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Exploitation de la cassitérite

L’étain : production internationale et géologie.

Carte 13 Exploitation de la cassitérite

Les techniques employées sont plus proches de techniques de carrières que de mines proprement dites. Elles sont identiques à celles qui sont utilisées en Malaisie. La première, qui est celle qu’emploient, à une exception près, toutes les mines en Rondônia, suppose un équipement assez léger. La forêt une fois défrichée, les alluvions sont rassemblées en tas par des bouteurs, puis désagrégées par des jets d’eau sous forte pression, alimentés par des

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pompes qui tirent l’eau d’un lac artificiel créé sur le cours d’un petit igarapé. La boue très liquide ainsi obtenue est alors pompée au sommet d’une tour de quelques mètres d’où elle descend à travers divers tamis et installations de tri par gravimétrie qui séparent la cassitérite, plus lourde (densité 7), des alluvions plus légers. Il ne reste plus alors qu’à rejeter les graviers et les boues stériles et à récupérer l’eau pour un autre cycle.

L’ensemble des installations, même si les capitaux engagés les mettent hors de la portée financière des garimpeiros, n’est donc pas très coûteux : bouteurs, pompes à eau et à gravier, tuyauteries d’eau, enfin et surtout appareils de triage par gravimétrie, tous appareils de quelques tonnes et de quelques milliers de dollars, infrastructure légère pour une mine et économique par rapport à la valeur du minerai, l’essentiel des dépenses lourdes étant l’ouverture du chantier et l’acheminement du matériel sur place.

Dans la seconde technique, les jets d’eau ne servent que de moyen annexe de concentration des alluvions. Ceux-ci sont traités par une drague équipé de tous les appareils que comportait la tour de triage : les alluvions sont excavées l’avant par les godets de la drague, traitées dans des tambours rotatifs horizontaux et des tamis, rejetées à l’arrière. La drague avance ainsi mètre à mètre dans les alluvions, flottant sur un lac artificiel qu’elle déplace avec elle. Dans ce cas le problème de transport sur place de l’infrastructure est donc plus important encore, la drague de Santa Bárbara a été transportée, partie par avion, partie par des mulets et montée sur place.

Le reste des installations est commun aux deux technique, four de séchage pour réduire le poids des sacs de minerai, atelier mécanique où l’on répare avec les moyens du bord et le « jeito » brésilien les machines américaines mises à rude épreuve, logements du gérant et des ingénieurs. Ceux-ci sont américains (représentant le capital), hollandais ou malais (pour leur compétence acquise en Asie du sud-est), boliviens ou colombiens (cadres qualifiés à la recherche d’emplois). Logements des ouvriers (de la paillote sordide à la ville à l’américaine), poste de santé, école, magasin pour la petite communauté isolée de tout qu’est la mine (de trois cent a cinq cents personnes, au total deux mille cinq cents personnes avec les quelques familles qui sont admises à résider sur place).

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Photo 17 Le front d’exploitation des alluvions

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Photo 18 Prospection en forêt et tri des alluvions

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Photo 19 Triage des alluvions selon leur densité

Photo Hervé Théry, 1974

Le contrôle

La production se répartit entre sept à huit groupes, de tailles très différentes (cf.tableau n° 7). Mais s’il est assez simple de faire l’inventaire des mines en activité à un moment donné, tout se complique si l’on suit les évolutions, et surtout si l’on veut chercher à remonter les filières de propriété. La situation est en effet très mouvante, des mines cessent la production sans raison technique valable, comme Minerios de Rondônia SA. qui exploitait le gisement du rio das Garças. D’autres commencent la production fort longtemps après avoir reconnu le terrain, d’autres encore prospectent et exploitent du même mouvement et deviennent très vite des producteurs importants, c’est le cas des sociétés Araçazeiro et Douradinho, qui apparaissent en 1974. On ne comprend rien à ces fluctuations si l’on ne remonte pas aux propriétaires. Pour sept mines en activité en Rondônia, on ne compta pas. Moins de soixante : quatre sociétés minières, détentrices de cent soixante douze autorisations de prospection dont très peu, après remise d’un rapport complet estimant les réserves, ont été transformées en autorisations d’exploitation et moins encore utilisées.

Tableau 8 Production de cassitérite par groupe minier

Oriente Novo SA Mibrasa Parapanema Jacunda Taboca Araçazeiro Minerios de Rondonia Douradinho 1973 1 487 790 842 193 577 575 456 550 251 612 30 271 25 648

1974 558 879 215 833 252 557 318 000 225 800 90 639 164 446

Source - DNPM-DGS

C’est que ces sociétés sont aux mains de neuf groupes industriels qui créent une société par gisement, ou plus, et en disposent au gré de la conjoncture et des plans du groupe, dont la cassitérite peut être un aspect très secondaire. L’ensemble des sociétés minières de cassitérite du groupe est dirigé par un gérant qui réside a Porto Velho et applique les

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consignes : c’est en fonction des décisions centrales que l’on commence ou cesse l’exploitation, que l’on utilise ou non les concessions transformant du jour au lendemain un simple nom sur une autorisation en société active, ou inversement. On a vu récemment les deux cas se produire, le groupe Ferusa, solidement installé dans les gisements et à Porto Velho (où il avait construit une très confortable résidence) vendant toutes ses installations et se retirant complètement, alors que le groupe Brumadinho, lui-même dépendant du groupe Itaú (groupe bancaire qui contrôle également de très grosses cimenteries) développait la production d’Oriente Novo et ouvrait les mines de São Lourenço et Maçisa sous le nom de la Société Douradinho.

Graphique 10 Production de cassitérite par firme

On voit donc que les décisions échappent au cadre local, ainsi que les importantes conséquences sur l’emploi, les rentrées fiscales, le commerce. Les gérants locaux sont parmi les principaux employeurs et les principaux contribuables du Territoire, mais la décision vient de plus haut. Et plus haut, le fil de la décision se perd dans l’écheveau embrouillé des achats et ventes, des prises de participations, des minorités de blocage. Mais le peu que l’on sait montre que telle société qui extrait la cassitérite du sous-sol rondonien n’est que l’infime partie d’un vaste empire qui pratique bien d’autres activités dans bien d’autres pays : la Ferusa qui a mis en sommeil ses activités, est une lointaine sous-filiale de la Royal Dutch Shell Petroleum, le groupe Garcia a cessé l’exploitation du rio das Garças dans l’attente du résultat des négociations avec le groupe Mitsubishi...

Partant de l’extractivisme traditionnel de l’hévéa, de l’ipéca, typique d’une Amazonie arriérée et isolée, nous en sommes venus à une activité au contraire très bien intégrée à l’économie moderne, où jouent les conglomérats et les multinationales, pour qui les frontières existent de moins en moins et l’intérêt local plus du tout : l’extractivisme lui-même est traversé par les courants de renouveau qui bouleversent le Rondônia. Si la destruction des ressources naturelles du Territoire se poursuit et s’intensifie, si les travailleurs ne voient pas changer leur niveau de vie, les profits obtenus par des sociétés plus étrangères que jamais a l’Amazone vont croissant. L’extractivisme n’est donc plus seulement l’activité stagnante de naguère : relancé par la route, il est devenu une activité puissante et dynamique. En 1972 il

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constituait, sous la rubrique « matières premières brutes ou préparées », 89,75 % des exportations du Territoire par la route (la quasi-totalité). Ce territoire lointain reste donc, comme toute l’Amazonie, le domaine de l’extraction, voire du pillage des ressources, en attendant que se développent les autres activités en cours d’installation depuis 1970, que nous examinerons maintenant, l’agriculture (tout spécialement de la colonisation) et l’élevage.