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Chapitre 5 – Les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance des

5.1 Les relations familiales, conjugales et amicales

5.1.1 Les relations familiales

Les récits de vie des mères montrent qu’elles ont vécu plusieurs ruptures familiales au cours de leur vie. Durant leur enfance ou à l’adolescence, la moitié des répondantes ont vécu un placement au sein d’une famille ou dans un centre d’accueil, ou encore, une adoption. Outre les séjours en Centre d’accueil à l’adolescence, trois répondantes ont été placées lorsqu’elles étaient enfants et Chloé a été adoptée. Aussi, on constate qu’aucune répondante ne mentionne avoir une excellente relation avec ses deux parents. Près de la moitié ont toutefois un parent sur lequel elles peuvent compter et dans quelques situations la relation la plus significative est celle avec un membre de sa fratrie. « Une chance qu’elle était là ma sœur, puis elle est encore là aujourd’hui, malgré les embûches que j’ai eues. Puis elle est même encore présente beaucoup beaucoup auprès de mon fils puis de ma fille » (Marie-Pierre).

La majorité des répondantes maintiennent des liens avec leur mère biologique, alors que quatre participantes n’ont pas de contacts avec elle. Chloé a été adoptée dans le cadre d’une mesure de protection lorsqu’elle était âgée d’une dizaine d’années et ne fait jamais mention de sa mère biologique au cours des entretiens. Catherine a coupé volontairement les liens avec sa mère, alors qu’elle était adolescente. Catherine a été placée dans le cadre d’une mesure de protection alors qu’elle était enfant. À l’adolescence, elle est retournée habiter avec sa mère biologique, mais cette tentative de réunification familiale a échoué et Catherine a alors décidé de rompre définitivement les liens avec sa mère biologique. En ce qui concerne les deux autres répondantes, leur mère est décédée. En ce qui a trait à la relation avec leur père, un peu plus de la moitié n’ont pas de relations avec leur père biologique, dont deux ne l’ont pas connu.

À travers les récits de vie, on observe que quelques répondantes ont de bonnes relations avec leur mère, leur père ou un membre de la fratrie. Gabrielle mentionne notamment que sa mère est sa grande confidente et qu’elle a toujours pu compter sur son soutien, peu importe les aléas de la vie. « Elle a toujours été là et puis une mère qui va toujours être là c’est rare. » Sylvie indique que son père lui donne parfois un coup de main, il l’a aidée à peinturer son appartement par exemple. Laurence mentionne, pour sa part, qu’elle a une meilleure relation avec son père qu’avec sa mère. « Je sens que je peux lui confier certaines choses, que je ne confierais pas à ma mère nécessairement. »

Dans trois situations, on voit plutôt apparaître une amélioration de la qualité de la relation mère-fille ou père-fille au fil des ans. « Quand je consommais, on n’avait pas de relation. Je veux dire que je n’étais pas là physiquement, mentalement. C’était sûrement dur pour elle de me voir dans cet état-là. Maintenant c’est super. […] On se parle une fois par semaine. À peu près » (Élodie). Dans la situation de Marjolaine, son père a repris contact avec elle il y a quelques années alors qu’il était hospitalisé et qu’il frôlait la mort. Ainsi, son père est revenu dans sa vie après plusieurs années d’absence. « Il ne boit plus. Depuis ce temps-là, il m’appelle quasiment 2-3 fois par semaine. »

D’autres répondantes ont vécu ou vivent des expériences de mépris dans le cadre de ces relations. Un peu plus du tiers des répondantes expliquent qu’elles se sentent blessées, dénigrées, disqualifiées ou contrôlées dans le cadre de la relation avec leur mère. Adèle mentionne : « elle [ma mère], elle n’a jamais été vraiment là. C’était comme un sac à ordures que tu jettes aux poubelles, c’est comme ça qu’elle me traitait. […] c’est une mère égocentrique, narcissique, égoïste, qui ne pense qu’à elle et à gérer tout le monde… elle juge les autres puis elle leur dit quoi faire. » Aussi, quatre répondantes indiquent avoir été agressées sexuellement par leur père au cours de leur enfance. D’autres vont plutôt aborder la violence physique ou leurs problèmes de consommation. « Maman nous a élevées pratiquement toute seule, parce que mon père biologique il était violent. C’était un alcoolique » (Marie-Pierre). Pour leur protection, la relation avec leur père ou leur mère s’est terminée à la suite d’actions posées par des adultes bienveillants (leur mère ou la DPJ). Pour d’autres, la relation a perduré malgré le mépris subi. Des répondantes ont toutefois choisi à l’âge adulte de mettre fin à cette relation. « Mon père n’a jamais été présent dans ma vie. C’est juste quand lui il voulait. Puis je l’accueillais. Puis moi je prenais tout le temps sa défense : oui, mais c’est mon papa, puis je l’aime, puis il fait des efforts, puis on se voit, puis on s’amuse. Mais après la chicane avec mon chum, bien je ne voulais plus rien savoir. J’étais juste à bout. C’était la goutte dans le vase là. Je n’étais plus capable » (Gabrielle).

Si des répondantes ont coupé les liens avec des proches, d’autres ont choisi de les maintenir, malgré le mépris subi. Certaines indiquent toutefois imposer leurs limites. « Même en thérapie ils m’ont dit de tasser ma mère. Bien là j’ai dit WOW ! […] Avant, je la laissais m’abaisser puis je ne disais rien. Asteure, je le dis : “hé tu m’enrages en me faisant ça,

voyons je suis capable, tu pourrais m’encourager, tu es ma mère”. Tu sais, juste ça, c’est niaiseux, mais ça me fait du bien » (Élise).

D’autres participantes, comme Marie-Ève, préfèrent plutôt se taire pour ne pas créer de conflits. Dans cette situation, on remarque que cette stratégie est privilégiée afin de préserver les contacts avec son enfant placé chez sa mère. « Tu sais, je n’ai pas le choix d’être fine avec là. […] Je ne chiale pas, je ne demande pas, je ne me plains pas parce qu’il ne faut pas. Tu sais, je fais tout, tout, tout. Je ne parle pas. »

Lorsqu’on examine l’ensemble des relations familiales, on constate que les répondantes ont, pour la grande majorité, au moins une personne avec qui elles ont maintenu des liens. Toutefois, plusieurs ont vécu et vivent des expériences de mépris à travers ces relations. Pour plusieurs répondantes, les liens ont été rompus alors qu’elles étaient enfants. Cependant, certaines ont fait le choix d’y mettre un terme à l’adolescence ou à l’âge adulte. On observe chez plusieurs mères des changements au sein de la relation avec un ou des membres de leur famille qui se sont déroulés après le placement de l’enfant cible. Dans certaines situations, les répondantes associent ces changements à l’expérience du placement de l’enfant, comme le raconte Élodie. « Quand j’ai eu mon plus vieux, il [mon père] voulait faire un peu comme avec ma fille [enfant placé jusqu’à sa majorité]. Tu sais comme si c’était lui le père de mon fils. Puis là, j’ai mis tout de suite un stop. J’ai dit : “hé, ce n’est pas toi le père, ce n’est pas toi qui vas être à l’accouchement. Écoute là, c’est mon chum le père, puis ça va être de même” ». Or, il n’est pas possible d’identifier pour toutes les répondantes les conséquences du placement sur les relations familiales ou d’associer directement ces changements au placement de l’enfant. Toutefois, comme l’indique Élodie ou Marjolaine, le placement peut effectivement entraîner de nouvelles façons d’interagir avec les proches. Marjolaine est non seulement très près de son frère, mais aussi de son neveu et sa nièce. Cependant, l’affection reçue de son neveu et de sa nièce ravive la douleur ressentie par la séparation mère-enfant. « Des fois, il faut que je me cache, je pleure. Parce que je trouve ça dur, tu sais, donner des soins aux siens, puis pas aux miens. Tu sais, sa petite fille, elle est hyper collante, elle est tout le temps, tout le temps après moi, l’amour, l’amour, puis son fils la même affaire là. »