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Le projet est situé en bordure de la BR319, qui longe à cet endroit le Mamoré, fleuve frontière avec la Bolivie. Le siège est situé à 72 kilomètres de Guajará-Mirim. Prévu pour 1 500 familles, le projet s’étend sur 200 000 hectares. Il e été ouvert en 1971, mais les conditions pédologiques et sanitaires, ou plutôt les récits alarmistes que la rumeur publique a fait a leur propos, ont longtemps découragé les éventuels colons : ce n’est qu’en 1974, devant la complète saturation des autres PICs, que Sidney Girão a commencé à être réellement occupé : on ne comptait, en août 1974, que 456 familles installées

On peut distinguer deux types successifs d’occupation : dans une première phase, on a attribué des lots à des colons qui étaient en fait sur place, principalement dans la colonie voisine de Iata, en complète décadence, ou encore a des ex-seringueiros ou garimpeiros. Ces premiers colons sont pour la plupart originaires du Nordeste, principalement du Ceará. Constituant plus de la moitié des colons actuellement installés, ils donnent au projet une composition très différente de celle des PICs de la BR364. Certains de ces colons sont même nés dans le Territoire, ce qui est très exceptionnel dans les autres projets (ce sont en général des seringueiros attirés par l’agriculture). La deuxième phase a vu l’afflux des colons du Sudeste, qui n’ont pas trouvé place dans les deux autres projets, et l’on retrouve alors une composition similaire. Il est probable que cet afflux va continuer, ce qui réduira la proportion des norbertins et ramènera le PIC au cas connu.

Le projet s’étend entre les rios Lajes et Ribeirão, à l’est de la BR319, le siège étant à l’ouest de cette route, au bord du Mamoré. Les parcelles, comme dans les secteurs plus anciens d’Ouro Preto, sont perpendiculaires à la route, trois linhas de desserte étant ouvertes. L’occupation nouvelle se fait principalement au long de la linha centrale de pénétration (carte n° 21). Elle n’est encore que partielle, et ce n’est que devant l’afflux de la saison sèche 1974 qu’il a fallu d’urgence délimiter de nouveaux lots. Un projet d’agroville avait été prévu et même dessiné, mais il semble qu’il ne soit plus question de le réaliser et l’INCRA finance la construction de maisons définitives sur les parcelles.

120 Carte 21 PIC Sidney Girão

Les sols sont ici des latosols jaunes dont l’expérience de la colonie Iata, au-delà du rio Lajes, a montré qu’ils s’épuisent très vite s’ils étaient soumis à une exploitation agricole peu soigneuse. Pourtant les réels efforts de diversification tentés par les techniciens agricoles (plantations expérimentales d’agrumes, cocotiers, avocatiers) n’empêchent pas les colons de pratiquer surtout les cultures vivrières, pour leur propre consommation ou pour la vente aux intermédiaires qui ravitaillent Guajará-Mirim ou revendent – très cher – en Bolivie. Aucun chiffre sérieux de production n’est disponible

Bilan

Comme le bilan le plus intéressant de cette colonisation n’est pas – nous l’avons vu – la production, d’ailleurs difficile chiffrer en poids et plus encore en valeur. Puisque la commercialisation se fait anarchiquement et très bas prix, le seul bilan que nous puissions établir est un bilan social. Une enquête directe menée auprès des colons donne un indice de satisfaction de plus de 95 %, aucun den colons interrogés ne manifestant l’intention de quitter une terre qui est enfin à lui, avec de nombreux avantages sociaux. Quelques-uns partent pourtant et il est intéressant d’étudier leur cas, qui présente l’avantage de nous livrer un résultat précis et chiffré du séjour.

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Nous nous fonderons pour cette étude sur les archives du projet Ouro Preto, de loin le projet le plus important et le plus ancien. En juillet 1974, 474 colons avaient quitté leur parcelle. Sur, ce nombre (12,33 % du total), 75 avaient en partant laissé un dossier complet, beaucoup des autres n’ayant en fait jamais occupé leur parcelle, restée intacte, ni eu beaucoup de rapports avec l’INCRA. Ce sont donc ces 75 cas (1,95 %) qui représentent les échecs de la colonisation. Dans le dossier de départ les colons doivent donner la raison qui les fait partir, ce qu’ils peuvent faire à tout moment s’ils remboursent les avances faites. Les réponses sont les suivantes (le nombre de réponses est plus élevé que celui des dossiers complets, 119 cas) :

- Raisons de santé : 27,9 %

- Manque d’acclimatation du colon ou de sa famille à la région,

manque d’adaptation aux travaux agricoles 18,6 %

- Abandon du colon par sa femme ou sa famille, mort du colon,

autres raisons familiales 10,3 %

- Ne remplit pas les obligations du contrat 4,9 %

- Déclare ne pas vouloir rester (sans précisions) 30,3 % Ces colons qui partent sont originaires des États suivants

Minas Gerais 25,0 % Espírito Santo 13,6 % Ceará 11,9 % Bahia 6,1 % Amazonas 5,8 % Mato Grosso 4,9 % Paraná 4,0 % Pernambuco 3,7 % Rondônia 2,4 % Autres États 21,8 %

Si l’on retrouve ici, en tête de liste, les principaux États d’origine, on remarque que les colons qui partent sont souvent des Nordestins ou Amazoniens. Leur prépondérance serait plus écrasante encore si nous avions des données précises sur ceux qui déguerpissent sans laisser de dossier : ce sont souvent d’ex-seringueiros qui ne s’habituent pas à l’agriculture. La durée moyenne du séjour est la suivante (statistique portant sur 40 %, des cas, grâce aux constats d’abandon) :

Moins de 6 mois 49 % De 6 mois à un an 38 % D’un an à deux ans 12 % Plus de deux ans 1 %

Là durée du séjour dépasse donc rarement un an (87 % des cas).

Un taux relativement faible d’abandon donc, et le plus souvent justifiés par des raisons propres aux colons eux-mêmes et non aux conditions de la colonisation. Examinons maintenant la situation des colons qui quittent le projet. Pour recevoir le droit de quitter sa parcelle, le colon doit rembourser ses dettes auprès de l’INCRA. Certains s’en dispensent, ce sont ceux qui partent sans laisser de traces après avoir touché les 6 mois de crédit, et perdent tout droit a l’indemnisation. Celle-ci, que verse l’INCRA ou le colon qui s’installe à son prédécesseur, en présence d’un fonctionnaire de l’INCRA (mais les dessous de table sont fréquents) représente la valeur des travaux de défrichement, des cultures, des constructions. Le solde représente donc le bénéfice du colon, le prix de son travail dans le projet, et ce n’est que quand celui-ci n’a pratiquement rien fait qu’il déménage secrètement. La moyenne des dettes soldées s’élève à 892,61 Cr$25 (maximum 6 500, minimum 75) et celle des indemnisations à 7 727,18 Cr$ (maximum 51 025, minimum 316) soit un solde moyen de 6 834,57 Cr$ (22 mois de salaire minimum). On constate que certains colons partent même

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avec de très gros soldes (maximum 54 761 Cr$) car il n’y a pas de corrélation étroite entre l’indemnisation et la dette, bien ce ne soit pas la majorité des cas.

Carte 22 Schéma de parcelles exemplaires

Pour ces colons qui partent – la plupart avant d’avoir entrepris quoi que ce soit, les autres contraints alors que leur situation était bonne - le séjour à Ouro Preto a été profitable ou du moins ne leur a rien coûté. Comment estimer maintenant le sort de ceux qui restent?

Tant que l’échéance de l’émancipation ne viendra pas clarifier la situation, il sera impossible de faire un bilan précis. Mais une simple visite du projet suffit pour qu’on se rende compte qu’il y a deux types de colons : les uns ont mis en valeur toute leur parcelle, au-delà de leurs besoins, si nécessaire en faisant travailler des voisins, trouvé un intermédiaire qui leur achète toute leur production à un prix raisonnable, et reçoivent un financement du Banco do Brasil qui va croissant s’ils paient régulièrement leurs échéances. Ceux-là pourraient des maintenant rembourser leurs dettes, mais préfèrent investir dans l’achat d’équipements

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puisque l’INCRA ne réclame pas ses fonds : ils n’auront sans doute pas trop de difficultés au moment de rembourser même s’ils ont parfois beaucoup emprunté, ce qui n’a rien d’étonnant puisque le prêt est sans intérêt ni échéance. Ces colons sont souvent originaires du. Sud (Paraná, Rio Grande do Sul, Santa Catarina) et disposaient dés le départ d’une certaine expérience technique et de quelques économies : ils constituent des cas de réussite éclatante que l’on aime à montrer (carte n° 22). L’aide de l’INCRA a fait de ces paysans sans terre des agriculteurs prospères, tant que dure la fertilité des sols.

Mais pour les autres la situation est toute différente : ils ne défrichent et ne cultivent que ce qui suffit à leur subsistance, sans dégager beaucoup de revenus, de quoi acheter en ville le nécessaire à la vie de la famille. On voit mal comment ceux-là pourraient rembourser leurs dettes qui, fin 1973, s’établissaient ainsi pour 2 616 colons :

Moins de 1 000 Cr$ 1 750 1 024 549,66 De 1 000 à 3 000 Cr$ 602 924 529,47 De 3 000 à 5 000 Cr$ 93 265 943,53 De 5 000 à 8 000 Cr$ 98 403 659,08 De 8 000 à 12 000 Cr$ 69 353 416,39 Plus de 12 000 Cr$ 4 73 269,05 Total 2 616 3 045 367,05

Soit une dette moyenne de 1 164 Cr$. Avec les 1 200 entrées supplémentaires de 1974 le total a dépassé les 4 millions de CR$ pour les seuls prêts aux colons et l’on estime qu’un colon à Ouro Preto revient à 15 000Cr$, soit 60 millions de Cr$ pour l’ensemble du projet. C’est dire que ce type de colonisation repose sur le financement public, et qu’il n’y est pas question de rentabilité : pour un colon qui s’émancipe réellement, combien restent dépendants d’une politique paternaliste?

Ces constatations montrent que, dans une très large mesure, cette colonisation repose sur la volonté de l’INCRA de la poursuivre, sans souci de rentabilité tant qu’un système sérieux de commercialisation ne sera pas établi et développé, cette colonisation sera un acte politique, et non un mode rationnel d’occupation de l’espace. Comme tel, il est lié à la politique générale du gouvernement en Amazonie. Or-celle-ci a changé avec le remplacement, en 1974, du général Medici par le général Geisel. On ne peut donc qu’être inquiet sur l’avenir de cette colonisation, pour laquelle il est désormais prévu que des crédits d’entretien, et aucune extension. On s’attend à ce que, dans un avenir très proche, les dates d’émancipation soient fixées, ce qui amènera l’INCRA à commencer à réclamer les sommes prêtées, et l’on imagine sans peine les drames et les faillites qui s’ensuivront. Certains vendront leur parcelle pour payer, mais où iront-ils alors? Et y aura-t-il des acheteurs pour ces parcelles de terre fatiguée alors que tout à côté la forêt vierge attend la hache et la torche?

Ainsi, si l’on doit reconnaître une incontestable réussite sociale de l’INCRA, on doit bien se rendre compte aussi que ces résultats sont l’expression d’une volonté qui risque de manquer de plus en plus de moyens, et que quand viendra l’heure des comptes, de graves difficultés sont à prévoir. Cela peut aller jusqu’à l’abandon des parcelles, faisant ainsi disparaître le principal résultat de cette colonisation, fixer à la terre des paysans instables en leur donnant les conditions d’une vie décente. On peut le craindre en étudiant le cas de la colonisation du gouvernement du Territoire, dont l’évolution n’est pas de bon augure pour l’avenir des colonies de l’INCRA.