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Deux groupes apparaissent nettement : des activités diffuses et des activités concentrées. Dans le premier groupe se classent bien sûr les extractivismes : les ressources en bois hévéas et noix du Brésil sont disséminés sur tout le Territoire, dans l’omniprésente forêt. De plus, la grande dispersion de ces espèces fait qu’une unité d’exploitation doit couvrir d’énormes superficies pour disposer d’un nombre suffisant d’arbres. C’est ce que confirmerait une carte des seringais – encore à établir puisqu’ils n’ont pas d’existence – juridique reconnue, leur superficie étant surtout l’expression de rapports entre les propriétaires : cette carte couvrirait tout le Territoire, appuyant ses limites sur l’hydrographie.

S’y ajouterait encore, avec bien des recoupements, la carte des autorisations d’exploitation de cassitérite et les fazendas d’élevage. En théorie, la société qui exploite la cassitérite doit verser un pourcentage au propriétaire, c’est à dire les seringalista, et bien des fazendas sont d’anciens seringais rachetés. Parfois une même une portion d’espace est revendiquée par ces trois activités, sans aucun conflit puisqu’aucune d’entre elles ne s’y exerce en fait. Car ces activités ne sont souvent diffuses qu’en droit et les prétentions émises ne sont pas toujours – on pourrait même dire sont rarement – suivies d’effet. Si l’on se penche sur la carte des exploitations réelles, le panorama change. En se reportant aux cartes n° 12 et 14 on peut constater que les scieries et mines en activité sont en réalité étroitement localisées à proximité de la route, pour des raisons faciles à comprendre d’accessibilité et surtout d’écoulement de la production, minerai ou grumes. Ce n’est pas tout à fait vrai des seringais, implantés plus anciennement, donc sur les fleuves, où la production à écouler, les boules de caoutchouc, est plus maniable et moins encombrante. Pour les plus isolés, les frais de

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transport jusqu’à la route sont largement compensés par le fait que le seringalista profite de cet isolement pour payer à vil prix le kilo de caoutchouc.

Malgré tout, on a noté que le plus grand nombre des seringais encore en activité est situé dans les zones traversées par la route. Le développement des activités nouvelles a donc en partie et localement bénéficié aux activités extractivistes les plus traditionnelles, et la localisation à proximité de la route est aussi profitable aux seringais. C’est donc seulement en apparence qu’il y a des activités diffuses et il n’existe pratiquement en Rondônia qu’un seul type de localisation, si tant est que l’on puisse considérer comme localisation unique la proximité d’une route qui s’étend sur mille kilomètres. C’est pourtant ce qu’on doit faire puisque cette « localisation » concentre, toute l’activité du Rondônia : c’est la route qui est en Rondônia le « focus » de l’activité.

Les hommes

Photo exergue 14 Commerce et chalands

(photo Hervé Théry 1974)

Pour s’en persuader, on disposé d’un indicateur simple, la répartition de la population. Il n’existe malheureusement pas de données très précises, on a vu que les services statistiques sont très embryonnaires et ne peuvent ni estimer la population globale, ni encore moins en donner la répartition. Ce n’est que grâce à une source inattendue que l’on peut avoir des chiffres intéressants, la SUCAM, qui a pour tâche essentielles de lutter contre malaria en traitant les bâtiments au DDT. Des tournées régulières sont faites, au moins deux fois par an, ce qui suppose un fichier complet des bâtiments à traiter. Ce fichier, bien qu’organisé très pragmatiquement, en fonction des moyens de transport, nous livre tout de même, si on l’examine de près, une idée assez précise de la répartition des habitations. Et si on leur applique un coefficient de 5,5 personnes par logement (calculé par la Sucam et le Serfhau à partir des données du recensement de 1970, actualisé en 1972) donne un « instantané » de la population et de sa répartition au premier semestre 1974.

Organisées par « tournées » pour les équipes qui vont appliquer le DTT, ces fiches sont regroupées en fonction de régions (par exemple zone rurale de Porto Velho et de

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Guajará-Mirim), mais surtout des axes de circulation (fleuves, chemin de fer, routes). Or, les villes étant évidemment situées elles aussi sur les axes routiers, on ne peut compter comme situées hors de la localisation « à proximité de la route », que les catégories « mines et seringais » et « fleuves ». Ce faisant, on surestimera encore la population isolée, car bien souvent ce sont les tronçons de fleuves les plus proches de la route qui sont les plus peuplés, et on a vu combien les mines sont tributaires de la route, même si elles en sont assez éloignées (de quelques dizaines de-kilomètres). On arrive alors à un total de 8 265 habitations, donc environ 45 000 personnes, moins de 20 % de la population du Territoire, et ce sont donc plus de 80 % des habitants du Rondônia qui sont installés à proximité des routes. Soit, si l’on prend une profondeur moyenne de 2,5 kilomètres de part et d’autre des 1 300 kilomètres de routés, une superficie de 6 500 kms2, 2,75 % de la superficie totale du territoire, auxquels il faut adjoindre 14 000 kms2 de projets de colonisation. Donc un total de 20 500 kms2, un peu moins de 10 % de la superficie totale, où la densité serait donc de prés de 9 habitants par km2, densité toute théorique à cause de la présence des villes, qui regroupent plus de 110 000 habitants, soit 46 % de la population du Territoire.

Il y a donc deux Rondônias, au moins du point de vue de l’organisation et même du point de vue de la simple occupation de l’espace : un Rondônia « utile », peuplé, sur les axes routiers, qui regroupe 80 % de la population sur 10 % de la superficie, et un Rondônia vide où 20 % des habitants sont dispersés sur 90 % des terres. Encore faudrait-il y distinguer quelques taches – seringais et mines – et quelques lignes – les fleuves – où se regroupe le reste de la population. En ajoutant encore un ou deux pour cent de la superficie, on regrouperait tous les « écarts » : plus des 95 % du Territoire sont donc complètement vides, face à quelques axes secondaires et à un axe majeur, où vit l’essentiel de la population. Cette première distinction, très tranchée, est le trait majeur de l’occupation et de l’organisation de l’espace. Il faut maintenant approfondir cette analyse.