Chapitre 3 – Méthodologie
3.2 Population à l’étude et technique d’échantillonnage
La population à l’étude est composée de mères biologiques d’un enfant placé jusqu’à sa majorité en vertu de la LPJ et l’échantillon est formé de volontaires. En ce qui concerne les critères d’inclusion et d’exclusion (Tableau 2), les répondantes qui ont été recherchées ont atteint la majorité et elles ont au moins un enfant mineur placé jusqu’à sa majorité. Comme de nouvelles dispositions à la LPJ sont en vigueur depuis 2007 et que certaines pratiques des intervenants diffèrent depuis ces changements, des situations où le premier placement de l’enfant s’est produit après modifications de la loi, soit 2007 ont été ciblés. Par ailleurs, les situations où l’enfant est placé pour troubles de comportement ont été exclues. Les résultats de Saint-Jacques et coll. (2015) montrent que l’expérience des parents dont l’enfant est placé pour ce motif est particulière et différente des situations où l’enfant est placé à la suite d’abus ou de négligence. Cette étude montre plus particulièrement que la demande d’aide est plus susceptible d’émaner des parents et que ces derniers peuvent ressentir du soulagement lorsque l’enfant est retiré du milieu familial. Les parents qui ont des enfants placés pour trouble du comportement sont donc susceptibles de vivre le placement de leur enfant de façon différente. Il est donc possible de croire qu’il s’agit d’une réalité différente lorsqu’on la compare aux situations où l’enfant est retiré du milieu familial lors de situations d’abus ou de négligence.
Tableau 2
Critères d’inclusion et d’exclusion pour la sélection des mères
Critères d’inclusion Critères d’exclusion
Mère d’un enfant âgé de moins de 18 ans qui est placé jusqu’à sa majorité par les services de la direction de la
protection de la jeunesse (DPJ). Mère âgée de 18 ans et plus.
La mesure de placement est ordonnée à la suite d’un signalement pour troubles de comportement sérieux.
Le premier placement de l’enfant s’est déroulé avant 2007.
Pour atteindre la saturation empirique et la saturation théorique, la technique de l’échantillonnage par contraste saturation a été choisie pour l’étude. Une attention particulière a été portée à la sélection des répondantes afin de s’assurer d’une diversité entre les cas. La diversification des cas vise à dresser un « portrait global… à l’intérieur d’un groupe restreint et homogène d’individus » (Pires 1997, p. 155). Par ailleurs, le principe de diversification interne du groupe réfère au processus de saturation empirique puisque « le processus de saturation empirique demande de maximiser la diversification interne du groupe pendant la collecte de données de façon à y inclure la plus grande variété de cas possibles » (Pires, 1997, p. 155). L’échantillonnage par contraste saturation combine l’échantillon par contraste et l’échantillon par homogénéisation. Cette technique permet de comparer les situations au sein d’un groupe relativement homogène. Ce mode d’échantillonnage a assuré dès le recrutement des participantes, la diversification de l’échantillon sur la base de cinq critères.
Le premier critère réfère aux expériences de maternité. On sait que le rôle joué auprès d’un autre enfant peut favoriser le développement du pouvoir d’agir des mères ayant un enfant placé (Noël, 2014) et qu’elles peuvent maintenir une identité de mère auprès de cet autre enfant. Des mères dont tous les enfants sont placés, adoptés ou vivent avec leur père, de même que des mères qui ont minimalement la garde partagée d’un autre enfant ont donc été recherchées. Le deuxième critère concerne le milieu de vie de l’enfant, à savoir si l’enfant est placé en famille d’accueil (régulière ou banque mixte) ou dans une famille d’accueil de proximité. Ce critère est choisi puisque des études, notamment celle de Kiraly et Humphreys (2015), montrent que le placement intrafamilial peut présenter des défis relationnels
importants. On note au passage que tous les enfants cibles11 confiés à des tiers significatifs
dans la présente étude vivent un placement intrafamilial soit auprès de grands-parents ou chez une tante. Ainsi, ce terme sera privilégié dans cette étude. Le troisième critère réfère à l’occupation de la mère. Bien qu’il existe d’autres modes de reconnaissance sociale que la participation au marché du travail, il s’agit toutefois de la forme de reconnaissance la plus reconnue socialement (Castel, 2009). Par conséquent, des mères étant aux études, en emploi ou ayant reçu des prestations de l’assurance-emploi au cours de la dernière année ont été sollicitées, ainsi que des mères exclues du marché du travail et du milieu scolaire durant cette même période. Le quatrième critère concerne le temps écoulé depuis le placement jusqu’à la majorité de l’enfant. Des répondantes ayant un enfant placé jusqu’à sa majorité depuis deux ans et moins et d’autres depuis plus de deux ans ont été recherchées. Cette période est choisie parce que l’on sait que la séparation mère-enfant peut être vécue comme un deuil (Ellingsen, 2007 ; Noël, 2014 ; Weinreb et Konstam, 1995). Les théories sur le deuil avancent que le travail de deuil prend généralement au moins une année (Corruble, 2013), de façon à ce que la personne endeuillée traverse une première fois les différents évènements ritualisés comme les anniversaires, Noël, les vacances, etc. Ainsi, les souffrances vécues lors de cette première année apparaissent comme étant normales, faisant partie du processus. La période de deux ans suivant le placement jusqu’à la majorité de l’enfant a donc été choisie, car elle a permis de rencontrer des femmes qui pouvaient être à des étapes différentes du processus de deuil. Enfin, le cinquième critère est basé sur le milieu de vie de la mère. L’échantillon est composé de mères vivant en milieu urbain et en milieu rural. Les femmes résidant dans les municipalités comptant moins de 10 000 habitants ont été considérées comme vivant en milieu rural. Il s’agit de la mesure utilisée par l’Institut National de la santé publique du Québec en 2004. L’étude de Martinez, Pampalon, Hamel et Raymond (2004) montre des différences sur le plan de la santé et du bien-être de la population résidant en milieu urbain
11 Les répondantes ont entre un et quatre enfants. Pour l’étude, au moins un des enfants répond aux critères
d’inclusion à la recherche. Lorsqu’elles ont plus d’un enfant placé à la majorité, un enfant cible a été déterminé. Lorsque tous les enfants répondaient aux critères d’inclusion, le plus âgé a été choisi. On note cependant une exception pour la situation de Mélanie. Cette dernière a deux enfants placés jusqu’à leur majorité. Cependant, Mélanie a consenti à l’adoption de son fils aîné il y a trois ans, une adoption qui finalement ne s’est pas conclue. Depuis, elle n’a plus de contact avec lui. Dans cette situation, le deuxième enfant a été déterminé comme l’enfant cible.
et rural et de l’importance de distinguer ces milieux dans le cadre de futures recherches, notamment celles concernant la protection de la jeunesse.
L’échantillonnage par contraste saturation privilégiée pour la thèse comprend au moins deux représentantes pour chacun des critères (Tableau 3), permettant ainsi d’atteindre la saturation théorique. Selon Pires (1997, p. 157-158), il est possible de prédéterminer la taille de l’échantillon puisque le chercheur doit « s’assurer de la présence dans l’échantillon d’au moins un représentant (de préférence deux) de chaque groupe pertinent au regard de l’objet de l’enquête. » Lors de la collecte de données, les douze premières répondantes couvraient l’ensemble des critères et au moins deux répondantes répondaient à chacun des groupes. La taille finale de l’échantillon a été déterminée en fonction du principe de saturation empirique. Pour atteindre la saturation empirique, deux autres répondantes supplémentaires ont donc été rencontrées. Par conséquent, 14 répondantes ont été rencontrées, puisque la chercheure remarquait de la redondance à travers les données collectées lors des derniers entretiens (Ouellet et Saint-Jacques, 2000).
Tableau 3
Composition de l’échantillon par contraste saturation
Le temps écoulé depuis l’actualisation du placement jusqu’à la majorité de l’enfant Le placement jusqu’à la majorité a eu lieu
il y a deux ans et moins
Mélanie12 ; Cindy ; Florence
Le placement jusqu’à la majorité a eu lieu il y a plus de deux ans
Laurence ; Marie-Pierre ; Gabrielle ; Élise ; Catherine ; Sylvie ; Élodie ; Adèle ; Marie-Ève ; Chloé ; Marjolaine
Les autres expériences de maternité Tous les enfants sont placés, adoptés ou vivent avec leur père
Laurence ; Marie-Pierre ; Gabrielle ; Catherine ; Sylvie ; Adèle ; Marie-Ève ; Mélanie ; Chloé ; Cindy ; Marjolaine ; Florence
La mère a la garde (minimalement partagée) d’au moins un enfant
Élise ; Élodie Le milieu d’accueil de l’enfant
Dans une famille d’accueil Laurence ; Marie-Pierre ; Gabrielle ; Élise ; Catherine ; Sylvie ; Élodie ; Adèle ; Cindy ;
Marjolaine
Intrafamilial Marie-Ève ; Mélanie ; Chloé ; Florence
L’occupation
En emploi, aux études ou au chômage au
cours de la dernière année Laurence ; Gabrielle ; Élise ; Élodie ; Catherine ; Chloé ; Florence Reçoit des prestations gouvernementales
autres que des prestations de chômage au cours de la dernière année
Marie-Pierre ; Sylvie ; Adèle ; Marie-Ève ; Mélanie ; Cindy ; Marjolaine
Le milieu de vie
Milieu urbain Laurence, Marie-Pierre ; Gabrielle ;
Sylvie ;
Élodie ; Adèle ; Marie-Ève ; Mélanie ; Cindy ; Marjolaine
Milieu rural Élise ; Catherine ; Chloé ; Florence