• Aucun résultat trouvé

Chapitre 6 – L’influence des expériences de reconnaissance et de déni de

6.2 Processus menant au rapport à soi confirmé, fragilisé, inversé et brisé

6.2.2 Rapport à soi fragilisé

Le second groupe est composé de participantes ayant un rapport à soi fragilisé. Laurence et Mélanie ont toutes les deux des liens avec des proches et des membres d’organismes communautaires. Elles ont un conjoint, des amis et un père ou une mère sur qui elles peuvent compter. Elles ont un réseau social qui leur apporte du soutien et des relations où elles se

sentent aimées et valorisées. Comme les répondantes du groupe précédent, la reconnaissance affective qu’elles ont dans le cadre de leurs relations primaires contribue au maintien et au développement de capacités d’affirmation. On observe à travers leur récit de vie qu’elles ont fait des choix, qu’elles ont imposé des limites ou mis fin à des relations où leur intégrité physique ou psychologique était menacée. À titre d’exemple, Laurence a subi des violences physiques lorsqu’elle partageait un appartement avec sa mère. Depuis ces évènements, Laurence a choisi de maintenir sa relation avec sa mère, mais impose ses limites. « Jamais j’aurais pensé ça d’elle [qu’elle lève la main sur moi], c’est pourquoi je suis déçue parce que aujourd’hui bien oui j’aurais aimé ça avoir une relation plus avec elle. Je la vois une fois par mois, ça va bien, mais tu sais, je voudrais lui montrer mon logement, je ne serais pas capable. »

Ce qui notamment les distingue du premier groupe, c’est que Laurence et Mélanie contestent les motifs qui ont mené au placement de leur enfant. Il faut savoir que leurs enfants ont été placés, alors que la DPJ a remis leurs compétences parentales en question. Dans leurs situations, on observe que la relation entre les intervenantes de la DPJ et elles est généralement conflictuelle. À titre d’exemple, lors des visites supervisées entre Mélanie et son fils cadet, non seulement l’intervenante est présente, mais un agent de sécurité doit aussi les accompagner. Elle raconte que ce dernier est présent depuis qu’elle a « pété une coche au Centre jeunesse ». Laurence et Mélanie indiquent se sentir « rabaissées » dans le cadre de la relation avec la DPJ. Le mépris ou les situations injustes éprouvés par ces dernières viennent fragiliser le rapport à soi. Elles sentent que non seulement leurs compétences de mères ne sont pas reconnues, mais aussi que les efforts qu’elles déploient pour faire des changements dans leur vie ou pour contribuer au bien-être de l’enfant ne sont pas plus reconnus. Malgré ces expériences de déni de reconnaissance, les répondantes de ce groupe luttent pour maintenir un rapport à soi positif. Pour reprendre l’idée de Renault (2004), on constate que les situations perçues comme étant injustes prennent la forme d’expériences de l’injustice entraînent ainsi des dynamiques revendicatives. « [L’intervenante] grimpait juste sur ses rideaux pour expliquer des points négatifs. Moi quand j’avais fini la rencontre avec elle bien, quand je suis sortie de là bien, j’étais contente oui parce que la rencontre était finie, mais j’étais contente aussi d’avoir dit ce que je vivais durant qu’elle me rabaissait » (Laurence).

Ces mères réclament que leurs compétences et leur statut de mère soient reconnus, alors qu’elles ont le sentiment que la DPJ et les milieux d’accueil tentent d’usurper leur place. « Exemple me dire que je ne suis pas apte à m’en occuper, que même si je fais des efforts, c’est juste pour moi. Que ce n’est pas pour mon enfant nécessairement, que ça ne lui apportera rien. Que l’enfant tout ce qu’il a besoin c’est d’une bonne famille. Il n’a pas le droit de m’appeler maman, il a juste le droit de m’appeler par mon prénom. Quand c’est rendu là, c’est un peu grave » (Laurence).

Laurence et Mélanie se présentent à tous leurs contacts avec leur enfant. Toutefois, les contacts supervisés sont aussi des moments où elles ont la perception de vivre des expériences de mépris, de se sentir disqualifiées. Laurence raconte que l’intervenante est intervenue à trois reprises lors de la dernière rencontre avec son fils. « Puis c’était vraiment pour des petites niaiseries banales. Mon enfant avait décidé de mettre ses culottes que je lui avais données par-dessus [ses autres pantalons]. Puis là, elle était venue me voir et avait dit : il est pas confortable, il ne se sent pas bien. » Mélanie pour sa part a le sentiment que les actions qu’elle fait pour contribuer au bien-être de son fils sont dépréciées. « Je lui avais envoyé des “suits d’hiver” à mon gars. Bien [la mère d’accueil] a pogné les nerfs. Elle a dit : ça ne me tente pas de gérer les morceaux qui vont avec, je te les renvoie tous. La DPJ a pris pour elle au lieu de prendre pour moi. Tu sais, ils me demandent de contribuer différemment, j’essaie de le faire, je me refais taper sur la tête après. »

Laurence et Mélanie nient aussi les faits rapportés par la DPJ et les milieux d’accueil de leur enfant, lorsque ces derniers mentionnent que l’enfant a des réactions négatives lors des moments entourant les contacts mère-enfant. On observe notamment qu’elles font une lecture différente de la situation. Mélanie remet en doute leurs dires, alors que Laurence explique les réactions négatives de son fils en normalisant la situation. Elle indique que c’est normal d’éprouver certains symptômes précédant les visites mère-enfant puisqu’elle aussi peut en ressentir avant de rencontrer son fils. « Moi je comprends des fois qu’il n’a pas le goût d’aller me voir ou qu’ils disent qu’il a des réactions, mais la mère elle aussi elle en a, puis elle n’est pas obligée de le dire. Ils me disaient que des fois il ne mangeait pas sur l’heure du dîner, il avait des nausées, il était malade. Ouin mais j’ai dit que ce soit un enfant ou un adulte, ils peuvent avoir les mêmes réactions pareilles. »

Les répondantes de ce groupe ne font pas confiance au système de protection de l’enfance et croient que plusieurs intervenantes sont malhonnêtes. Pour elles, l’intention de la DPJ est de les tasser afin que l’enfant soit adopté par la famille d’accueil. On rappelle que le fils de Laurence est placé dans une famille de type banque mixte, alors que Mélanie n’a plus de contact avec son fils aîné depuis qu’elle a consenti à son adoption. Dans ce contexte, il est possible de croire qu’il est difficile pour ces mères d’accueillir les propos amenés par les intervenantes, surtout lorsqu’il s’agit de motifs présentés pour justifier la diminution des droits d’accès. Comme des répondantes du premier groupe, elles font appel aux avocats pour défendre leur dossier. Cependant, Laurence et Mélanie ne font pas de gains concrets et leurs droits d’accès diminuent graduellement. Néanmoins, elles ont la perception d’avoir gagné. À titre d’exemple, Laurence explique qu’elle a présenté son point de vue au juge et précisé tous les éléments qui étaient à son avis des faussetés lors d’un de ses passages à la cour. Elle a le sentiment d’avoir gagné sa cause, puisque l’intervenante n’a plus assuré le suivi de son enfant par la suite. Pourtant, le seul gain qu’elle a fait c’est de changer d’intervenante, car Laurence voit ses droits d’accès diminuer de plus en plus. On remarque ce même sentiment chez Mélanie qui explique qu’elle a été bien défendue puisque son avocate a démontré à la cour le côté positif de tous les aspects négatifs présentés par l’avocate de la DPJ. À la sortie du tribunal, elle n’avait pas fait de gains. Elle explique ce dénouement en disant que les juges ont un parti pris pour la DPJ.

Malgré le fait qu’elles ont le sentiment que leur identité de mère n’est pas valorisée par la DPJ, elles ont d’autres formes de reconnaissance sociale. Elles se sentent reconnues au sein d’autres sphères de leur vie, par d’autres rôles qu’elles jouent socialement, comme le travail ou l’aide apportée aux autres, notamment dans le cadre d’implication communautaire. Les répondantes qui composent ce groupe ont besoin d’entendre une autre version que celle décrite par la DPJ pour maintenir un rapport à soi positif. Elles sont confrontées par l’écart qui existe entre l’image qu’elles ont d’elles-mêmes comme mère et celle que leur reflète la DPJ. Comme l’identité se développe dans une perspective dialogique, c’est-à-dire dans le regard de l’autre, les passages à la cour où leur avocat présente une perspective différente, plus positive, font qu’elles ont le sentiment d’avoir gagné. Si elles ne font pas réellement de gains en ce qui concerne leurs droits d’accès, elles ont le sentiment d’avoir gagné une version

plus satisfaisante de leur histoire, qui préserve le rapport à soi. Laurence et Mélanie luttent pour préserver un rapport à soi positif en confrontant directement les intervenantes lors des rencontres ou indirectement lors des passages à la cour. Ainsi, leur identité est fragilisée puisqu’elles ont le sentiment de vivre des expériences de déni de reconnaissance lors des rencontres avec la DPJ ou le milieu d’accueil qui viennent fragiliser le rapport à soi. Néanmoins, elles ont d’autres formes de reconnaissance, notamment sur le plan des relations primaires qui leur permettent de lutter pour préserver un rapport à soi positif.