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Le seul personnage totalement exempt de défauts est Eleanor qui chérit le socialisme chrétien en espérant aider les pauvres qui ne peuvent s’aider eux- mêmes. Lors d’une conversation avec Alton, elle tente de lui faire comprendre qu’il ne doit pas envier la classe à laquelle elle appartient et accepter un rapport d’interdépendance entre aristocratie et classe ouvrière :

O mes frères, mes frères ! Combien peu vous vous doutez du nombre de belles âmes qui existent dans les rangs de ceux en qui vous ne voyez que des ennemis Combien y en a-t-il qui n’aspirent qu’à vous aimer, vous aider, à vivre et à mourir pour vous, s’ils savaient comment s’y prendre ! Est-ce leur faute si Dieu les a placés là où ils sont ? Est-ce leur faute s’ils refusent de se séparer de leur richesse, avant d’être sûrs qu’un tel sacrifice vous serait vraiment bénéfique ? Montrez-vous dignes de confiance. […] Voyez s’il reste en Angleterre sept mille âmes qui ne se sont pas encore agenouillées devant Mammon.104

Les paroles d’Eleanor font fortement appel à des valeurs féodales : les nobles sont nobles par la grâce de Dieu, ils vivent dans le but de trouver une solution à la misère du peuple car c’est leur rôle en tant que classe dirigeante. On ressent dans le livre la tension à laquelle est soumis le héros, entre le désir d’appartenir à une classe et celui de s’en échapper. « S’élever dans la vie105 »,

104 Ibid., p. 358. « Oh, my brothers, my brothers ! little you know how many a noble soul, among those ranks which you consider only as your foes, is yearning to love, to help, to live and die for you, did they but know the way ! Is it their fault, if God has placed them where they are ? Is it their fault, if they refuse to part with their wealth, before they are sure that such a sacrifice would really be a mercy to you ? Show yourselves worthy of association. […] See whether there are not left in England yet seven thousand who have not bowed the knee to Mammon. »

KINGSLEY OU LE MOI FACE À LA VÉRITÉ DIVINE

81 c’est tenter de changer de classe, rompre l’ordre établi par Dieu. Kingsley compare les middle-classes à Mammon car elles font preuve d’une sorte de cannibalisme envers les autres classes. La bourgeoisie est associée à Mammon, à l’égoïsme, au competitive system. L’aristocratie, c’est l’esprit ; la bourgeoisie, le corps, dans tout ce qu’il a de démoniaque et de malsain. On voit par exemple que George utilise son cousin pour obtenir des faveurs, puis il épouse Lillian et rejette Alton. On retrouve également l’idée récurrente selon laquelle les pauvres sont incapables de s’aider eux-mêmes. C’est pourquoi cette classe est dépendante de l’aide du clergé. Les arguments contre l’accession des pauvres au pouvoir sont justifiés par le fait que cela marquerait la fin de la civilisation car les pauvres ne sont pas éduqués et ne pensent qu’avec leur ventre. Eleanor explique également cette théorie. Elle commence par reprocher à Alton d’avoir perdu de vue Dieu au profit de ses propres intérêts : « Tu regardes la Charte comme une fin en soi. Tu en as fait une idole égoïste et opiniâtre. Et ainsi la bonté de Dieu ne s’est attachée ni à toi ni à l’idole. » Puis elle poursuit à propos du clergé en répondant à la question d’Alton : « Pourquoi avons-nous besoin du clergé ? »

Parce que nous avons besoin de l’aide de toute la nation ; parce qu’il y a d’autres classes à part la nôtre ; parce que la nation n’est ni la minorité ni la majorité, mais un tout ; parce que ce n’est que grâce à la coopération de tous les membres d’un corps que chaque membre peut réaliser sa vocation dans la santé et la liberté ; parce que, tant que tu restes à l’écart du clergé, ou d’une autre classe, par fierté, intérêt propre, ou ignorance volontaire, tu entretiens cette même distinction des classes dont toi et moi nous plaignons car elle est ‘détestable pour Dieu comme pour ses ennemis’ ; enfin, parce que le clergé est une classe que Dieu a établie pour qu’elle unisse les autres ; ce qui, tant qu’elle obéit à sa vocation, et est une prêtrise, est au-dessus et au-dessous de tous les rangs, et ne reconnaît en aucun homme la chair mais seulement la valeur spirituelle et la place que sa naissance lui accorde dans ce royaume qui est l’héritage de tous.106

106 Ibid., p. 360-361. « You regarded the Charter as an absolute end. You made a moiish and moi-willed idol of it. And therefore God’s blessing did not rest on it or you. » […]

« Why do we need the help of the clergy ? »

« Because you need the help of the whole nation ; because there are other classes to be considered besides yourselves ; because the nation is neither the few not the many, but the all ; because it is only by the co-operation of all the members of a body, that any one member can fulfill its calling in health and freedom ; because, as long as you stand aloof from the clergy, or from any other class, through pride, moi-interest, or willful ignorance, you are keeping up those very class distinctions of which you and I too complain, as ‘hateful equally to God and to his

CHAPITRE 4

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Eleanor incarne toutes les valeurs positives de l’aristocratie : elle perd son époux et devient figure de madone, elle aide les pauvres et n’est pas tentée par Mammon car même lorsqu’elle perd sa fortune elle continue de les soutenir. Elle n’est pas orgueilleuse et apporte son salut par sa propre souffrance. Elle est même dans une situation confinant à l’idéal lorsqu’elle se retrouve dans les quartiers pauvres. Son suicide sauve symboliquement la société car il détruit les péchés.