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Chapitre 5 – Les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance des

5.2 Les relations avec leurs enfants

5.2.2 Les relations avec leurs enfants placés jusqu’à leur majorité

La relation familiale la plus touchée lors du placement est certes celle avec l’enfant placé. Les résultats montrent d’ailleurs que le placement de l’enfant crée ou réactive des souffrances. Plusieurs symptômes sont remarqués à la suite du placement de l’enfant. Au cours du processus de placement jusqu’à la majorité de l’enfant, la plupart des répondantes indiquent avoir vécu des difficultés importantes (consommation, dépression, désorganisation, tentatives de suicide). Pour certaines, les symptômes étaient toutefois bien présents avant le premier placement de l’enfant, comme le raconte Marie-Pierre. « Souvent, je rentrais en hospitalisation, soit en psychose toxique ou en tentatives de suicide. Ça fait que je n’étais pas apte à garder mes enfants. » Pour d’autres, les symptômes sont apparus au cours du premier placement temporaire, comme le mentionne Gabrielle. « Je suis descendue à zéro. Ma mère, elle a tout fait pour me le relever. Un moment donné, j’ai écrit une lettre à ma mère. On était supposé de se voir et elle a annulé, mais finalement elle est venue pareil tu sais. J’ai écrit une lettre de suicide. Puis elle m’a trouvée dans le bain. » Si des mères arrivent à se relever de la crise suivant le premier retrait de l’enfant et à retrouver un certain équilibre dans leur vie, pour d’autres, chacun des placements (les autres placements temporaires [le cas échéant] et le placement jusqu’à la majorité de l’enfant) est chaque fois extrêmement douloureux. On remarque que les passages devant les tribunaux sont particulièrement difficiles. D’une part, parce que certaines croyaient qu’elles avaient une chance de faire renverser la proposition de la DPJ, et d’autre part, parce que le rapport déposé par la DPJ au tribunal présente leurs difficultés et leurs problèmes, ce qui affecte le rapport à soi, c’est-à-dire leur intégrité, leur dignité.

On remarque que des répondantes ont pour but de retrouver la garde de leurs enfants, même si ces derniers sont placés jusqu’à leur majorité, alors que d’autres souhaitent plutôt maintenir des liens avec leur enfant en maintenant ou en augmentant le temps passé avec leur enfant. Par ailleurs, quelques répondantes ne sont plus en mesure de se projeter dans l’avenir, puisque les attentes déçues sont chaque fois vécues comme des échecs, risquant de les

entraîner vers la consommation ou la dépression. Ainsi, elles choisissent de ne pas se créer d’attente pour se protéger. « Je ne me mets pas de… tu sais d’objectifs. Parce que si je n’atteins pas ces objectifs-là, je pense que je vais être vraiment déçue. Je n’ai pas encore assez d’espoir au fond de moi pour me dire : “ah, dans six mois je vais avoir ça…” Sinon je vais être triste, ça va me démoraliser, puis je vais redescendre trop bas un peu encore » (Florence).

Sur 14 répondantes, 10 voient leurs enfants dans le cadre de visites supervisées et dans sept situations, la supervision est faite par l’intervenante de la DPJ. On note toutefois qu’à certaines occasions, Marie-Pierre peut voir ses enfants en compagnie de sa sœur puisque cette dernière a aussi des droits de visite avec ses enfants. Dans trois situations, c’est le milieu d’accueil de l’enfant qui supervise les contacts et deux d’entre elles sont des placements intrafamiliaux.

Même si l’enfant est placé jusqu’à sa majorité, plusieurs répondantes ont le sentiment que le lien mère-enfant est toujours présent, voire très fort. Ces répondantes mentionnent l’affection partagée avec leur enfant, comme en témoignent les propos de Chloé. « Ils m’aiment parce que quand ils me voient arriver : “maman ! maman !” Ils sont tellement contents de me voir… Je les aime au bout ces enfants-là… quand je les vois, je suis bien contente, je les colle, je leur donne des becs. »

Quelques mères indiquent pour leur part que leur enfant est plus attaché à la famille d’accueil qu’à elles. Elles expliquent que leur enfant a passé plus de temps avec sa famille d’accueil qu’avec elles. Si la plupart des mères qui abordent le sujet de lien mère-enfant témoignent de marques d’affection, seule Adèle parle plutôt de l’importance des liens d’origine, et ce, même dans les situations de placement intrafamilial. Basée sur sa propre expérience, elle souhaite que son fils, lorsqu’il sera plus âgé, puisse avoir accès à l’information concernant ses origines. « [Si je n’avais pas été] en contact avec mes origines, je n’aurais pas une partie de moi-même. Ce que j’espère c’est que mon fils puisse aussi avoir cette partie-là, de lui qu’il ne connaît pas encore. »

Des répondantes ont aussi abordé les changements observés au sein de la relation mère-enfant depuis le placement. Marie-Pierre et Chloé voient une amélioration du lien avec leur enfant

et toutes les deux indiquent qu’elles ont une part de responsabilité importante dans ces changements. « Bien sûrement la constance, que là il doit sentir que je suis mieux. Il doit sentir que sa maman est plus présente qu’avant, puis qu’elle est plus là… C’a pas mal pris un bon quatre ans avant qu’il revienne vers moi » (Marie-Pierre). Les changements remarqués par Chloé réfèrent plutôt au rôle qu’elle prend maintenant auprès de ses enfants. « Tu sais c’est des affaires que je faisais peut-être moins avant là… [Il y a des] années que je n’ai pas donné qu’est-ce qu’ils avaient besoin de stimulation, bien aujourd’hui je joue pas mal avec eux autres, je m’en occupe. »

Si des mères expliquent comment le lien s’est maintenu ou reconstruit, deux mères racontent plutôt comment s’est produit l’effritement de ce lien. Peu de temps avant l’entretien, les contacts entre Élodie et sa fille aînée ont été limités à quatre visites par année. Sa fille âgée aujourd’hui d’une dizaine d’années a été placée dans une famille de type banque mixte alors qu’elle était en bas âge. En ce qui concerne Catherine, depuis plus d’un an, elle n’a plus de contact avec sa fille aînée placée dans un foyer de groupe. Dans les deux situations, la fin des contacts aurait été demandée par leur enfant. Or, elles ont plutôt l’impression qu’il ne s’agit pas réellement de leur choix. « La famille d’accueil elle dit à la DPJ qu’elle [ma fille] ne m’aime pas, puis qu’elle ne veut plus venir me voir. C’est toujours la famille d’accueil qui dit. Moi je dis que la famille d’accueil lui a dit : “ne va plus voir ta mère biologique” » (Élodie).

En ce qui concerne la relation avec sa cadette (l’enfant cible), Catherine n’a plus de contacts avec elle depuis que cette dernière est en thérapie pour soigner une dépendance aux drogues. Elle indique que sa fille retourne les fins de semaine dans sa famille d’accueil, mais que la DPJ lui a demandé de réduire les contacts afin qu’elle puisse s’enraciner dans sa famille d’accueil. Catherine est en accord avec cette idée, mais elle a le sentiment qu’il y a un risque que la réduction des contacts vienne briser leur relation. « Je ne veux pas aller la voir par respect, parce que, comme ils disent : “il faut qu’elle s’enracine dans sa famille d’accueil.” Mais une fois qu’elle est enracinée, c’est comme ma plus vieille, elle est enracinée dans les foyers de groupe. Elle ne veut plus rien savoir de moi. »

En ce qui concerne la présence et le rôle que jouent les répondantes auprès de leur enfant, on observe que cela varie considérablement. Si des répondantes indiquent que leur rôle se limite

aux moments où elles partagent les jeux, cadeaux et collations avec leurs enfants, d’autres répondantes comme Chloé sont plus présentes auprès leur enfant placé. Chloé voit ses enfants toutes les semaines et communique avec eux, par téléphone, tous les soirs. Elle indique notamment qu’elle soutient sa mère sur le plan de l’éducation de ses enfants. « [Les soirs lorsque je téléphone à mes enfants] des fois, ça arrive que je parle à ma mère, puis des fois elle me dit : “ah bien là… Ta fille a fait une crise, elle n’a pas été gentille, elle n’écoute pas pantoute ou bien… Ton fils est comme ça, il n’écoute pas pantoute lui non plus puis c’est l’enfer.” Des fois là, je leur parle après ça… Des fois, je m’en vais chez eux, puis je vais leur parler un peu. » Comme Chloé, d’autres mères ont des enfants placés auprès de membres de la famille. Le Tableau 6 montre que ces répondantes ont des droits d’accès ordonnés par le tribunal qui sont plus grands que ceux dont disposent les mères qui ont un enfant placé auprès d’une famille de type banque mixte. Toutefois, lorsqu’on les compare aux droits accordés aux mères d’enfants placés dans une famille d’accueil régulière, certaines ont des droits d’accès plus grands et d’autres plus restreints.

Par ailleurs, on observe que les mères qui sont impliquées sur le plan éducatif, scolaire ou en ce qui concerne la santé de leurs enfants ont généralement vu le temps passé avec leur enfant grandir. On remarque aussi une stabilité ou une augmentation des droits d’accès lorsque les contacts se déroulent sans supervision. Cependant, lorsque l’enfant est placé dans une famille de type banque mixte, les contacts tendent à diminuer au fil des ans, et ce, peu importe si la mère a des droits d’accès sans supervision ou son degré d’implication. Aussi, les répondantes qui ont un enfant placé chez des membres de leur famille ne passent pas nécessairement plus de temps avec leur enfant que celles qui ont un enfant placé jusqu’à sa majorité dans une famille d’accueil régulière.

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Tableau 6

Temps passé avec l’enfant cible en fonction de leur implication ou du type de milieu d’accueil Implication

éducation, scolaire ou santé

Supervision Droits d’accèsau moment de l’entretien30

Changements en ce qui concerne le temps qu’elles passent avec

leur enfant31

Type de milieu d’accueil

Laurence Non Oui (DPJ) 2 h par mois Diminution Banque mixte

Marie-Pierre Non Oui (DPJ ou sa sœur) 3 h par mois32 Variation F.A. régulière

Gabrielle Oui Oui (organisme

communautaire)

3 h aux 2 sem. Diminution Banque mixte

Élise Non Non 1 journée (9 h à

16 h) aux 2 sem.

Stable F.A. régulière

Catherine Oui Oui (famille d’accueil) 4 h aux 2 sem.33 Variation F.A. régulière

Sylvie Non Oui (DPJ) 3 h par mois34 Variation F.A. régulière

Élodie Non Non 3 h, 4 x par an Diminution Banque mixte

30 Cette information réfère à ce que les mères indiquent comme étant inscrit sur la dernière ordonnance du tribunal.

31 Ces changements sont examinés depuis l’ordonnance de placement jusqu’à la majorité de l’enfant. Aussi, ces changements ne représentent pas

nécessairement ce qui est ordonné par le tribunal. À titre d’exemple, Gabrielle indique des droits d’accès de 3 heures aux semaines. Toutefois, elle voit son fils 2 heures aux deux semaines. Cette diminution du temps passé avec son enfant a été convenue entre l’intervenante de la DPJ, les parents d’accueil et elle.

32 La sœur de Marie-Pierre a aussi des droits d’accès. Marie-Pierre peut aussi voir ses enfants sous supervision de sa sœur. Aussi des contraintes financières

ont entravé la régularité des contacts mère-enfant.

33 Les contacts sont interrompus depuis que sa fille est dans un centre de traitement pour traiter un problème de consommation de drogues.

34 Sylvie a aussi des contacts téléphoniques avec sa fille et doit donner accès à ses dossiers médicaux et psychosociaux pour que les visites avec sa fille aient

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Tableau 6

Temps passé avec l’enfant cible en fonction de leur implication ou du type de milieu d’accueil (suite) Implication

éducation, scolaire ou santé

Supervision Droits d’accèsau moment de l’entretien35

Changements en ce qui concerne le temps qu’elles passent avec

leur enfant

Type de milieu d’accueil

Adèle Non Oui (DPJ) 1 h 30 aux

3 sem.36

Diminution Banque mixte

Marie-Ève Non Non 3 h par sem. Variation Intrafamilial

Mélanie Non Oui (DPJ) 3 h aux 2 sem. Diminution Intrafamilial

Chloé Oui Oui (famille d’accueil) Tous les

samedis37

Augmentation Intrafamilial

Cindy Non Oui (DPJ) 3 h par mois38 Variation Banque mixte

Marjolaine Oui Non 24 h aux 2 sem. Augmentation F.A régulière

Florence Oui Oui (famille d’accueil) 1 fin de semaine

aux 15 jours39 Augmentation Intrafamilial

35 Cette information réfère à ce que les mères indiquent comme étant inscrit sur la dernière ordonnance du tribunal. 36 Adèle doit donner accès à ses dossiers médicaux et psychosociaux pour voir son fils.

37 Elle téléphone à ses enfants tous les soirs.

38 Les contacts sont interrompus lorsque Cindy se présente en état de consommation. 39 Elle accompagne aussi son fils lors de rendez-vous médicaux.

Le rôle qu’elles jouent et le temps passé auprès de leurs enfants dépendent des droits qui leur sont consentis, du respect de leurs obligations à l’égard des droits parentaux qu’elles préservent et des exigences ordonnées par le tribunal. Ainsi, la sphère de reconnaissance juridique est déterminante dans la possibilité de développer ou de voir leurs qualités et aptitudes parentales confirmées dans le regard d’autrui. Outre les droits d’accès, les mères doivent pouvoir avoir accès aux ressources matérielles dont elles ont besoin pour jouer leur rôle de mère ou se réaliser sur d’autres plans. À ce sujet, plus de la moitié des mères indiquent qu’elles ont déjà eu recours à des organisations offrant des aides matérielles pour subvenir à leurs besoins alimentaire et vestimentaire. Aussi, des répondantes ont vécu des périodes de grande précarité où elles ne pouvaient plus répondre à leurs besoins de base. Dans deux situations, les répondantes n’avaient pas accès à l’aide sociale, ce qui a entraîné des problèmes notamment pour se loger. Marie-Ève s’est retrouvée à la rue lorsqu’elle a quitté son conjoint à la suite d’une situation de violence conjugale. Durant quelques années, elle a vécu la majeure partie du temps dans son véhicule. Florence explique plutôt que son salaire ne lui permettait pas de répondre à ses besoins de base.

Selon quatre répondantes, le manque de ressources financières limitait leur assiduité aux contacts avec leurs enfants. De façon particulière, on remarque que les mères ayant indiqué avoir manqué des contacts avec leurs enfants à cause de problèmes liés au transport résidaient toutes en milieu rural à ce moment ou encore avaient un enfant placé dans une autre région. Certaines indiquent que le manque de ressource financière ne serait pas pris en considération par les intervenantes de la DPJ. Avant le placement jusqu’à la majorité de son garçon, Florence devait démontrer qu’elle était suffisamment autonome pour s’occuper de son fils. Dans le contexte où ses ressources financières étaient restreintes et qu’elle ne pouvait pas mobiliser son réseau naturel, elle percevait qui lui était impossible de répondre à cette obligation, soit celle de maintenir les contacts réguliers avec son fils.

Je n’avais rien dans la vie. Je n’avais même pas de frigidaire. Souvent, j’ai annulé mes rencontres parce que je n’avais rien. Tu sais, il fallait que je me déplace, parce que mon intervenante ne voulait pas que je demande à ma belle-mère pour qu’elle vienne me chercher. Elle a dit : « il faut que toi tu te démerdes. » Elle a dit : « si tu avais ton fils, bien il faudrait que tu te démerdes. » Tu sais, tu n’as rien, tu ne peux même pas lui acheter une patte d’ours [un biscuit] pour qu’il collationne. Puis j’avais un loyer de merde. J’avais des trous dans mon

appartement. Mes portes étaient défoncées. Ce n’était pas un loyer que ça m’aurait tenté que mon fils il vienne là.

Aussi, des répondantes mentionnent qu’il est difficile de concilier les horaires entre les contacts avec leurs enfants et leurs obligations au travail. Deux répondantes, dont Catherine, indiquent travailler dans un contexte où les horaires sont irréguliers. « Ça a été un problème quand j’ai commencé à travailler dans le réseau de la santé. Tu es sur appel, puis tu ne sais jamais quand tu rentres c’est jour, soir, nuit. »

Trois répondantes mentionnent également que des contraintes liées aux conflits d’horaire ou à la disponibilité des salles dans les établissements de la DPJ entraînent le report de la visite mère-enfant. À titre d’exemple, Sylvie raconte qu’elle a reçu un appel de son intervenante lui indiquant qu’elle devait déplacer la visite avec sa fille. « Elle m’a dit : “je m’en va en voyage, et je ne peux pas rentrer travailler, parce que j’ai un changement d’horaire pour mon voyage. Il faudrait déplacer la rencontre.” Moi ça me fait… Au lieu de faire quatre semaines [que je n’ai pas vu ma fille], ça fait six semaines. » Marie-Pierre explique que c’est plutôt que la disponibilité des locaux au Centre jeunesse qui pose des défis d’organisation. « Les salles, c’est parce qu’il y a tellement de demandes qu’il faut les réserver à l’avance. Puis quand ce n’est pas réservé à l’avance on a plus de places. Tu sais, ça fait que je viens fâchée là, de la mal [mauvaise] organisation, qu’on paye après. C’est moi qui paie après, parce que je ne peux pas voir mes enfants. »

En somme, la relation qu’elles ont avec l’enfant placé jusqu’à sa majorité varie en ce qui a trait au temps passé avec l’enfant, à la perception du rôle qu’elles jouent et à la signification du lien mère-enfant. On constate toutefois que les mères ayant vécu le premier placement de leur enfant à sa naissance sont généralement moins impliquées que celles ayant vécu le placement de l’enfant alors qu’il était plus âgé. Aussi, on observe que des contraintes, notamment la précarité financière, peuvent affecter la régularité des contacts mère-enfant.

5.3 Les relations avec les intervenantes de la DPJ et le milieu d’accueil de