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Chapitre 2 – Modèle théorique

2.2 Les rapports de reconnaissance mutuelle au cœur des processus de construction

La théorie est basée sur le principe que l’identité se développe au sein des rapports de reconnaissance. Elle se développe dialogiquement dans le cadre de négociations, par le dialogue, d’une part extérieure, et d’une autre part intérieure. Honneth et Renault expliquent cette construction dialogique en se basant sur la description faite par Goerges Herbert Mead au regard du « soi ». L’auteur, considéré comme étant le père de la psychologie sociale, a démontré que l’identité se construit dans le cadre d’interactions avec autrui.

2.2.1 L’identité se construit dans le cadre d’interactions avec autrui

En effet, Mead explique comment le « je » et le « moi » qui composent le « soi » interagissent. Le « je » représente ce à quoi nous nous identifions, alors que le « moi » réfère à ce qui est reflété par autrui qui sera intégré, dans le cadre d’un procédé autoréflexif, à l’identité de

l’individu. Le « je » et le « moi » composent donc « la personnalité telle qu’elle se manifeste dans l’expérience sociale » (Mead 2006, p. 242). En expliquant le développement cognitif de l’enfant dans le cadre de ses interactions sociales, Mead (2006) démontre comment l’identité se construit. Il explique que l’enfant expérimentera le jeu libre un certain temps pour ensuite s’adonner à des jeux réglementés. À travers ses jeux, il incarnera différents rôles sociaux (professeurs, médecins…) au départ par imitation, pour par la suite prendre en considération les règles, valeurs ou attitudes liées à ces rôles. En fait, dans le jeu réglementé, l’enfant adopte les comportements sociaux attendus liés aux personnages et il sait sommairement à quoi s’attendre de ses pairs joueurs. Cet exemple montre comment dans son développement l’enfant prend conscience du monde social qui l’entoure et des règles à adopter socialement.

Cette brève incursion dans les travaux de Mead est faite d’une part pour démontrer que l’identité se développe dans le cadre des interactions où les normes et valeurs du groupe sont intériorisées et, d’autre part, pour indiquer que chacun a un rôle particulier à jouer au sein de la société. Cette démonstration montre aussi comment l’enfant passe d’une perception d’un autrui significatif à celle d’un autrui généralisé. À travers le passage du jeu libre avec les proches vers la découverte de l’univers élargi qu’ouvre le cadre du jeu réglementé, l’enfant en vient à saisir qu’il est une composante faisant partie d’un tout organisé en lui-même (une société, ou un sous-groupe), qui agit selon certaines normes, règles, valeurs. Il est alors au cœur d’un processus social où l’individu doit adapter ses comportements à son endroit et à l’endroit des autres membres en fonction des projets sociaux. Le « soi » est donc « un processus par lequel l’individu s’ajuste continûment, par anticipation, à la situation dont il est partie prenante et réagit sur elle en retour. Ainsi le “je” et le “moi” réalisant cet acte de penser, cet ajustement conscient, deviennent partie d’une totalité du processus social et rendent possible une société à un degré supérieur d’organisation » (Mead, 2006, p. 245- 246).

Chez les mères qui perdent la garde de leur enfant, on remarque un écart entre la façon dont elles sont perçues par les autres et leur propre conception de la parentalité. Ceci amène des idées contradictoires qui affectent leur image. Cette opposition devient une source de stress, car elles doivent conjuguer avec deux idées opposées pour restaurer leur identité parentale.

D’une part, elles éprouvent le sentiment d’avoir essayé d’être de « bonnes mamans » qui aiment leurs enfants. D’autre part, elles sont conscientes du fait que leur enfant a souffert de la maltraitance subie (Schofield et coll., 2011). Le placement de l’enfant vient directement ébranler leur identité, puisque le dialogue extérieur qui est reflété par autrui (les maltraitances subies par l’enfant) vient confronter le dialogue intérieur des mères (le sentiment d’avoir essayé d’être de bonnes mamans).

2.2.2 L’identité s’élabore à travers un rapport d’identification/différenciation à une communauté de valeurs8

À l’instar de Mead (2006), Renault (2004) indique que la valeur que chacun s’accorde est confirmée dans le regard de l’autre et qu’ainsi, l’identité se développe à partir d’un cadre normatif. Il mentionne notamment que l’identification à un groupe et l’intériorisation des règles qui déterminent sa fonction sont inhérentes au développement identitaire, c’est-à-dire que l’identité se construit par l’appropriation de normes et de rôles sociaux et que ceux-ci sont intégrés et conjugués à l’identité personnelle. En d’autres mots, le développement d’une identité positive est sous-tendu par un modèle commun dominant et c’est seulement lorsque l’individu reçoit d’autrui la confirmation de sa propre valeur qu’il est en mesure de la développer.

L’identité réfère à la façon dont l’individu membre d’une communauté de valeurs se démarque, se différencie des autres. Les goûts, désirs, opinions, aspirations ou aptitudes personnels constituent la base de l’identité qui permet de définir qui nous sommes et d’où nous venons. « Le processus identitaire consiste à chercher ce qui est significatif, dans [notre] différence avec les autres […] [de chercher] des définitions de soi qui font sens » (Taylor, 2002, p. 44). L’identité ou le « soi » comme le nomme Mead (2006) est modelé par la communauté organisée ou le groupe social, mais n’exclut pas la différenciation de chaque

8 Les sociétés sont des communautés de valeurs. Ces valeurs sont notamment érigées par la classe

économique dominante. Les personnes les moins nanties peuvent donc avoir plus de difficultés à intégrer les modes de vie et normes sociales qui découlent de ces valeurs. Par ailleurs, au sein d’une société plusieurs communautés de valeurs coexistent. À titre d’exemple, les aptitudes et compétences d’une personne bénéficiant des aides de dernier recours qui agit à titre de bénévole au sein d’un organisme communautaire peuvent être reconnues au sein du milieu communautaire. Cependant, ces aptitudes et compétences ne seront pas nécessairement reconnues socialement.

membre du groupe. C’est d’ailleurs la reconnaissance des particularités, soit les aptitudes ou les capacités de l’individu, qui lui permet de développer son estime de soi et de se réaliser (Honneth, 2000).

Les travaux de Holtan et Eriksen (2006) démontrent pour leur part que la construction identitaire est sous-tendue par un modèle social dominant. Le placement de l’enfant vient ébranler l’identité des mères puisqu’elles n’ont pas été en mesure de répondre aux attentes sociales liées à la maternité. Elles expliquent que les réactions émotionnelles puissantes vécues par les mères au moment du placement de leur enfant sont liées au fait de ne pas répondre aux attentes sociales liées à la maternité, ce qui affecte fortement leur image. Le placement de l’enfant serait vécu comme un échec parce qu’elles sont dans l’incapacité de répondre aux normes sociales et attentes liées au rôle de mère. Elles ajoutent que le placement de l’enfant diminue la perception de leur valeur en tant que femmes et en tant que mères, c’est-à-dire en tant que membre de ces groupes sociaux.

2.2.3 Distinction entre identité et rapport à soi positif

Le désir de reconnaissance émane de deux sources : voir sa valeur en tant qu’humain reconnue et voir son identité personnelle reconnue (Renault, 2000). Le rapport à soi est le résultat d’une construction sociale où l’individu prend conscience de sa valeur personnelle à travers différentes expériences de reconnaissance où se développent la confiance, le respect et l’estime de soi. Toutefois, la confirmation de la valeur de l’individu n’est pas réductible à la reconnaissance de son intégrité, puisque l’individu est socialement reconnu par les rôles qu’il entretient dans l’interaction sociale. Ainsi, le rapport à soi réfère à l’intégrité de l’individu, à sa valeur en tant que personne humaine. Il est donc à la base du développement de l’identité, c’est-à-dire de la façon dont l’individu se définit et est défini par autrui dans l’espace public.