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Le schéma de colonisation et le paysage résultant

La colonisation publique fédérale : l’INCRA

Carte 16 Le schéma de colonisation et le paysage résultant

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Photo 22 Le paysage « tigré » de la colonisation

Photo Hervé Théry, 1974

Chacun de ces lots, désigné par sa linha et sa gleba (groupe de 25 à 30 lots) est occupé par une famille de colons qui y réside en permanence, au contraire du système de la Transamazonienne où l’habitat est groupé. Le « siège » (sede) du Projet comprend l’administration de l’INCRA, ses magasins et ceux de commerçants autorisés, le poste médical et divers services. Il est situé au centre, en bordure de la route fédérale, et peut ou non avoir donné naissance à une agglomération : ceux d’Ouro Preto et Sidney Girão, antérieurs au grand afflux des immigrants (à l’époque où tout colon se présentant recevait un lot) et assez proches de Vila de Rondônia et Guajará-Mirim, sont restés isolés et ne portent pas de nom particulier. Cependant le siège secondaire d’Ouro Preto, Jarú, est maintenant entouré d’une agglomération de 3 500 habitants, qui porte le même nom, celui de Gy-Paraná par la ville de Cacao (8 500 habitants). Le centre est visité fréquemment par les colons qui viennent s’y faire soigner, y reçoivent leur courrier, viennent prendre au magasin de l’INCRA outils et semences, mais aussi viennent se renseigner sur les rumeurs de distributions de semences gratuites, s’inscrire pour une rencontre de football ou un bal, ou simplement pour rencontrer d’autres visages que ceux de ses voisins de gleba. Pour certains, ce déplacement peut représenter plus de quarante kilomètres21, parcourus le plus souvent à pied car les véhicules qui circulent dans le projet sont très peu nombreux (jeeps des agronomes, camions de service de l’INCRA, camions des acheteurs au moment des récoltes).

21 Soit quatre-vingts kilomètres pour aller et revenir. Un simple déplacement au siège prend alors deux ou trois

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Photo 23 Le siège du Projet Ouro Preto

De haut en bas, les logements des techniciens agricoles, le dortoir des visiteurs de passage, les bâtiments administratifs. Photo Hervé Théry, 1974

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Photo 24 Le « centre urbain » de Jarú

Photo Hervé Théry, 1974

Le système de culture est, nous l’avons vu, celui de la lavoura branca, sur brûlis les premières années, ce qui est le cas pour le moment. Mais une assistance technique est fournie par l’INCRA, dans chaque projet un ou plusieurs ingénieurs agronomes supervisent le travail de techniciens agricole, formés dans des collèges agricoles et qui ont chacun sous leur responsabilité environ 250 familles. Ces ingénieurs et techniciens sont originaires du Sud, Sudeste et Nordeste (en particulier Rio Grande do Sul, Minas Gerais et Bahia), sans qu’il y ait de corrélation étroite avec les origines des colons. L’élément décisif est le plus ou moins bon équipement d’une région en collèges agricoles (qui dépend de la politique nationale d’équipement) et de l’origine des ministres de l’Agriculture, qui favorisent pour le recrutement telle ou telle région. Ils ont eux-mêmes à découvrir cette contrée inconnue pour pouvoir conseiller utilement les parceleiros, mais les seuls conseils généraux (de choix de semences, de bon espacement des cultures, etc.) suffisent à élever les très faibles rendements de l’agriculture vivrière. En outre des spécialistes (à Ouro Preto surtout) aident à planter cacao, café et hévéa, après avoir été formés dans les écoles spécialisées de Bahia et Campinas. Cette assistance technique est assez efficace pour ce qui est de la production, d’autant que le

parceleiro est obligé par son contrat de tenir compte des conseils qui lui sont donnés.

Résultats. Il n’en est pas de même pour ce qui est de la commercialisation : 90 % des

produits sont vendus à des intermédiaires, les marreteiros, qui entrent jusqu’à la parcelle pour acheter et emporter la récolte, ce qui évite même au paysans le problème du transport. Il va sans dire que les prix, au moment où tous les produits sont mis sur le marché simultanément22, sont très bas (30 cruzeiros au lieu de 40-45 pour un sac de riz). Cette situation, hélas fréquente dans les colonisations du Brésil, a pour conséquence que le plus clair du bénéfice va aux intermédiaires établis dans les villes, indépendants ou non, et aux transporteurs qui obtiennent ainsi du fret de retour pour les camions qui viennent de São Paulo (l’ACAR estime que l’on exporte ainsi 87 % de la production, quitte à réimporter ensuite aux moments de soudure).

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C’est la le problème le plus sérieux posé à l’INCRA, qui tente d’installer un système de coopérative, dont les premiers résultats ne se feront sentir qu’en 1975 à Ouro Preto. C’est seulement si les colons peuvent dégager un revenu suffisant de la vente de leurs surplus qu’ils pourront rembourser à l’INCRA les avances faites, quand viendra le moment de l’émancipation (retrait de l’INCRA et remise des titres définitifs de propriété). Pour le moment, seuls quelques colons plus aisés, ou plus évolués ont su vendre à bon prix, souvent en se chargeant du transport, et économiser assez pour rembourser le cas échéant. Mais pour la plupart des colons ce stade est loin d’être atteint et l’on peut douter qu’il le soit jamais, si rien n’est fait pour améliorer les conditions de commercialisation.

Photo 25 Réunion de colons dans une gleba d’Ouro Preto

Photo Hervé Théry, 1974

De ce fait, les principaux résultats de la colonisation de l’INCRA ne se chiffrent pas en valeur de la production, mais en colons fixés et, généralement, contents de l’être. On peut estimer que les trois projets, avec un total de plus de 5 000 familles installées (en juillet 1974) regroupent une population d’environ 30 000 personnes, sur les 240 000 habitants du Territoire. On doit aussi compter au crédit de l’INCRA l’assistance apportée, qui précisément différencie le sort des parceleiros de celui des posseiros. Elle se manifeste dans divers secteurs.

Crédit et assistance médicale. Au cours des six premiers mois le parceleiro reçoit un

crédit d’alimentation égal au salaire minimum, remboursable à l’échéance de l’émancipation. De même, lui sont fournis à crédit outils, semences, insecticides et pesticides. Il peut également obtenir un crédit pour la construction de sa maison, le bois étant fourni à bas prix (c’est le plus souvent de l’acajou provenant des parcelles et débité par la scierie de l’INCRA d’Ouro Preto) et éventuellement le travail d’une équipe de charpentiers de l’INCRA, qui construisent la maison en quelques jours selon un plan standard. Les dépenses médicales (médicaments et hospitalisation) sont également portées au compte du parceleiro. L’assistance médicale est assurée par des médecins et infirmiers de l’INCRA. Cet organisme a

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également engagé, à Ouro Preto, un ingénieur agronome spécialisé de la lutte contre la malaria, qui coordonne les traitements au DDT que la SUCAM ne peut plus assurer dans tous les projets. Pour lutter contre la verminose, les techniciens agricoles imposent la construction de fosses et l’achat à crédit de filtres a eau.

Éducation. Devant la carence de la Secrétariat à l’éducation, l’INCRA met en place son propre système scolaire, des écoles primaires dispersées, d’abord dans des paillottes provisoires, puis dans des bâtiments standard que les charpentiers construisent en quelques jours, et qui servent aussi aux cultes, aux réunions de parceleiro, aux fêtes. Un ginasio (enseignement secondaire) doit exister au siège, mais il ne fonctionne pour le moment qu’à Ouro Preto et Cacoal. En outre, en liaison avec le MOBRAL (Mouvement brésilien d’alphabétisation), l’INCRA assure des cours pour les adultes, un cours d’alphabétisation fonctionnelle est fait en 5 mois, les livres étant fournis par le Moral. On peut ensuite suivre un programme d’un an d’éducation intégrée (qui concentre les quatre années d’enseignement primaire et donne le droit comme lui de suivre les cours du ginasio), pour les enfants, ou du projet Minerve pour les adultes, par la radio. Le principal problème que rencontre l’INCRA est celui du recrutement d’enseignants, malgré la faiblesse du niveau requis (il suffit d’avoir suivi les quatre ans de l’enseignement primaire). Le faible salaire (un salaire minimum, 300

Cruzeiros) fait que les seuls candidats sont des filles de parceleiros qui augmentent ainsi le

revenu familial un peu plus qu’en travaillant aux champs.

Photo 26 École rurale construite par l'INCRA

Photo Hervé Théry, 1974

Organisation communautaire. Pour la promouvoir, l’INCRA organise dans chaque

gleba une UATP (Unité agricole de travail et de production) où les parceleiros sont incités à prendre des responsabilités et á s’organiser, ce qui par ailleurs soulage d’autant le technicien agricole. Chaque UATP doit ainsi élire ou désigner :

- un responsable de l’agriculture et de la commercialisation. Il vient chercher semences et produits de traitement, fait la liaison avec le technicien pour lui donner les statistiques de la gleba et transmettre les instructions techniques.

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C’est lui aussi qui doit inciter les parceleiros à vendre leur production à la coopérative;

- un responsable de l’éducation. et des loisirs. Il fait la liaison avec les responsables de l’éducation du projet et organise fêtes, bals, etc.;

- un responsable des communications et du crédit. Il fait la liaison entre la gleba et l’INCRA ou le Banco do Brasil;

- un responsable des routes. Il en assure la conservation en organisant le travail collectif ou en demandant l’aide des machines de l’INCRA

- un responsable de la santé et de l’habitation qui assure là liaison avec les responsables de l’INCRA;

- un conseiller. Il joue le rôle d’un juge de paix officieux chargé de régler par arbitrage les querelles dans la gleba. Il est recommandé d’élire à ce poste le doyen de la gleba

Cette organisation était en phase d’implantation en 1974. On peut penser qu’elle allégera considérablement le travail des techniciens agricoles et facilitera les relations entre les parceleiros et l’INCRA, qui aura affaire à moins d’interlocuteurs. De plus, en favorisant l’organisation des parceleiros et en leur confiant des responsabilités, l’INCRA leur fait faire un pas vers l’émancipation, qu’un paternalisme complet rendrait très difficile.

L’ensemble de cette assistance n’est pas assuré partout : si le crédit est partout le même, les autres secteurs sont surtout forts à Ouro Preto, et encore assez déficients ailleurs, principalement pour ce qui est de l’éducation.

Photo 27 Les colons demandent conseil aux techniciens de l’INCRA

Au premier plan le technicien agricole parle aux hommes. À l’arrière-plan l’assistante sociale parle aux femmes. Photo Hervé Théry, 1974

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Origine des colons. Les colons sont pour la plupart originaires de la région Sudeste

(carte n° 17), sauf dans le PIC Sidney Girão, prés de la frontière bolivienne (qui a reçu les colons nordestins de Iata, la colonie du gouvernement du Territoire, toute proche). Cette région domine largement dans les secteurs successivement ouverts d’Ouro Preto et à Gy- Paraná. Á l’intérieur de cette région, on remarque spécialement les États de Minas Gerais et Espírito Santo. Les pourcentages des cinq premiers États pour les différents projets (renseignements tirés des fiches IC d’identification et classification apparaissent sur le tableau n° 10).

Ces colons ont le plus souvent déjà connu une ou plusieurs expériences de migration à longue distance, principalement dans le Mato Grosso et le Paraná (voir les analyses détaillées dans les PICs Ouro Preto et Gy-Paraná). Ils doivent en principe, à leur arrivée en Rondônia, se présenter au centre de sélection de Pimenta Bueno, mais s’en dispensent souvent et vont directement au projet de leur choix, où on leur fait remplir une fiche IC (identification et classification)

Photo 28 L’accès au lot, en saison sèche ….

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