avait toujours travaillé avant le placement de son enfant. Elle indique que son projet professionnel est très difficile à réaliser puisque son fils n’habite pas la région où elle souhaite construire sa fermette. Marie-Ève aimerait habiter la propriété qu’elle a acquise dans une autre région. Elle a le sentiment d’être plus isolée depuis qu’elle ne travaille plus. Le travail représente pour elle un lieu créateur de lien social puisqu’elle pouvait solliciter l’aide de personnes de la communauté, ce qui occasionnait des relations sociales. « [Là-bas] il y a plus d’affaires à faire. Tu sais, si j’ai besoin d’aide en partant pour faire de quoi. Tandis qu’ici, je n’ai rien à faire. Tu sais, je ne peux pas dire à quelqu’un : “hey ! Voudrais-tu aller me couper une couple d’arbres ?” Tu sais, ça ne marche pas. »

Par ailleurs, quatre répondantes soulignent l’importance de l’apport financier qu’engendre l’insertion au marché de l’emploi. « Je fais un bon salaire, j’ai une bonne paye » (Florence).

Cependant, pour arriver financièrement, des mères indiquent avoir cumulé les emplois. C’est le cas notamment de Catherine. « Moi le BS, je n’aimais pas ça, ça fait que là je travaillais à la garderie et j’étais préposée aux bénéficiaires. » Outre la source de revenus, on remarque que l’insertion professionnelle à plus long terme est un élément sur lequel elles s’appuient pour définir la stabilité dans leur vie, comme le mentionne Florence. « Je parle par rapport à la DPJ. Eux, ils t’en demandent de la stabilité. Tu sais, je veux dire, je n’avais même pas un travail stable. »

En ce qui concerne leur parcours scolaire, la plupart des répondantes ont quitté l’école avant d’avoir atteint la majorité et avant d’avoir complété le cinquième secondaire. On remarque que six répondantes sont retournées poursuivre leurs études et deux ont terminé une des formations entreprises. Ces retours aux études étaient motivés par la volonté d’intégrer un programme professionnel, soit celui de préposée aux bénéficiaires ou d’infirmière auxiliaire, dans trois situations. Aussi, trois autres répondantes indiquent des motivations ou un parcours qui sont différents. À titre d’exemple, Chloé a quitté l’école alors qu’elle était dans un programme particulier qui lui permettait d’intégrer un travail rapidement. Elle travaille d’ailleurs toujours à l’usine où elle avait fait un stage scolaire. Elle souhaite maintenant obtenir un diplôme d’études secondaires. Elle raconte que ses motivations sont plutôt de l’ordre de la sécurité d’emploi et qu’aucun autre programme de formation n’est envisagé pour le moment. « Parce que moi j’étais dans une classe spéciale, ça fait que je n’ai pas pu l’avoir, mais là moi je fais une classe normale, ça fait que je m’en va le rechercher. Puis des fois s’il arrive de quoi à l’usine, ça ferme ou quelque chose de même, bien je peux être capable de me placer ailleurs. » Pour Adèle, le retour aux études s’est fait au collégial, puisqu’elle avait terminé son cursus secondaire, elle n’a toutefois pas complété sa première session. On note au passage que Marjolaine a fait quelques cours de niveau secondaire au moment où elle était en détention.

Par ailleurs, deux répondantes indiquent des obstacles rencontrés au cours de leurs études. Laurence a le sentiment que des professeurs l’incitaient à mettre un terme à son projet scolaire. « Aux adultes ça allait bien, sauf qu’avec les profs ça allait moins bien parce qu’ils m’enseignaient, mais on dirait qu’ils m’enseignaient pour se débarrasser de moi…, parce que si mettons je ne réussissais pas bien mon examen, on me disait bien ne continue pas

l’école. Tu serais bonne pour aller travailler à la place de continuer l’école. » Élodie, pour sa part, indique qu’elle a terminé sa formation théorique en soins infirmiers auxiliaires, mais qu’elle n’a pas complété sa formation pratique puisqu’elle a donné naissance à son troisième enfant. Elle explique que l’école éprouve des difficultés à lui trouver une place pour effectuer ses stages. « Mais, là, c’est parce que si dans un an, je n’ai pas fait mes deux derniers stages, je suis obligée de refaire mon cours… C’est terrible ! Ils n’ont pas de profs pour m’enseigner mes deux stages. »

Aussi, quelques répondantes mentionnent qu’elles aspirent à intégrer le marché du travail. Chez Élodie, on sent notamment un sentiment d’impatience et une volonté de terminer sa formation d’infirmière auxiliaire pour enfin aller travailler. « [Je veux finir ce cours] au plus sacrant. Puis, aller travailler calvaire ! C’est pas dur en ? Aller travailler vite ! » D’autres répondantes, malgré des contraintes de santé importantes, indiquent qu’elles aimeraient intégrer le marché du travail. Cependant, il ne s’agit pas d’une priorité dans leur vie. À titre d’exemple, pour Adèle, sa priorité est plutôt liée à son rétablissement. « Mais il faut aussi des fois mettre des choses de côté… Ma préoccupation c’est de me soigner. Pour être capable justement de garder un travail vraiment, puis garder des contrats. »

Si quelques-unes semblent bien intégrées au marché du travail, la grande majorité des répondantes ont reçu depuis la naissance de l’enfant des prestations gouvernementales comme forme de revenu principal. À ce sujet, Gabrielle notamment, présente ses excuses lors de l’entretien. « Je suis désolée encore, j’étais sur l’aide sociale. » Élise, pour sa part, mentionne que son conjoint est soutenant et qu’il est un bon père, elle trouve toutefois difficile d’être dépendante financièrement de ce dernier. « Je prends ça dénigré, je suis dénigrée, je me sens bonne à rien. […] Mon chum lui il dit : “voyons, il n’y a rien là”. » La trajectoire d’Élise est ponctuée de périodes où elle est sans emploi. Elle indique par exemple qu’elle préférait taire le fait qu’elle recevait des prestations d’aide sociale. L’intégration du discours dominant qui socialement désapprouve le recours à cette forme d’aide entraîne un sentiment d’humiliation, ce qui a pour effet qu’elle sent le besoin de justifier l’utilisation du programme d’aide sociale à des périodes de sa vie où ses problèmes de santé mentale étaient plus importants. « Je ne suis pas du type à… Comme moi je ne juge pas les gens qui sont sur l’aide sociale, mais moi j’en ai eu besoin de l’aide sociale, même j’aimais pas ça dire que

j’étais sur l’aide sociale. Moi c’était comme dégradant. » Ainsi, lorsque financièrement son conjoint assure sa condition financière, Élise ressent le même dénigrement éprouvé lorsqu’elle bénéficiait des aides de dernier recours. On constate donc que le statut de travailleuse est important pour elle, puisque la stigmatisation liée à l’exclusion du marché du travail affecte son image d’elle-même. Élise a le sentiment qu’elle est en mesure de contribuer socialement et que ses statuts de conjointe ou de mère ne sont pas suffisants pour se réaliser.

Lorsqu’on examine l’insertion professionnelle des répondantes, on constate que quatre d’entre elles présentent un parcours où elles ont presque toujours été actives, c’est-à-dire soit sur le marché du travail ou aux études. Les périodes sans emploi se situent autour de la naissance de l’enfant. On observe aussi que six répondantes ont eu recours à des aides gouvernementales et reçoivent des prestations depuis plusieurs années. De ces répondantes, deux d’entre elles ont eu des expériences de travail dans le cadre de programme de réinsertion en emploi. Trois répondantes ont aussi des parcours où on remarque des périodes en emploi ou aux études et d’autres où elles sont exclues de ces milieux. Enfin, une autre répondante avait toujours été sur le marché de l’emploi, jusqu’au moment où son fils a été placé. Quelques mères expliquent qu’à certains moments de leur vie elles avaient des difficultés personnelles qui les empêchaient de maintenir leur emploi. Ces difficultés étaient notamment liées à des problèmes de santé, à une rechute de consommation de psychotropes ou à des répercussions suivant la violence conjugale subie.

Ce chapitre avait pour but de repérer les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance décrites par les mères au sein des trois sphères de reconnaissance (affective, juridique et sociale). Les résultats montrent que le placement dans le cadre d’une mesure de protection pour l’enfant est un évènement marquant pour les mères, puisqu’il vient affecter les trois sphères de reconnaissances décrites par Honneth (2000). Sur le plan de la reconnaissance affective, on observe que la séparation mère-enfant est douloureuse pour plusieurs d’entre elles, et que fréquemment le placement de l’enfant se déroule au même moment que d’autres ruptures de liens, notamment avec le père de l’enfant. En ce qui concerne la reconnaissance juridique, un processus judiciaire s’enclenche. Les contacts avec leurs enfants sont limités et souvent surveillés. Les répondantes sont appelées à exprimer et

à défendre leurs points de vue auprès des intervenantes ainsi qu’au tribunal. Sur le plan des droits sociaux, on sait que ces mères sont généralement dans des situations de précarité financière et que l’insuffisance de revenu peut limiter leur capacité à respecter leurs obligations, comme l’assiduité aux contacts avec leurs enfants par exemple. Sur le plan de la reconnaissance sociale, plusieurs ne peuvent plus répondre à leurs propres attentes, et aux attentes sociales à l’égard des mères après le placement de l’enfant. Le placement est donc vécu comme un échec personnel et entraîne de la stigmatisation sociale. De plus, le temps passé avec leur enfant et le rôle joué auprès de ce dernier dépendent des droits qui leur sont accordés par le tribunal. Ceci étant dit, les intervenantes de la DPJ et les milieux d’accueil de l’enfant jouent aussi un rôle fort important. Ces deux acteurs peuvent par des actes concrets reconnaître le statut de la mère, ses compétences, ou l’aider à en développer de nouvelles. En contrepartie, les intervenantes de la DPJ et les milieux d’accueil peuvent aussi être, aux yeux des mères, la source de nombreuses expériences de déni de reconnaissance. Dans ces situations, des répondantes ont le sentiment que ces acteurs ne sont pas honnêtes, qu’ils tentent d’usurper leur place ou ne reconnaissent pas les efforts qu’elles déploient pour régler leurs difficultés.

Comme les trois sphères de reconnaissance sont touchées lorsque l’enfant est placé dans le cadre d’une mesure de protection, il n’est pas étonnant qu’une crise soit vécue puisque l’identité, c’est-à-dire l’image que les mères ont d’elles-mêmes, est directement touchée. On remarque donc dans chacun des récits de vie des épisodes suivant les placements de l’enfant qui ont été marqués par des dépressions, des rechutes de consommation, des états de désorganisation ou des tentatives de suicide. Malgré tout, des mères arrivent à traverser ces crises et à reconstruire leur vie. La présence de proches soutenants, aimants, bienveillants apparaît comme la relation au cœur de leur reconstruction. Par conséquent, la rencontre d’un conjoint aimant et respectueux est souvent la relation qui entraîne une série de changements positifs dans leur vie. Sur le plan juridique, une information juste et surtout la transparence et l’honnêteté des intervenantes de la DPJ sont essentielles pour qu’elles soient en mesure de prendre des décisions éclairées et qu’elles n’aient pas le sentiment que la DPJ a des intentions cachées visant à les exclure. En ce qui concerne la reconnaissance sociale, le temps passé avec leur enfant, le rôle qu’elles jouent, varient considérablement. Toutefois, ce qui semble être nécessaire, c’est la reconnaissance de compétences et de leur statut de mère. On observe

aussi que certaines ont accès à d’autres formes de reconnaissance, notamment lorsqu’elles ont un travail où elles se sentent compétentes et valorisées.

Ce chapitre avait pour but de décrire les expériences de reconnaissance ou de déni de reconnaissance à travers les sphères de reconnaissances affective, juridique et sociale, et ainsi répondre à la première question de recherche. Ainsi, il a été possible de démontrer comment ces expériences se manifestent. Le prochain chapitre permettra de mettre en lumière les processus qui freinent ou qui favorisent un rapport à soi positif et une identité socialement valorisée.

Chapitre 6 – L’influence des expériences de reconnaissance et de déni de