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Chapitre 5 – Les expériences de reconnaissance et de déni de reconnaissance des

5.4 Les relations avec le système judiciaire

La perception des répondantes à l’égard du système de justice varie. Certaines croient qu’elles n’ont aucun pouvoir devant les tribunaux, alors que d’autres font confiance au système de justice. Ceci étant dit, les répondantes rapportent surtout comment ces passages à la cour sont extrêmement pénibles et qu’ils viennent affecter la relation avec leur intervenante, puisque le portrait présenté par la DPJ est difficile à entendre. Marie-Pierre indique qu’elle a généralement une bonne relation avec son intervenante, mais lorsqu’elle fait la lecture des rapports qu’elle produit, la relation de confiance se brise.

Pour elle, j’ai une maladie mentale. […] Puis je lui ai dit : « qu’est-ce que tu comprends pas dans... je n’ai pas le diagnostic ? » Je lui ai dit : « tu sais la psychiatre elle m’a dit que j’avais des traits, elle ne m’a pas dit que j’avais la maladie. » […] Puis elle, dans ses rapports, elle dit que j’ai le diagnostic. […] [Aussi elle écrit que] mon fils en famille d’accueil tout va bien, puis ça n’allait pas si bien que ça, tu sais je te disais tantôt la première année a été très difficile, il avait de la misère à dormir. Puis dans ses rapports tout allait bien, tu sais. Ça fait que j’ai perdu confiance beaucoup.

Mélanie apprécie la présence de son avocate puisqu’elle remet en question des éléments inscrits au rapport présenté par la DPJ. « L’avocate que j’avais bien dans le fond, elle a tout pogné les points négatifs, puis elle les a tous virés au positif… Puis la DPJ se contredisait dans ce qu’ils disaient dans ce qu’ils avaient écrit dans le fond. » Si Mélanie est satisfaite du travail accompli par son avocate, elle ne fait pas vraiment confiance aux juges. D’après elle, les juges ont un parti pris pour la DPJ. « Ils sont tous pareils [les juges], ils prennent pour la DPJ. » Même si Mélanie croit que les juges ont un parti pris pour la DPJ et qu’elle ne fait pas de gains sur le plan des contacts avec ses enfants, la défense présentée par son avocate lui permet de préserver un rapport à soi plus positif. Marie-Pierre a aussi le sentiment qu’elle a peu de pouvoir quant à l’issue de la décision prise au tribunal. « C’est sûr que n’importe quel juge va accepter les rapports qu’elle fait, c’est une travailleuse sociale de la DPJ, mandatée par le directeur de la jeunesse pour suivre un enfant tel. Tu sais, moi j’arrive

devant elle, c’est le requin devant le petit méné [poisson] là devant le juge. Puis avec ses papiers bien là elle vient de vider l’eau de mon bocal. Je me vois de même un peu. »

Florence croit plutôt qu’elle aurait droit à une meilleure défense si elle avait les moyens de défrayer les honoraires d’un avocat. Cette conviction est basée sur l’expérience d’une connaissance qui a retrouvé la garde de ses enfants après avoir déboursé les honoraires professionnels d’un avocat. « Ça fait que moi ce que j’espère c’est que l’année prochaine [je puisse] demander un prêt pour pouvoir payer un avocat. […] Elle, elle s’est payé un avocat, ça lui a coûté 12 000 $, ils sont allés chercher les enfants dans la famille d’accueil. » On note au passage que toutes les répondantes, à l’exception de Catherine, ont droit à l’aide juridique pour défrayer les honoraires des avocats qui les représentent à la cour. Après avoir fait un calcul coût-bénéfice, Catherine considère que cela ne vaut pas la peine de solliciter l’aide d’un avocat pour obtenir des droits supplémentaires concernant ses enfants placés.

Je n’ai plus droit à l’aide juridique ni à la contribution tout court. Puis là, vu que mon aînée était rendue à 16 ans. Ça ne donnait rien. Tu sais, eux autres ils vont dire n’importe quoi. Payer une journée de cour c’est 2 000 $, à peu près. Ma plus jeune, ça peut donner de quoi de plus. Probablement je pourrais l’avoir un petit peu plus, mais pas pour le coucher, pas pour une journée complète. Même si j’adore mes enfants, je n’ai pas 2 000 $ à mettre pour aller me battre.

Pour sa part, Marjolaine présente une opinion très différente à l’égard du système judiciaire. Elle mentionne qu’elle a par le passé réussi à retrouver la garde de ses enfants, alors que la DPJ s’y opposait. Elle a pu, à ce moment, démontrer les efforts qu’elle avait déployés, c’est- à-dire qu’elle avait cherché de l’aide et entrepris une thérapie à la suite d’une rechute de cannabis. « Je suis allée dans un organisme, j’ai fait mes démarches. C’est pour ça que j’ai réussi à ravoir les enfants. La DPJ eux autres ils ne voulaient rien savoir. Puis c’est ça, c’est la juge qui a statué à me redonner la garde des enfants. »

Aujourd’hui, Marjolaine poursuit ses démarches dans le but de retrouver la garde de ses enfants, et ce, même si ces derniers sont placés jusqu’à leur majorité. Contrairement aux autres situations où le tribunal est convoqué par la DPJ, la répondante et son avocat préparent le dossier et demandent au juge la permission de se faire entendre. L’an dernier, lors de sa dernière présence devant les tribunaux, elle a d’ailleurs réussi à augmenter les heures de

visites avec ses enfants. « Bien là j’ai réussi à gagner à la cour, parce qu’eux autres [la DPJ] ils me donnaient 3 h aux deux semaines là. Puis maintenant j’ai 24 h aux deux semaines. […] ils viennent dormir ici. » Au moment de l’entretien, elle a convoqué à nouveau le tribunal, car son but est toujours de retrouver la garde de ses enfants. « Moi j’ai toujours l’attente encore d’avoir la garde. Je me bats encore pour ça, c’est sûr. Si je ne réussis pas encore à faire briser ce placement-là, c’est sûr qu’on demandera au moins toute la fin de semaine. Puis que j’aie des congés plus longs, que ce soit pendant la semaine de relâche, à Noël, ces trucs-là. » Marjolaine se différencie des autres répondantes, notamment par les stratégies qu’elle met en œuvre pour préparer ses passages devant les tribunaux. « La dernière fois que j’ai passé en cour il y a un an dans le fond, je faisais des tests d’urine à toutes les semaines. Je n’attendais pas qu’elle m’en demande. Ça fait que j’ai vraiment prouvé ma stabilité. Puis encore cette année [je fais la] même affaire. »

On observe un lien possible entre la relation avec l’intervenante et le milieu d’accueil et celui avec le système judiciaire. Pour Gabrielle par exemple, le système judiciaire n’a pas été sollicité depuis le placement jusqu’à la majorité de son enfant. La décision de réduire le nombre d’heures pour les visites a été convenue entre les trois parties. Pour d’autres, comme Laurence, les conflits avec les intervenantes accentuent les démarches judiciaires et les stratégies pour avoir gain de cause devant les tribunaux. Selon Laurence, son statut et ses compétences ne sont pas reconnus par la DPJ. Aussi, cette dernière n’a aucune confiance aux intervenantes puisqu’elles croient qu’elles ne sont pas honnêtes. Pour préparer son prochain passage devant les tribunaux, Laurence prévoit enregistrer les rencontres entre elle et l’intervenante, comme lui propose son avocat.

En somme, des répondantes croient qu’elles peuvent faire des gains lors de leur passage devant la cour. D’autres mères ont plutôt la perception que le système judiciaire, notamment les juges, a un parti pris pour les intervenantes de la DPJ. Enfin, quelques-unes ont le sentiment qu’elles n’ont pas les moyens financiers permettant de retrouver la garde ou d’élargir leurs droits d’accès.