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En outre un très grave déficit apparaît quand on examine la qualification : le Rondônia manque de cadres spécialisés. Ce déficit dont se plaignent tous les responsables et tous les rapports officiels est sensible dans tous les secteurs, il manque des administrateurs, des géologues, des architectes, des médecins, spécialistes ou non, des professeurs, tous les types

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de « professionnels » qualifiés. Rien de très étonnant à cela étant donné la croissance explosive des besoins et la création de tant d’administrations nouvelles qui recrutent toutes, dans un Territoire qui n’était encore récemment que très peu peuplé, les rares personnes un tant soit peu qualifiées. Il n’est pas facile de trouver sur place les cadres compétents, d’autant que le système scolaire n’en forme pas un seul, ni de faire venir des spécialistes d’autres régions du Brésil.

On imagine mal ce que représente pour un Brésilien de la côte le Territoire de Rondônia : il partage souvent la plupart des préjugés des Européens sur l’Amazonie, l’Enfer Vert, les Indiens, l’insalubrité, toute la « légende noire » répandue par la littérature à sensation. Et il est vrai que quitter São Paulo, Rio de Janeiro, Porto Alegre ou même Salvador et Recife pour Porto Velho revient à accepter, un sacrifice : le niveau d’équipement sanitaire, scolaire, commercial, la qualité de la vie sociale et culturelle sont beaucoup plus bas dans les régions de l’« interior » que ce à quoi sont habituées 1es classes moyennes de zones développées. Quand quelques uns d’entre eux se décident, pour gagner l’argent qui leur permettra de s’installer dans le Sud (cas fréquent chez les médecins, dentistes, avocats et professions libérales) ou au hasard d’une mutation, à passer quelques années en Rondônia, c’est toujours à regret, avec la volonté bien arrêtée d’en partir dès que possible.

Cette « saudade » (nostalgie) du Sud va très loin et se berce dans des soirées qui regroupent les spécialistes entre eux, souvent autour du churrasco et du chimarrão (viande grillée au feu de bois et infusion de maté) car la plupart de ces déracinés sont des gaúchos du Rio Grande do Sul. Le sentiment d’un exil est d’ailleurs si fort qu’on entend assez souvent, sur un ton qui n’est qu’à demi celui de la plaisanterie : « j’ai reçu une lettre du Brésil » ou « je vais en vacances au Brésil », tant est forte l’impression de se trouver dans un pays différent, une sorte de colonie à l’intérieur des frontières. Ces cadres constituent une société qui vit en cercle fermé, avec un esprit de retour très marqué, et donc la tentation permanente de ne pas se soucier à long terme de l’avenir du Territoire. Le plus souvent pourtant, un premier temps d’enthousiasme fait qu’on veut prendre à bras le corps les problèmes, mais leur gravité, la faiblesse des ressources disponibles amènent les responsables à se laisser gagner par le « virus amazonien » de la nonchalance et du découragement, et la volonté d’intégrer la région au reste du Brésil fait place au désir de terminer au mieux, avec le minimum de soucis, le temps obligatoire.

Il y a donc un déficit chronique en spécialistes, qui voient souvent leur efficacité émoussée par un climat, un style de vie, une mentalité assez déprimante, gaspillée en querelles entre services, et l’on sent ce que cette situation peut avoir de conséquences négatives sur le bon encadrement du développement spontané par les organes responsables. Une amorce de solution a été esquissée par une institution originale et intéressante, le « Projet Rondon ».

Partant de la constatation du manque de personnel qualifié dans le Nord et le Nordeste, alors qu’il en existe dans le Sud et le Sudeste, le Projeto Rondon est une tentative de rééquilibrer la situation : des « opérations nationales » envoient des groupes d’étudiants en fin de scolarité découvrir par eux-mêmes les réalités de leur pays, et prêter leur concours pour des opérations ponctuelles (un ou deux mois de vacances universitaires). Au cours de l’année, 21 « campus avancés » fournissent aux différents organismes une main-d’œuvre qualifiée, gratuite et décidée. Malheureusement ce Projet souffre de quelques défauts qui diminuent beaucoup son utilité : le temps trop court du séjour n’est pas compensé par une programmation rigoureuse de l’encadrement, si bien qu’il faut souvent improviser très vite des actions partielles pour occuper les étudiants, sans grand profit pour la communauté, qui aurait besoin d’action planifiée et suivie.

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Un programme complémentaire est prévu dit d’« intériorisation », visant à fixer de jeunes spécialistes, pour deux ans, dans les zones de l’intérieur, en leur fournissant des contrats avantageux. Mais cette partie, encore peu développée, semble bien secondaire par rapport aux transports massifs d’étudiants à travers le Brésil (par les soins de l’Armée de l’Air), l’objectif principal paraissant être de faire découvrir aux universitaires du sud les parties arriérées du pays, pour assurer l’homogénéisation du pays. Malgré ces réserves, ce projet constitue une initiative intelligente, et en Rondônia tout le monde connaît les camisetas (T-shirt) frappées du sigle du projet Rondon, grâce au campus de Porto Velho, tenu par l’Université Fédérale du Rio Grande do Sul, qui à vu passer en 1973 près de 200 étudiants et professeurs, de médecine, médecine vétérinaire, agronomie, géologie, architecture, génie civil, droit, administration, etc.

Mais le problème n’est pas seulement celui du nombre et de la qualité du personnel d’encadrement : c’est aussi celui des institutions qui les emploient : selon qu’elles sont plus ou moins bien organisées, les compétences sont plus ou moins bien utilisées. En Rondônia les structures sont diverses, des administrations locales anciennes sont débordées et les nouvelles administrations fédérales encore inexpérimentées.