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Le commerce entre États et l’indépendance économique

On ne dispose malheureusement pas de données très sures concernant ce commerce, ni très récentes. Quelques données intéressantes existent pourtant quant aux exportations du Territoire, la dernière année disponible étant 1972. Au cours de cette année le Territoire a exporté par la route 20 662 tonnes de marchandises (81 397 000 Cr$) dont 13 494 (66 886 478 Cr$) à destination de São Paulo, soit 64,86 % du poids et 62,17 % de la valeur. Dans le même temps, les exportations par cabotage étaient de 17 575 tonnes, dont 78 % vers Manaus et 15 % vers Belém. Mais la composition de ces exportations était bien différente: vers Manaus 83 % des exportations étaient une simple réexportation de produits manufacturés du Sud ayant transité par la route, 29 % dans le cas de Belém. Vers São Paulo 80 % des exportations étaient des « matières premières brutes ou préparées », essentiellement du bois, du caoutchouc et de la cassitérite. Depuis 1970 pourtant, coïncidant avec le développement de la production agricole, les exportations de denrées agricoles augmentent sensiblement, mais ce trafic traduit en fait une situation malsaine: 87 % du riz et du maïs sont exportés vers São Paulo au moment des récoltes, par des intermédiaires qui les ont achetés a très bas prix aux petits producteurs. Mais il faut ensuite importer au moment des « soudures », à des prix évidemment bien plus élevés et grevés par le transport. L’autosuffisance théorique du Territoire en ce domaine est donc en définitive une nouvelle dépendance. Elle est aggravée par le fait que d’autres produits alimentaires doivent eux aussi être importés.

186 Le bilan s’établit ainsi:

Tableau 15 Origine des produits consommés en Rondônia

Interne Mato Grosso São Paulo Pará Paraná Bolivie

Riz 80 20 Haricots 40 10 40 10 Maïs 60 20 20 Farinha (manioc) 50 50 Pommes de terre 100 Viande 20 40 40

Source Secretaria de Economia, Agricultura e Colonização

Carte 34 Commerce du Rondônia avec les autres États

Pour les importations du Territoire, élément pourtant très intéressant, nous ne disposons que de données fragmentaires. Grâce à l’obligeance de Madame M. Mesquita nous disposons de quelques chiffres relatifs aux importations par cabotage en 1970, tirés d’un travail inédit sur la vie de relations de Porto Velho, et dont la source est la collation des manifestes de navires. Il en ressort que les importations se font à 95 % à partir de Manaus et

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Belém, et atteignent un total de 38 700 tonnes. Dans ce total, on peut distinguer, pour le port de Belém, les matériaux de constructions, les métaux et structures métalliques (57,5 %), pour celui de Manaus les produits pétroliers (76,5 %). Ces importations lourdes justifient en effet le transport par eau, mais l’ouverture prochaine de la route vers Manaus risque de mettre fin au trafic avec ce ‘sert, qui représentait 82 % du cabotage aux importations: dès juillet 74 les produits pétroliers arrivaient à Porto Velho par camions, par petites quantités encore puisque la route n’était pas officiellement ouverte. Le cabotage est donc très gravement compromis, ce qui n'est pas étonnant vu l’archaïsme des conditions: navires trop petits, aucune installation portuaire, fleuve ni dragué ni balisé.

L’essentiel est donc la route, sauf pour l’importation d’un produit très spécial, les hydrocarbures raffinés par les installations de Manaus. En outre viennent de Manaus les produits importés qui bénéficient de l’exemption de taxes de la SUFRAMA26, étendue pour certains d’entre eux à toute l’Amazonie légale. À ces exceptions près, et en signalant pour mémoire quelques importations lourdes par le fleuve, matériaux de construction, machines de travaux publics, on peut dire que toute importation en Rondônia vient par la BR 364.

Ces importations sont comptabilisées par la SUFRAMA de Manaus, qui ne compte hélas pas à part les entrées par le Rondônia. Une étude par sondage portant sur un mois de la saison humide et un mois de la saison sèche, nous a permis d’arriver aux estimations suivantes, corrigées par les agents locaux de la SUFRAMA: en 1974 les importations de Porto Velho par la route ont atteint 41 000 tonnes pour 4 350 camions (ce sont les habituels camions 10 t Mercedes Benz). Les sondages montrent que la saison des pluies ne diminue guère le nombre des camions qui transitent par la BR 364, même si elle les ralentit, 351 camions en janvier pour 375 en juillet. La provenance des chargements est la suivante:

Janvier Juillet. São Paulo 70 % 66 % Minas Gerais 10 % 8,5 % Mato Grosso 10,5 % 8 % Goiás 6,5 % 7,5 % Autres 2 %

Ces importations sont très supérieures aux exportations. On estime que les exportations en 1974 ont été (extrapolation des chiffres de 1972) d’environ 30 000 tonnes, soit un déficit de plus de 10 000 tonnes. Les camions ont souvent beaucoup de difficultés à trouver un fret de retour: bois, caoutchouc en balles, cassitérite, noix du Brésil ne suffisent pas à remplir tous les véhicules. Pour éviter de voyager à vide, ce qui représente une grave manque à gagner et un risque supérieur de détérioration du camion à cause des trépidations sur la piste, les camionneurs ont parfois recours à un spectaculaire expédient: ils chargent deux camions l'un sur l'autre, l'un trouvant ainsi un fret de retour, l'autre s'épargnant ainsi fatigue, usure du camion et dépenses de carburant. Le passage de ces camions juchés l'un sur l'autre n'est pas le moins curieux des spectacles de la BR 364, parmi les bétaillères d’où dépassent les cornes des zébus et les paus-de-arara (perchoirs à perroquet), les camions d’immigrants où s’entassent une ou plusieurs familles avec tous leurs meubles, et souvent des animaux, y compris des vaches.

Si l’on examine les manifestes des camions on constate que les États de provenance sont peu nombreux, surtout en saison des pluies: les difficultés semblent décourager les petits fournisseurs alors que les plus importants passent par tous les temps. Les importations sont parfois étroitement spécialisées selon les États: du Mato Grosso ne viennent pratiquement, outre des marchandises venant en fait de São Paulo après une rupture de charge, que des chargements de ciment de marque Itaú, produit dans les cimenteries de cet État. Du Goiás,

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viennent surtout des plaques de ciment- amiante de marque Brasilit. Du Minas Gerais et de São Paulo les chargements sont beaucoup plus diversifiés, on constate pour ces deux États la répartition suivante:

- Produits manufacturés: 53,5 % - Aliments et boissons: 26 %

- Machines et véhicules, accessoires et pièces: 15,4 % - Produits chimiques et pharmaceutiques: 5,1 %

Cette répartition suffit à montrer combien les échanges entre le Rondônia et le Brésil industriel ressemblent à ceux qu'ont entre eux pays développés et sous-développés: matières premières brutes et denrées agricoles contre produits manufacturés et machines, à ceci près que le Rondônia n'a pas à assurer la balance de ses paiements.

La formule selon laquelle le Brésil est le seul pays ayant ses colonies à l’intérieur de ses frontières reste vérifiée dans notre cas. La dépendance économique du Territoire en matière de produits manufacturés atteint un niveau difficilement imaginable: on ne trouve pas dans tout le Territoire un objet manufacturé, si humble soit-il, à l’exception des briques et des meubles de Guajará-Mirim, qui ne vienne du Sud par les 3 000 kilomètres de la BR 364. Ce fait met brutalement sur le même pied les différentes villes et régions du Territoire, face à la métropole réelle qu’est Sao Paulo.

Tout au plus les villes peuvent-elles se partager le contrôle des transports, du moins de ce qui est laissé au Territoire de cette fructueuse activité.

Si l’on veut analyser la répartition du transport entre les États pour juger de ce que le Rondônia a su capter de cette activité, il est bon de rapprocher les pourcentages de « provenance des marchandises » de ceux d'« origine des transporteurs ».

Tableau 16 Provenance des marchandises et origine des transporteurs Provenance des marchandises Origine des transporteurs Écart São Paulo 68 50 18 Mato Grosso 9,25 14 -4,75 Rondônia 0 12 -12 Minas Gerais 9,25 8 1,25 Goiás 7 7,5 -0,5 Autres 6,5 8,5 -2

On constate que les excédents – marchandises produites dans un État mais non transportées sont essentiellement ce que produit São Paulo et pour une faible part le Minas Gerais. Cet excédent (20,75 % des marchandises) n’est qu’en partie récupéré par les camionneurs rondoniens, qui doivent partager le marché des transports à destination de leur propre Territoire avec ceux du Mato Grosso et du Goiás. En fait, pour l’approvisionnement du Rondônia, les entreprises du Territoire n’ont pu saisir qu’une faible part du marché, même pour, le transport la dépendance est donc grande.

L’étude des manifestes montre la répartition suivante des sociétés de transport:

São Paulo 49,1 % Mato Grosso 14 % Rondônia 12 % Minas Gerais 8,1 % Goiás 7,6 % Autres 9,2 %

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Cette analyse s’appuie sur l’adresse du transporteur mentionnée sur le bordereau des marchandises. À partir de ce même document une typologie des transporteurs peut être établie. On peut estimer que ces transporteurs sont de trois types:

- camions de la société productrice: c’est le cas pour les camions cimentiers ou transporteurs de plaques de ciment-amiante (environ 15 % du total);

- routiers indépendants, le plus souvent propriétaires du seul camion qu’ils conduisent (environ 30 %);

- sociétés de transport (environ 55 %);

Pour mieux comprendre cette typologie, il nous faut en décrire rapidement les trois composantes. Les routiers indépendants ont réussi, parfois comme camionneurs salariés, parfois dans un tout autre domaine, à réunir les premiers fonds pour acheter un camion dont ils paient ensuite les traites par un travail forcené, parcourant sans répit la route, à moins que la recherche de fret ne les immobilise: dans ce cas ils courent très vite le risque de faire faillite. C’est là l'une des voies de l’ascension sociale, eu Brésil comme dans toute l’Amérique Latine, un milieu d’hommes rudes et décidés, proches des anciens bandeirantes. Parmi ceux qui affrontaient le risque de la piste improvisée ouverte du temps de Juscelino Kubitschek, un des deux français établis à Porto Velho, maintenant gérant de la succursale Chrysler.

Les sociétés de transport quant à elles, sont d’importance variable. Elles peuvent être de très petite taille, quand le routier indépendant peut acheter deux eu trois camions. Ce peut être une activité annexe d’un gros commerçant qui veut ajouter aux bénéfices de son négoce ceux lui viennent du transporte. Ce peut être enfin une grosse société qui possède une flotte de camions. Enfin de grosses sociétés industrielles peuvent avoir leurs camions propres pour le transport de leurs produits. Selon les États la répartition n’est pas la même entre les trois types. Nous avons pu établir, un peu empiriquement, car leur renseignements sont parfois maigres, le tableau suivant, (pourcentages du total transporté, chiffres approximatifs):

SP MT RO MG GO autres total

Transports de la société productrice 7 3 0 1 2 2 15

Routiers indépendants 13 3 8 3 2 1 30

Sociétés de transport 30 8 4 4 3,5 5,5 55

Total 50 14 12 8 7,5 6,5 100

SP= São Paulo, MT= Mato Grosso, RO= Rondônia, MG= Minas Gerais, GO= Goiás

Les États de Goiás et Mato Grosso ont une assez forte proportion de leur flotte de transport dans la première catégorie, celle des producteurs-transporteurs, grâce aux matériaux de construction. Mais tous les États ont une majorité nette de compagnies de transport. La situation des rondoniens est à part, on ne les trouve que dans les deuxième et troisième catégories, avec une proportion très forte de routiers indépendants: le capital rondonien a été insuffisant pour monter de solides sociétés, celles qui existent ont pour la plupart une origine commerciale, ou sont des filiales de sociétés d’autres États, les données nous manquent pour le dire.

C’est ce qui explique que la dépendance du Territoire en matière de transport soit aussi grande. Il ne lui reste guère que les activités annexes, réparation des camions et de leurs pneumatiques, logement des camionneurs, et bien sûr les activités commerciales de distribution qui sont décidément les plus solides en Rondônia. Encore faudrait-il pouvoir analyser tous les bilans, remonter les filières des capitaux pour voir si la dépendance n’apparaît pas ici aussi. Si ce n’est pas encore le cas, cette mainmise apparaitra probablement quand le chiffre d’affaires le justifiera: déjà les filiales de sociétés paulistes s’installent dans les commerces jusque-là laissés aux rondoniens, alimentation et boissons, tissus, etc. L’activité la plus indépendante du Rondônia semble donc elle aussi menacée, tout comme celle du Territoire.

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