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La colonisation privée est très restreinte en Rondônia, du fait du statut du Territoire et de la situation foncière qui en découle. Elle se réduit à deux cas, la Calame SA, qui détient un titre antérieur à la création du Territoire, et la colonisation irrégulière de la Itaporanga SA.

La Calama SA.

Le titre de propriété établi le 14 août 1915 par le gouvernement de Mato Grosso en faveur d’un groupe de porteurs de capitaux de Manaus a été racheté par une société de Londrina, dont les liaisons se perdent dans un réseau complexe de participations croisées. Celui-ci a ouvert en 1965 un bureau à Vila de Rondônia, agglomération alors englobée dans ses terres. Le titre originel portait sur près d’un million d’hectares, mais fut contesté par l’INCRA. On parvint à un accord en 1968, et le titre définitif délivré donne de plein droit 100 585 ha à la société et dégagé pour Vila de Rondônia en large périmètre urbain. Mais pour assurer sa position dans la négociation, la société avait beaucoup vendu entre 1966 et 1968, avec le souci de vendre au plus vite, plus que de constituer un lotissement rationnel. Les ventes ont continue jusqu’en 1973, mais ont cessé depuis, la société se réservant 40 000 ha d’un seul tenant pour créer une fazenda. Les lots vendus sont très irréguliers, avec toutefois un minimum de 60 ha et un maximum de 2l0 ha, et le cadastre révèle une anarchie complète de la distribution. Un pu plus de 600 familles sont ainsi installées, elles étaient déjà en place ou se sont établies à leur gré, quitte à ce que la parcelle soit mesurée et payée ensuite, ou éventuellement réduite. La société cesse toute action après la délimitation et la vente des lots.

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Photo 32 Pose de plaques délimitant un lot vendu par la Calama SA

Bien que la plaque dise « titre définitif », la proprité de la terre est loin d’être établie. Photo Hervé Théry, 1974

La Itaporanga SA.

La principale différence avec la Calama SA est que l’Itaporanga SA n’a aucun droit sur les terres qu’elle vend puisqu’il s’agit de terras devolutas, propriété de l’Union (c’est à dire du Brésil), de terres de la Funai (terres de présence indigène) ou d’une partie des terres de la gleba Corumbiaria. Pourtant l’occupation est déjà bien avancée : au centre, une agglomération, Espigão d’Oeste, regroupe déjà 2 500 personnes, et une route de 24 km la relie à Pimenta Bueno. Plus de 800 000 has ont déjà été vendus, 12 000 défrichés, 450 familles installées; 300 000 pieds de café ont été plantés, 25 000 de bananiers, 20 000 de manioc. En 1973 les terres cultivées produisaient déjà 30 000 sacs de riz, 50 000 de maïs, 5 000 de haricots. Sur 4 000 ha de pâturages plantés on compte 1 300 bovins et 6 000 porcs.

Mais la société, connaissant bien la situation juridique de la région, se garde bien de vendre la terre. Selon le contrat signé, elle ne perçoit que le prix de la délimitation du lot et de l’ouverture des voies d’accès et laisse au colon la « formalité » de faire enregistrer par l’INCRA la propriété du lot. Après avoir payé une forte somme – qui représente souvent le reliquat de ses économies ou de la vente de la terre qu’il a quittée – le colon se présente au bureau de l’INCRA, pour s’entendre dire que le papier qu’il apporte, le reçu de la société, ne vaut rien. Ce procédé douteux provoque régulièrement des scènes difficilement soutenables quand le colon naïf, que les rabatteurs de la société ont su trouver et isoler dès leur arrivée, se rend compte qu’il a été trompé. Pourtant il se console vite quand il sait l’étendue de l’opération et compte, comme tout le monde, que l’INCRA devra reconnaître en droit l’état de fait.

Forte elle aussi de cette conviction, la société, derrière laquelle se profile sans doute, à travers plusieurs sociétés écrans, la banque d’affaires Bamerindus, de São Paulo, a encore de très ambitieux projets. Les terres sur lesquelles elle a des vues se montent à 1 400 000 ha. Les, lots déjà vendus, disposés classiquement au long, des routes de pénétration, ont de 500 a

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2 000 ha. Mais des lots de 5 000 ha sont prévus, ainsi que deux agglomérations de 5 000 habitants. Les extensions prévues sont situées sur les terres des indiens Suruis et Cintas Larges, alors que la Constitution Fédérale garantit aux sylvicoles la pleine possession de leurs terres de parcours. Une politique de distribution de cadeaux entretenant la dépendance (haches de fer, sel, armes à feu) et d’alcool assure l’acculturation accélérée et, à moyen terme, la disparition physique des Indiens, et donc la libre disposition de leurs terres.

Nous avons donc ici affaire à un cas-limite relevant plus du droit pénal que de l’occupation de l’espace : ce scandale est étroitement lié au statut de le terre et ne disparaîtra qu’avec celui-ci, la société cédant la place a une autre du même groupe, plus scrupuleuse. Cela si le recours à la force publique n’est pas décidé, ce que personne ne semble envisager : la société dispose, sans doute, de solides appuis politiques.

La colonisation en Rondônia présente donc divers aspects. Le point commun le plus évident est l’inquiétude qu’on doit avoir sur la capacité des sols à résister à moyen et long terme à une agriculture dévastatrice. Personne ne semble pouvoir offrir une solution applicable sur une grande échelle et dans les conditions socio-économiques actuelles. Or, si le type actuel de mise en valeur est poursuivi, l’exemple des colonies du Territoire est là pour montrer l’issue inéluctable, que ce soit dans le colonies lourdement subventionnées de l’INCRA ou dans les colonies privées où les paysans ne doivent compter que sur eux-mêmes, aucun autre système de culture ne semble envisagé, ce qui paraît indiquer que les objectifs, politiques et financiers, sont à court terme dans tous les cas. Cela ne peut qu’inquiéter si l’on envisage l’avenir du Territoire, dont on affirme régulièrement qu’il se fondera sur l’agriculture. Si celle-ci doit se déplacer de cinq en cinq ans en abandonnant derrière elle des friches inutilisables, outre le fait que les distances s’allongeront et que les infrastructures seront toujours à refaire, on ne peut guère considérer que ce type de développement instable et prédateur soit vraiment sain et souhaitable pour le Territoire.

Cette évolution, qui se répète dans toute l’Amazonie, menace gravement l’avenir de la colonisation. Dans les autres régions de l’Amazonie, y compris la Transamazonienne, naguère « vitrine » du développement amazonien, la politique des grands projets de colonisation est mise en veilleuse, surtout pour des raisons économiques et politiques, et l’accent est mis sur le développement des « pôles » bâtis autour de très grands investissements extractivisme et agro- industriels. Ceux-ci par leur importance financière et leur capacité de gestion, inspirée des méthodes de l’industrie, seraient plus à même d’exploiter rationnellement l’espace, mais peut- être pas de le préserver. Ce changement de politique fait de la situation actuelle du Rondônia le témoin d’une phase déjà dépassée de l’évolution de l’Amazonie.

Pourtant la situation particulière du Territoire fait que la phase nouvelle, surtout fondée sur l’élevage, ne peut pour le moment y trouver les conditions de son développement.

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L’élevage

Photo exergue 11 Boiada en transit sur une route

(photo Hervé Théry 1974)

L’élevage; activité considérée comme d’un très grand avenir en Amazonie, objet d’innombrables projets dans toute la périphérie sud de l’Amazonie légale (sphère d’action de la SUDAM, qui attribue les « stimulants fiscaux ») n’est que très peu développé en Rondônia. À cela plusieurs raisons :