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L’agriculture en Rondônia est pratiquée sous deux formes : la colonisation, publique ou privée, et l’infiltration spontanée de pionniers entre les territoires de colonisation. Toutefois dans le paysage et dans les modes de vie, rien ou presque ne permet d’identifier nettement des types de paysans vraiment distincts.

Techniques de défrichements, pratiques culturales et systèmes de culture sont les mêmes. Ainsi la première phase du travail agricole est celle du défrichement. Deux outils sont employés par le pionnier, le facão ou terçado, un sabre d’abattis qui sert à éclaircir le sous- bois, et la hache (machado) pour abattre les grands arbres. Pour que sèche, avant d’être incendié, l’entassement confus des troncs et des branches abattus (le roçado ou la roça) on laisse s’écouler quelques semaines. Le feu ne peut, on s’en doute, être mis que pendant la brève saison sèche, de juin à août. Encore faut-il que le défricheur sache bien saisir les journées favorables car s’il se hâte trop, les décombres de la forêt ne sont pas encore assez secs; s’il tarde trop, des pluies précoces risquent d’éteindre le brasier. Et, comme ailleurs dans le monde tropical, c’est entre les troncs et les bûches mal calcinées et qui continueront de pourrir lentement que l’on sème en profitant des premières pluies.

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Graphique 11 Calendrier agricole

Le système de culture associe maïs et riz, en lignes alternées le plus souvent, plantés au début du mois de septembre et cueillis de janvier à mars. À la fin de mars ou en avril sont alors plantés des haricots, parfois associés au maïs. Cette seconde récolte sera faite vers le mois de juin avant que de nouveaux défrichements n’ouvrent un nouveau cycle agricole, où les « anciennes » terres supportent de nouveau les mêmes cultures. Les récoltes s’échelonnent assez bien au long de l’année, les éventuelles soudures étant assurées par le manioc qui, planté en septembre, donne des racines comestibles au bout d’un an, etqui peut être laissé ensuite encore six mois en terre. Cette association, connue sous le nom de lavoura branca, donne la base de l’alimentation, la platée de riz aux haricots rouges, saupoudrée de farinha (manioc râpé et lavé, pour en retirer le jus toxique, et séché). Accompagné de viande de chasse, de viande séchée, d’une poule aux grandes occasions, ce plat apporte aux paysans l’essentiel de leur ration calorique. Les légumes verts et les fruits, qui pourtant sont abondants à l’état sauvage et faciles à cultiver, que ce soit, bananes, papayes, ananas ou agrumes, sont trop rarement consommés, car considérés comme des nourritures frivoles, indignes d’hommes forts. Autour de la maison on trouve pourtant quelques plants d’arbres fruitiers ou de canne à sucre pour faire la rapadura (cassonade) et la cachaça (alcool de canne). Près de la maison aussi, la basse-cour et l’enclos du ou des porcs, nourris de maïs et des déchets de la maison. La boisson est l’eau de l’igarapé voisin ou du puits qui atteint la nappe phréatique proche, mais souvent contaminée.

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Les maisons sont les mêmes pour tous, cases de branches et palmes, couvertes de palmes dont les feuilles sont toutes repliées du même côté pour écouler les fortes pluies, à la manière des toits de chaume (c’est alors un tapiri, parfois monté sur pilotis si le colon a déjà vécu en Amazonie, ce qui est très rare).. Une autre ressource de la forêt amazonienne est mieux connue, c’est le palmier paxiuba dont le tronc creux et fibreux peut être déroulé et donner murs, cloisons ou planchers. Des maisons plus résistantes peuvent être faites de planches dégrossies à la hache ou a la scie, ou de pau a pique, squelette de branchages ou l’on plaque de l’argile (que les pluies emportent souvent, car cette construction est plus adaptée au Nordeste aride qu’aux pluies amazoniennes).

Photo 20 Palmier paxiuba, pour la couverture des maisons

Photo Hervé Théry, 1974

Dans les maisons, très peu de meubles : des hamacs, des coffres où sont rangés les quelques objets que possède la famille. Au mur le fusil du père, pour la chasse dont dépend l’approvisionnement en viande. Dans la cuisine, une batterie en aluminium mince, le fourneau d’argile posé sur un bâti qui le met à hauteur de la taille de la maîtresse de maison. Vite construit, avec l’argile locale, il brûle le bois tiré de la parcelle. On ne trouve que trop rarement un filtre pour l’eau du puits, qui voisine dangereusement avec la fosse d’aisance.

Colons et petits agriculteurs mènent donc une vie similaire, ou les travaux agricoles tiennent la plus grande part, surtout aux moments forts des défrichements, du brûlis et des premières semailles (juillet-septembre), des premières récoltes et des nouvelles semailles (février-avril). Entretemps la construction de la maison et des dépendances, la chasse, les voyages au siège du projet de colonisation, pour une démarche, un conseil, un emprunt au

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magasin, ou à la ville voisine pour un achat, sont les occupations les plus absorbantes. Hors du travail les heures sont brèves et les distractions rares : les veillées entre voisins supposent de longues marches, la ville est loin. Les grands moments sont la vente des récoltes au camion de l’intermédiaire (marreteiro), les fêtes publiques ou familiales, naissances et mariages, où la

cachaça coule à flots, mais aussi les maladies et les accidents qui laissent dans les mémoires

les plus sûrs repères chronologiques.

Par bien des aspects les petits agriculteurs, inclus ou non dans un projet de colonisation, se ressemblent. Ils viennent des mêmes régions (mais les statistiques n’existent que pour les colons de l’INCRA), ils mènent la même vie dans les mêmes maisons, faisant les mêmes cultures de la même façon, c’est-à-dire comme ils l’ont appris dans le Sudeste ou le Nordeste. Ce sont eux qui, depuis quelques années, donnent au Rondônia une production agricole lui permettant d’exporter (mais il faut ensuite importer pour nourrir les citadins du Territoire, au moment des soudures, à des prix bien plus élevés).

Une différence nette apparaît dans le statut du paysan selon qu’il est ou non

parceleiro, détenteur d’une parcelle de colonisation. S’il l’est, il bénéficie de sérieux

avantages : certitude de ne pas être expulsé (ce qui est inestimable pour qui l’a déjà été, parfois plusieurs fois), et pour les colons de l’INCRA, diverses assistances (médicale, technique, crédit pour les outils, semences, produits de traitement). Qui ne l’est pas doit occuper un lot de terre publique, pour lequel il ne reçoit dans le meilleur des cas qu’une autorisation d’occupation, qui ne vaut pas titre et n’est en aucun cas transférable. De ce coin de terre il faut ensuite tirer très vite sa subsistance ce qui suppose de défricher – si c’est le moment opportun – de planter, et d’attendre. Et souvent les premières récoltes sont décevantes dans ces sols et sous ce climat inconnu. Le colon de l’INCRA, quant à lui, reçoit pendant six mois un salaire qui lui permet de se nourrir et de nourrir sa famille en attendant les premières récoltes. On voit donc que du point de vue personnel du paysan la différence est grande. Au delà de ces différences, c’est une opposition de conceptions qui apparaît.

Tableau 9 Productions agricoles

1971 1972 1973 Surface (ha) Produc- tion Valeur (1 000 Cr$) Surface (ha) Produc- tion Valeur (1 000 Cr$) Surface (ha) Produc- tion Valeur (1 000 Cr$) Cultures annuelles Riz (sacs 60 k) 15 897 467 040 12 336 20 844 416 040 16 150 25 013 499 248 14 494 Maïs (sacs 60k) 1 888 36 560 839 2 266 39 050 974 2 719 48 860 1 007 Haricots (sacs 60k) 1 333 29 000 2 179 1 520 34 000 1 666 1 824 35 856 2 000 Manioc (T) 332 5 904 508 333 5 926 596 398 7 085 610 Manioc doux (T) 411 6 942 723 413 2 815 799 493 8 330 868 Canne à sucre (T) 153 2 495 208 154 68 254 184 3 000 249 Patate douce (T) 26 67 42 26 159 46 31 80 51 Ananas (cent) 29 133 73 34 64 000 93 75 160 88 Coton (arrobes) 600 48 000 480 800 768 720 57 000 576 Cultures permanentes Bananes (régimes) 263 454 400 936 936 543 486 1 123 Avocats (cent) 62 5 476 154 154 6 571 184 Oranges (cent) 43 12 750 243 243 15 300 292 Citrons (cent) 4 1 960 33 33 2 352 40 Mangues (cent) 25 4 770 45 45 5 274 54

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Source : Secretaria de Agricultura, Economia e Colonização du Territoire. Ces chiffres, vu la faiblesse de la statistique en Rondônia, ne doivent être pris que comme des ordres de grandeur extrêmement approximatifs. Ce sont des estimations sur la base – peu sure – de la population connue et il n’est pas impossible que ce soient de simples extrapolations des données du recensement agricole de 1970, c’est à dire ne tenant pas compte du développement rapide de la production lié à l’immigration.

D’un côté une implantation rationnelle, ou du moins logique, par lots géométriques, menée au nom de raisons politiques par les autorités officielles, ou en vue du profit par de puissantes sociétés, de l’autre, une anarchie totale de l’occupation. Au cours de ces dernières années la colonisation officielle en Rondônia a connu une telle extension qu’un flot d’immigrants, attirés par lu rumeur qui e accompagné la création des grands « Projets intégrés de colonisation », les a débordes et provoqué une occupation massive et anarchique du Territoire : les deux phénomènes sont donc étroitement liés.

La colonisation

On peut pourtant distinguer trois types :

- la colonisation publique fédérale, dont est chargé l’INCRA, et qui comprend trois PIC (Projets Intégrés de Colonisation)

- la colonisation publique territoriale, dont s’occupe la Secretaria de

Agricultura, Economia e Colonização du gouvernement du Territoire

- la colonisation privée.

Il n’y a aucune commune mesure entre le premier type et les deux autres, dans le premier cas plusieurs milliers de familles, bien encadrées. Dans les deux autres, quelques centaines, pratiquement laissées a elles-mêmes et qui, une fois sur leur lot, se distinguent mal des posseiros. La carte n° 15 localise ces différentes colonisations.

Tableau 10 Projets de colonisation

Nombre de parcelles Superficie des parcelles Localisation Projets de colonisation fédérale

Ouro Preto 4 000 100 BR 364 km 330 Sidney Girao 500 100 BR 319 km 70 Gy-Parana 900 100 BR 364 km 540

Colonies agricoles du Territoire

Candeias 150 25 BR 364 km 25 Periquitos 150 25 BR 364 km 12 18 de Setembro 150 25 BR 364 km 12 Areia Branca 150 25 BR 364 km 8 Paulo Leal 150 25 BR 364 km 25 Iata 400 25 BR 364 km 30 Colonies privées

Calama SA 600 variable Vila de Rondônia Espigao d'Oeste 450 500/2 000 Pimenta Bueno Source : SEAC et INCRA 1973

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Carte 15 La colonisation agricole