• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 – Les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance des

5.1 Les relations familiales, conjugales et amicales

5.1.3 Les relations d’amitié

On observe une variété de situations en ce qui a trait à la qualité ou à la stabilité des relations amicales. Les récits montrent que Laurence et Marie-Pierre ont un bon réseau social, surtout composé de personnes qu’elles ont connues au cours de leur enfance ou de leur adolescence. À titre d’exemple, lorsque Laurence présente son réseau, elle nomme huit amis qu’elle a connus alors qu’elle fréquentait l’école secondaire. Laurence a cessé de consommer des drogues il y a plusieurs années et la présence de substances psychoactives ou non, dans sa vie, n’a pas affecté ses relations amicales, ce qui est différent pour Marie-Pierre. En fait, la

présence de son réseau d’amies varie en fonction de son mode de vie. « Durant ces périodes- là, je ne voyais plus mon réseau de filles d’enfance là. C’était plus du monde qui consommait. Moi je les ai tassées… Je souffrais, puis je n’étais pas fière de moi non plus, ça fait que je ne voulais pas qu’elles soient témoins de ça. » Les propos de Marie-Pierre mettent en exergue le processus où l’intériorisation de la honte entraîne l’autoexclusion. Honteuse de se retrouver en situation de rechute, elle préfère s’éloigner de ses amies.

Certaines parlent du réseau qu’elles ont ou qu’elles avaient durant les périodes plus actives de consommation de drogue et d’alcool. Deux répondantes étaient en situation de rechute au moment des entretiens. Comme le mentionne Sylvie, son réseau amical est composé de pairs consommateurs. « J’ai commencé à sortir. Ma chum de fille a dit : “sors, tu vas rencontrer du monde.” […] Bien je vais au bar, puis j’ai plein d’amis. » Les récits de vie montrent comment la consommation peut apparaître durant les périodes de grandes souffrances, ce qu’explique Gabrielle. « Mais tu sais, oui, ça m’a aidée. […] Faire le party et tout chez nous pendant que mon fils est là-bas. C’est eux qui m’ont changé les idées, qui m’ont fait danser, boire, changer les idées… de s’amuser. […] Sortir de mon chagrin genre. Oui, tu peux être en dépression ou de ne pas “feeler”, mais, eux ils venaient chez nous. […] Puis eux ils mettaient la joie. »

Les répondantes ayant eu des problèmes de consommation par le passé expliquent pour la plupart qu’elles ont mis fin à plusieurs relations lorsqu’elles ont diminué ou cessé de consommer, comme c’est le cas pour Élise. « J’en avais, mais c’était des mauvais amis pour moi, ça fait que je les ai tassés… j’ai fait du ménage. » Marie-Pierre, pour sa part, raconte plutôt que la rupture de relation était facile à faire pendant les périodes où elle était enceinte, puisque ses amis consommateurs s’éloignaient d’elle. « On dirait que ça s’est fait comme tout seul. […] Ils ont été respectueux… parce qu’ils ne voulaient pas m’inciter là-dedans, vu que j’avais un bébé. C’est surprenant des fois le monde en “conso” peuvent avoir plus de tête qu’on pense. »

Aussi, lorsqu’elles parlent de leurs relations d’amitié, plusieurs mères mentionnent des personnes qui ont été particulièrement significatives durant une période de leur vie. Elles témoignent notamment du soutien qu’elles ont eu dans le cadre de ces relations d’amitié. Parfois, ces relations sont de courte durée alors que d’autres mères ont maintenu ou

maintiennent ces liens depuis plusieurs années. À titre d’exemple, Élodie raconte l’amitié qui s’est créée entre elle et une autre femme hébergée durant son séjour dans une maison d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale. La relation de confiance s’est créée dans le cadre d’un prêt d’argent servant à louer une chambre dans une ressource pour femmes en difficultés. Dans cette situation, on remarque que non seulement cette nouvelle amie avait confiance en elle, mais par ce prêt d’argent Élodie est reconnue comme étant digne de respect. Cette situation montre comment ce rapport de reconnaissance mutuelle favorise le développement du respect de soi par ce prêt et ce remboursement d’argent. L’amie reconnaît que son souci financier l’empêche de répondre à un besoin fondamental, c’est-à- dire celui d’avoir un toit pour dormir et Élodie répond aux attentes de son amie en respectant son obligation en lui remettant la somme prêtée. « [Mon amie] a dit : “regarde, je vais te les prêter moi les 100 quelques dollars.” J’ai dit : “tu ne me connais même pas.” Elle a dit : “je vais te les prêter, je le sais que tu vas revenir puis tu vas me les donner.” Comme de fait, je suis revenue, je lui ai donné les sous. Tu sais, elle avait eu confiance en moi. Puis, elle avait raison de me faire confiance. Ça faisait à peine deux semaines qu’elle me connaissait. » Si la plupart des mères indiquent qu’elles sont dans un rapport de reconnaissance mutuelle lorsqu’elles abordent leurs relations amicales, Marie-Pierre a plutôt le sentiment qu’il s’agit d’une relation non seulement à sens unique, mais qu’elle est plutôt un fardeau pour ses amies. « Je leur ai causé du trouble. Tu sais des fois la police pouvait arriver puis : “avez-vous-vu madame ?” Puis là ils n’avaient plus de nouvelles de moi. Tu sais des grosses inquiétudes. […] Un petit boulet à leurs pieds. »

Enfin, Florence et Catherine indiquent avoir peu ou pas d’amis. Toutes les deux habitent en milieu rural et racontent comment ces petits milieux sont propices aux commérages. Florence a toujours vécu dans sa région et elle explique qu’elle ne voit pas l’utilité d’avoir des amis, alors que Catherine mentionne que les relations de confiance prennent du temps à se construire. Tranquillement, Catherine a le sentiment qu’une relation d’amitié se tisse avec une collègue de travail. Elle mentionne toutefois qu’elle est prudente et qu’elle préfère taire le placement de ses enfants au sein de sa communauté. Elle fait ce choix puisqu’elle craint la stigmatisation sociale. « Elle ne sait pas encore [que mes enfants sont placés]. Je lui ai dit : “j’ai des secrets, mais j’aime mieux que tu me connaisses moi en tant qu’individu”, puis elle

me respecte là-dedans. C’est là que j’ai vu que c’était une vraie amie, parce qu’elle respecte ça. »

Enfin, on observe que des liens positifs ou négatifs se sont maintenus avant et après le placement de l’enfant, alors que dans d’autres situations, des répondantes ont imposé des limites ou mis fin à des relations. Si les ruptures de liens peuvent mener à la destruction du rapport à soi, la mise à distance de l’autre peut aussi être salutaire puisqu’il s’agit parfois de la seule façon de mettre fin aux violences physiques ou psychologiques qui menacent l’intégrité de l’individu. Les ruptures de relation initiées par les répondantes indiquent qu’elles ont développé suffisamment de sécurité émotionnelle pour rompre ces liens. En fait, pour imposer ses limites, l’individu doit avoir développé la capacité à connaître, et à affirmer ses besoins. On remarque donc que les répondantes qui sont en mesure de faire des choix en fonction de leurs besoins ont développé cette sécurité émotionnelle auprès de membres de leurs familles (lorsque ceci était possible) ou à travers d’autres relations affectives.