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La colonisation publique : le gouvernement du territoire

Il s’agit d’une colonisation de taille plus restreinte, et aussi plus ancienne puisqu’elle date de 1948 pour les colonies de Porto Velho et de 1956 pour la colonie Iata, près de Guajará-Mirim. C’est à ce titre surtout qu’elle est intéressante, car elle montre l’évolution sur

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plus de vingt ans d’une colonisation assez peu différente de celle que mène actuellement l’INCRA.

Caractères généraux

Cette colonisation se compose de cinq petites colonies (150 colons environ) proches de Porto Velho et d’une colonie plus grande, Iata, prés de Guajará-Mirim, voisine de la colonie INCRA de Sidney Girão. Il est difficile d’avoir mieux que des impressions sur ces colonies, la division de colonisation de la SEAC n’étant pas en mesure de présenter un cadastre, ni même un plan, et ne pouvant donner qu’une idée approximative du nombre des colons. L’incompétence ou l’indifférence sont la règle du haut en bas de cette administration, à quelques exceptions près, dont deux ou trois techniciens agricoles venus du Sud, mais dont la bonne volonté s’émousse vite devant la désorganisation profonde des colonies et l’inertie des responsables. Le tableau n° 8 (toutes les colonies comparées, INCRA et autres) donne un ordre de grandeur de ces colonies.

Les lots distribués au long des routes de pénétration et de desserte étaient à l’origine de 25 hectares. Le gouvernement fournissait au départ outils, semences, assistance médicale et technique, les colonies devant en échange ravitailler Porto Velho et Guajará-Mirim. Ce système, après avoir connu un certain succès en fixant plusieurs milliers de petits paysans nordestins déjà sur place depuis la construction du chemin de fer, anciens seringueiros ou paysans venus tout exprès, recrutés dans le Ceará et le Maranhão par des agents du gouvernement du Territoire, est vite entré en crise. Les Nordestins, croyant trouver une terre de Cocagne, ont défriché et brûlé avec enthousiasme, pratiqué sans précautions des cultures vivrières qui ont ruiné les sols, et les abandons se sont vite multipliés, jusqu’à la décadence complète que l’on peut constater actuellement.

Les paysages n’évoquent aucunement une colonisation organisée. Au bord des routes mal entretenues, une forêt basse, broussaille d’espèces secondaires, la capoeirera, atteste seule les anciens défrichements. De loin en loin une maison de pau a pique, typique des colons nordestins, au bord même de chemin, les habitudes du Nordeste ont été transportées ici. On ne voit même pas les quelques lopins de subsistance, car les colons préfèrent utiliser les derniers lambeaux de forêt des fonds de lot ou la capoeira qui repoussé sur les anciens brûlis. Les délimitations anciennes des lots ont disparu, chacun a deux ou trois parcelles qui ne correspondent plus aux anciennes limites, les plus riches ont jusqu’à 500 ha, taillés selon leur commodité, pour l’élevage de quelques zébus.

Le gouvernement a pratiquement abandonné ces colonies dont il n’espère plus rien. Son aide se résume au passage hebdomadaire – et payant – d’un camion pour le transport des personnes et des produits, et au fonctionnement d’une machine à décortiquer le riz. Constat d’échec donc, malgré la réussite éclatante d’une colonie japonaise, qui ne fait que souligner amèrement qu’une autre voie était possible.

Les colonies proches de Porto Velho

Cinq colonies, trois proches de la BR364, à laquelle elles sont reliées par des routes carrossables : 13 de setembro (km 12), Periquitos (km 12), Candeias (km 25) deux proches de la BR 319, Areia Branca (km 8) et Paulo Leal (km 25).

Dans ces cinq colonies il ne nous a pas été possible d’estimer le nombre exact des colons, dont personne d’ailleurs ne semble se soucier. Ceux-ci vivent en autosubsistance à peu près totale, tirant un petit revenu de la vente du charbon qu’ils fabriquent à partir du bois de la

capoeira. La division de colonisation a complètement abandonné les colonies les plus

lointaines (Periquitos et Candeias) et n’assure plus guère dans les autres que l’entretien des routes, bien que les bouteurs laissent parfois un chantier urgent pour travailler chez un

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fazendeiro bien introduit auprès des responsables. Certaines parcelles servent même de

résidence de campagne à des citadins aisés, bien que ces terres soient en principe réservées à l’agriculture. Mais la situation foncière est ici aussi très embrouillée et l’INCRA, qui doit donner des titres définitifs sur proposition de la Secretaria, hésite à le faire : il est fréquent que les terres changent de mains sans que personne en soit avisé, et la petite équipe de la division de colonisation (deux agronomes et un technicien agricole) ne suffit même pas aux tâches d’enregistrement. Les bonnes volontés sont vite découragées par cette situation confuse, par le manque de crédits et se rendent vite compte que personne ne souhaite vraiment que quelque chose change dans ces colonies moribondes.

Une partie de la colonie 13 de Setembro tranche sur la situation générale : c’est la colonie japonaise. Arrivés en 1946 par bateau spécial, depuis Osaka, via Belém et Manaus, 33 familles ont bénéficié des conditions-similaires à celles faites aux Brésiliens, la seule différence tant la taille des lots (30 ha au lieu de 25). Après diverses expériences pour déterminer quelle était la culture la plus rentable dans ces conditions nouvelles, la colonie japonaise s’est tournée vers l’aviculture et l’horticulture. Actuellement 31 familles sont présentes, leurs exploitations ravitaillent la ville de Porto Velho en volailles, œufs et légumes. Les poussins, les aliments équilibrés, les médicaments viennent de São Paulo, fournis par des firmes nippo-brésiliennes, 60 % des colons bénéficient de crédits du Banco do Brasil. Les fientes de poules s’ajoutent aux engrais chimiques venus de São Paulo pour fumer les jardins très soignés, arrosés ou irrigués, ou est employé une main-d’œuvre brésilienne. Les exploitations sont autonomes et la concurrence est sérieuse, mais l’entraide fonctionne le cas échéant, sous la direction du conseil des anciens et du chef de communauté qui régissent la colonie, dont les enfants se marient entre eux et ne partent guère que pour de séjours à São Paulo. La prospérité de cette colonie est évidente, ses maisons sont en partie faites en maçonnerie, elles disposent toutes de l’électricité. Chaque exploitation a ses machines, ses entrepôts pour les engrais et les récoltes, son tracteur, presque toutes un camion pour aller vendre les produits à Porto Velho. Cette prospérité, véritable, est d’autant, plus visible qu’elle est soulignée par le, contraste avec la misère des colons brésiliens voisins.

Iata

Cette colonie, proche de Guajará-Mirim fut un temps le grand œuvre du gouvernement du Territoire. Desservie par le chemin de fer de l’EFMM qui la reliait à Guajará-Mirim, la colonie devait ravitailler la ville et fixer une importante population agricole à la frontière bolivienne. Fondée en 1956, elle connut son apogée à la fin des années cinquante, avec mille familles installées selon un parcellaire rigoureux, un centre bien organisé et pourvu de tous les équipements souhaitables (groupe scolaire, églises catholique et protestante, poste, gare, commerces). Cinq linhas parallèles à la voie du chemin de fer étaient reliées à celle-ci par une route large et bien entretenue. Les lots de 25 ha s’alignent le long de ces linhas, baptisées chacune du nom d’un grand homme du Territoire ou d’un président des États-Unis du Brésil (carte n° 24) Mais l’épuisement des sols, qui apparut six à sept ans après les derniers défrichements, commença à faire baisser les rendements et les revenus. Tant qu’aucune autre solution n’exista, les paysans restèrent avec une résignation toute nordestine. Mais le boom de la cassitérite, les travaux d’ouverture de la route, l’implantation de la colonie INCRA Sidney Girão, où l’on offrait 100 ha de terre vierge et toutes sortes d’avantages, vidèrent les parcelles les unes âpres les autres.

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Photo 31 La colonie japonaise

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Carte 23 Localisation de la colonie Iata

Actuellement le nouvel administrateur nommé pour relever la colonie estime à 400 familles les colons qui sont restés, sont revenus ou ont pris la place de ceux qui partaient. Ils se répartissent principalement au long de la BR319 (qui est venue traverser les parcelles au

niveau de l’ancienne linha 4), et de ce qui reste des anciennes linhas ou des chemins de traverse entre elles. Certains colons ont maintenant des surfaces de 500 ha ou plus. Pour se voir attribuer le titre de l’INCRA, on met des parcelles au nom de parents ou d’amis pour les

« racheter » ensuite. Personne d’ailleurs ne sait très bien quel est le cadastre réel, pas même les administrateurs trop souvent changés.

En juin 1974, un effort a été tenté par un technicien venu du Rio Grande do Sul nommé administrateur, avec deux techniciens agricoles et une assistante sociale, tous décidés à rendre quelque vie à la colonie. Le premier travail, et il n’était pas simple, a été de recenser colons et parcelles. Les colons, après tant d’années d’isolement, voient avec effroi arriver la jeep de l’administrateur et répondent à ses questions en jetant autour d’eux des regards affolés. Certains savent à peine leur nom, presque tous sont analphabètes. Ils sortent de pauvres portefeuilles des papiers vieux de vingt ans, n’ayant jamais pensé à les renouveler, respectueux du papier imprimé mais ne le comprenant pas et présentant comme titre de propriété un certificat de mariage ou une quittance d’impôts. Abasourdis par des questions trop précises ils répondent tant bien que, mal en unités nordestines archaïques (tarefa ou

jornada pour la superficie cultivée, palmas pour les dimensions de la maison, leguas pour les

distances). Peu à peu pourtant ils sortent de leur isolement et vont voir l’administrateur à toute heure, le confondant avec toutes les autorités auxquelles ils devraient avoir recours, INCRA (pour le titre de propriété), Banco do Brasil (pour le crédit), police ou justice. Les vieux rapports du latifundio renaissent lentement, à la grande fureur de l’administrateur, qui voudrait voir les colons plus autonomes. Mais ceux-ci, malgré de sporadiques velléités de jacquerie, avortées avant de dépasser le stade du mouvement d’humeur ou de la pétition, ont avec lui des rapports de soumission apparente qui dissimulent rancune et obstination à ne tenir aucun compte de ses conseils, de ses projets qui pourraient modifier leur vie trop tranquille. Pourtant ces projets seuls peuvent empêcher qu’ils ne soient chassés de cette parcelle qui est leur seul bien. Car des colons plus entreprenants – ce sont rarement ceux du lotissement originel – ont entrepris de se constituer de vastes domaines destines à l’élevage, trouvant plus avantageux d’acheter à bas prix – ou de s’approprier - ces hectares déjà défrichés et

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susceptibles de recevoir un titre de propriété, que de défricher des terres publiques dont la possession est illégale.

En effet le titre définitif n’est donné qu’après paiement d’une somme minime – 350 Cr$ pour 25 ha – mais que les colons ne peuvent payer : il est très facile d’acheter leur parcelle en la faisant d’abord mettre à leur nom, pour obtenir le titre qui rend la terre négociable. Ainsi des nouveaux latifundios se constituent à l’intérieur même d’une colonie qui avait pour projet de donner une terre à des paysans qui n’en possédaient pas dans le Nordeste accaparé par les latifundios. Cette solution n’est pourtant pas la meilleure car en bien des endroits des herbes impropres à la consommation par le bétail colonisent les sols épuisés, que l’on doit laisser retourner à la friche.

Face à cette situation l’administrateur veut relancer la petite agriculture, insistant sur la production maraîchère et fruitière, tout en développant des unités d’élevage qui ravitaillent en lait frais Guajará-Mirim (où le lait en poudre est le seul connu). Mais pour cela des crédits énormes seraient nécessaires, pour l’éducation des colons qui ne connaissent que le brûlis et une fruste agriculture de subsistance, pour acheter équipements et engrais. Or l’argent manque même pour l’essence indispensable aux jeeps, bloquant ainsi jusqu’au recensement des colons. Le peu dont dispose la SEAC est utilisé à ouvrir de nouvelles linhas au-delà de la BR319, solution de facilité qui ne fait que donner un nouveau délai au bout duquel les mêmes problèmes se reposeront. La volonté qu’a la SEAC d’avoir ses propres colonies pour faire pièce a 1’INCRA ne va pas jusqu’à leur donner des chances sérieuses de réussite, et la reprise de la colonie a toutes les chances d’échouer malgré l’enthousiasme de l’équipe nouvelle, qui se lassera probablement vite devant les impossibilités matérielles : la voie sera alors libre pour les accapareurs de terre et la « vieille » colonie, vidée de ses colons qui auront traversé la route pour prendre un nouveau lot, deviendra un groupe de latifundios, si le chiendent n’en fait pas une vaste friche. Et il ne restera du temps de la splendeur de Iata, au milieu de la

capoeira, que les bâtiments du centre, somptueusement mais imprudemment construits en

maçonnerie, pour durer.

Carte 24 La colonie agricole Iata

À la lumière de ces divers cas, nous pouvons tenter une conclusion sur la colonisation publique en Rondônia : dans le cas de la colonisation du gouvernement du. Territoire, si l’ouverture de linhas supplémentaires peut donner pour quelques années un sursis transitoire,

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il ne faut pas moins constater leur échec complet, tant sur le plan social que sur celui de la production : cela ne peut que donner des inquiétudes sur l’avenir des colonies de l’INCRA. Certes les parcelles données actuellement sont plus grandes, 100 ha au lieu de 25 (mais la moitié doit être laissée en friche). Certes l’INCRA dispose de bien plus de moyens que le gouvernement du Territoire (mais qui garantit qu’il en disposera toujours?). Le système de culture est bien le même, sur des sols identiques, à Sidney Girão, et sans doute pas tellement meilleurs à Ouro Preto et Gy-Paraná, en tout cas pas au point de supporter indéfiniment des cultures sans engrais ni précautions.

L’exemple des colonies du gouvernement devrait inciter les responsables de l’INCRA – à supposer qu’ils en aient encore demain les moyens – à créer au plus vite le système de commercialisation qui permettra seul aux petits colons de dégager le revenu suffisant pour pratiquer, avec l’aide technique de l’INCRA, une agriculture plus productive et moins prédatrice. Mais c’est 1à réclamer un effort financier, une organisation, un changement de mentalité dont l’histoire de la colonisation au Brésil – quand elle est faite avec des colons brésiliens – offre bien peu d’exemples. C’est pourtant 1à que se joue l’avenir de la colonisation publique en Rondônia.