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Il est cependant un problème spécifique au Rondônia, est capital pour son développement : celui de la propriété de la terre, qui est lié au statut juridique du Territoire. Certes on le retrouve dans le Roraima et l’Amapá, mais sous des formes assez différentes.

Le principe juridique de base est assez simple : toutes les terres devolutas, c’est-à-dire « dévolues » par le Portugal à son ancienne colonie au moment de l’indépendance et non attribuées au moment de la création du Territoire, sont « bien de l’Union », elles ne peuvent être cédées que par l’INCRA. En fait la réalité est effroyablement complexe, et il est très rare de trouver en un propriétaire muni d’un titre valable. De cette situation juridique embrouillée découlent des conséquences variées et qui pèsent sur l’avenir de la région.

La première engage tout le système agraire en touchant au point fondamental, l’absence de titre ferme et défini entraîne pour les agriculteurs l’impossibilité d’emprunter en banque en donnant en gage leur seul bien, la terre. Pour qui connaît un tant soit peu les problèmes de colonisation, les implications apparaissent dans toute leur ampleur, et elles peuvent être résumées très simplement : l’absence de crédit enferme les petits agriculteurs dans l’économie de subsistance, le cycle défrichement - cultures vivrières - épuisement des

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sols - défrichement, une vie précaire ou franchement misérable sans pratiquement aucune chance d’en sortir un jour. Le système de crédit agricole brésilien, déjà très faible, ne peut même pas s’appliquer ici.

Mais ce qui est vrai des petits agriculteurs l’est aussi des gros investisseurs du sud ou des étrangers dont l’action est déterminante dans l’Amazonie actuelle, les biens de l’Union ne peuvent être aliénés que par parcelles de 2 000 ha, qui n’intéressent pas des sociétés dont les projets portent sur des dizaines ou des centaines de milliers d’hectares15. Cette disposition et son application inflexible par l’équipe de l’INCRA-Rondônia ont suffi à écarter du Territoire les grands projets qui existent dans des conditions semblables, immédiatement la frontière passée, en Mato Grosso et Acre (le Rondônia est ainsi une zone vide sur l’axe Sud-Acre de la BR364). Le désintérêt des investisseurs est si marqué que le prix de la terre est six fois plus élevé en Acre que dans le Territoire, où à vrai dire pratiquement aucune terre n’est vendue ni vendable. C’est-à-dire que cette situation met le Rondônia à l’écart de l’essentiel du développement amazonien, dont l’axe principal est maintenant le grand projet agro-pastoral : on en voit bien les incalculables conséquences.

Examinons maintenant la situation issue de ces principes. Il faut distinguer divers cas. Le plus clair est celui des titres de propriété distribués avant la création du Territoire par les États de Mato Grosso et Amazonas. Au total, 152 de ces documents ont été émis, pour un total de 1 377 333 has, soit 5,67 % de la surface du Territoire, et une moyenne de 9 600 has attribués entre 1883 et 1922, la plupart d’entre eux l’ayant été entre 1900 et 1916. Les situations sont très différentes puisque nous trouvons des superficies allant de 3 à 275 022 ha. et réparties comme suit :

< 1 000 58

1 000 à 10 000 ha 78

10 000 à 20 000 ha 8

20 000 à 50 000 ha 3

100 000 ha 2

Quelques grandes propriétés donc, mais une prédominance de petites ou moyennes unités à l’échelle amazonienne, certes, et surtout un total assez faible, puisque 95 % de la surface restent propriété de l’Union. Total d’autant plus faible que seuls 30 de ces titres ont été réellement remis, les autres attendant toujours dans les tiroirs que les propriétaires les retirent, moyennant le paiement de la valeur de la terre nue, fixé à 5 cruzeiros par hectare16, somme dérisoire, mais qui suffit à faire reculer la majorité des titulaires.

Qu’ont fait l’IBRA (Institut brésilien de réforme agraire) et son successeur, l’INCRA, de ce patrimoine? La répartition se fait en plusieurs temps. Un premier stade est vite atteint, celui de la licence d’occupation, (cf. document n° 1), il suffit pour l’obtenir de résider habituellement sur la parcelle concernée et de la mettre effectivement en culture. L’INCRA donne alors un document et une plaque peinte au numéro de la LO, barrés des couleurs nationales, vert et jaune, que l’on remarque souvent devant la parcelle, en bordure de la route. Au 1/1/74, 767 avaient été attribuées, au 1/5/74 972, avec un maximum de 500 ha et une moyenne de 25 ha près de Porto Velho (colonies du gouvernement) et 100 ha. Ailleurs. Pour passer de ce stade au titre définitif il suffit de faire mesurer la parcelle par un géomètre autorisé et d’acquitter la valeur de la terre. Mais ces exigences financières font qu’il est à peu près impossible à la grande majorité des détenteurs de LO d’acquérir ce titre. Et quand bien même ils le pourraient, les services fonciers de l’INCRA sont tellement submergés par le flot

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Loi n2 2 597 de 1955 - Art. 8 : la concession de terres publiques ne pourra excéder 2 000 hectares et l’on considère comme une seule unité les concessions à des entreprises qui ont des administrateurs communs et à des parents jusqu’au 2e degré

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montant des demandes de LO.et l’établissement des dossiers, qu’ils n’y parviendraient sans doute que difficilement.

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D’autant qu’ils doivent s’occuper d’un troisième type de cas, les titres de l’INCRA accordés aux colons des projets intégrés de colonisation : en avril 74, 137 avaient été délivrés, ce qui indique le retard accumulé quand on sait que les différents projets en Rondônia regroupent plus de 5 000 familles. Au total donc, 1 261 titres, dont la plupart provisoires, pour tout le territoire. C’est dire que la possession de fait est la règle.

Dès lors, toutes les exactions sont possibles, et elles ne manquent pas de se produire. On ne compte plus les batailles pour le terre, ou plus exactement pour les benfeitorias, les travaux réalisés, en particulier les défrichements faits, les rixes pouvant aller jusqu’à la mort d’homme. Mais les cas de lutte entre petits agriculteurs ne sont pas les plus fréquents; le paysan respecte presque toujours le travail fait, et il y a tant d’espace qui semble sans maître qu’il vaut mieux consacrer son énergie à défricher qu’à se battre avec qui se défendra âprement. Il existe d’autres conflits plus graves, entre les posseiros, les petits occupants de terres, les squatters, et les fazendeiros les grands propriétaires qui en l’occurrence sont eux aussi des squatters, mais bien plus riches, plus puissants et plus avides.

Véritables aventuriers, ces fazendeiros décident qu’une portion d’espace est désormais à eux, fondant leur droit sur « l’acte de propriété » d’un seringal, papier sans valeur bien que généralement couvert de tampons et de signatures, en fait simple partage de zones d’exploitation de l’hévéa sauvage entre seringalistas voisins. Forts de ce droit et surtout de l’impuissance de la force publique – l’INCRA ne dispose d’aucune force propre et ne peut obtenir de résultats que par l’affirmation du droit, qui laisse ces fazendeiros « sauvages » tout- à-fait indifférents – ils restent. Il s’agit pour eux de faire fortune dans les délais les plus brefs possibles, par l’abattage et la vente des arbres, et par un début de constitution de fazenda d’élevage, avec l’arrière pensée qu’il se passera du temps avant que la région soit policée, et qu’alors il faudra bien reconnaître le fait accompli, au besoin en réduisant un peu les prétentions : raison de plus pour voir grand au départ. Et pour défendre ces terres, on engage des jagunços, des capangas (tueurs, hommes de main), des pistoleiros à la gâchette facile.

Souvent la menace suffit à faire partir le petit posseiro qui n’a pas le moyen de se défendre et peut avoir déjà connu l’expulsion dans le Sud ou le Nordeste. Parfois on en vient à employer la violence à laquelle répond de temps à autres la réaction brutale de ligues éphémères, comme celle qui organisa des embuscades sur la BR364, où moururent quatre hommes de main, en mai 1974, un drame connu pour beaucoup d’autres restés dans l’ombre.

Le statut de la terre lié à celui du Territoire ne détermine pas seulement en grande partie le style de développement du Rondônia, en confinant les petits agriculteurs aux cultures vivrières par absence de crédit rural, réservé aux titulaires d’un titre de propriété, il n’écarte pas seulement les grands projets agro-pastoraux : il est également le grand générateur des conflits sociaux dans le Territoire. Ils existent aussi ailleurs, mais ont ici un caractère particulièrement brutal du fait de la personnalité des fazendeiros, plus aventuriers qu’hommes d’affaires.

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Troisième partie : le Rondônia aujourd’hui, les