• Aucun résultat trouvé

3 – Un seul corps ou une holophrase ? Débilité ou psychose ?

PAS SANS LE SUJET

I. 3 – Un seul corps ou une holophrase ? Débilité ou psychose ?

Dans le séminaire sur Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, au moment où Lacan introduit la notion de l’holophrase, il fait allusion à l’ouvrage de Maud Mannoni qui venait de sortir « L’enfant arriéré et sa mère », dont il recommande la lecture. Il vient de définir l’holophrase comme le premier couple de signifiants qui se solidifie : autrement dit il n’y a pas d’intervalle entre S1 et S2.

C’est dans cette leçon aussi qu’il déploie un mathème sur le tableau (p. 215) :

X

S1

O.s, s′, s″, s‴, … S (i (a, a′, a″, a‴, …)) S2

O.s, s′, s″, s‴, … S (i (a, a′, a″, a‴, …)) Je ne suis pas sûr de saisir tout à fait, à partir de la disposition que Lacan pro-pose, le rapport entre le X qui correspond probablement à la place du sujet comme x l’énigme du « que suis-je », en rapport avec le signifié du désir de la mère (dans la méta-phore paternelle).

On retrouve un schéma analogue à la page 226, sauf que là nous avons à gauche toujours

Le deuxième schéma accompagne le passage où Lacan parle de l’interprétation en tant qu’elle n’est pas ouverte à tous les sens, qu’elle est significative, mais qu’au delà de cette signification, ce qui est essentiel, c’est que le sujet voit à quel signifiant — non sens — irréductible, traumatique, il est, comme sujet assujetti.

Sur le premier tableau, l’enfant débile trouverait place dans la suite des identifica-tions de ce S au regard de « ce quelque chose à quoi la mère le réduit à n’être que le support

de son désir dans un terme obscur ». Ici Lacan décrit le processus en termes

d’identifications successives, il n’a pas encore établi l’objet a comme réel, identifications qui correspondent à toute une série de cas.

Lacan avance un peu plus loin qu’il s’agit de quelque chose du même ordre dans la psychose. On retrouve cette « prise en masse » de la chaîne signifiante primitive, qui interdit l’ouverture dialectique dans le phénomène de la croyance psychotique. La thèse de Mannoni que l’enfant arriéré et sa mère ne forment qu’un seul corps à certains mo-ments, le désir de l’un se confondant avec celui de l’autre. Tous les deux semblent vivre une seule et même histoire dont le support est ce corps atteint de blessures identiques. À l’instar donc d’un couple d’amoureux qui « ne font qu’un corps » (fantasmatiquement parlant dans ce cas), l’enfant débile et sa mère n’ont réellement qu’un corps pour deux. On se rend compte que la position de Lacan est critique par rapport à cette conception d’un seul corps pour deux, comme il l’a été lors de ces journées de septembre 1969 où il a prononcé le texte de clôture des journées.

Nous pourrions dans la perspective de l’holophrase dire que c’est « une phrase pour deux » que constituent les signifiants quand ils sont pris en masse. L’absence d’intervalle précipite le petit sujet du coté de l’identification à l’objet i(a). Les effets de sens se trouvent du coté gauche dans la série qui commence par O (pour Objet ?).

Ce mathème précède celui qui va venir figurer le fantasme. Dans cette écriture le sujet se trouve prisonnier, coincé qu’il est en quelque sorte entre la série du sens et l’identification à l’objet : s’agit-il d’identification imaginaire ici ? Nous aurions tendance à le dire. Pour revenir à Mannoni, la réponse de Lacan vient donc cinq ans plus tard, avec l’introduction du sujet de la jouissance (1966) et, un peu après, avec le mathème du fantasme qui dégage autrement la place de l’objet.

Il faut déjà bien des ravages exercés par le signifiant pour qu’il soit question de réalité. Ceux-ci (les ravages exercés par le signifiant) sont à saisir bien tempérés dans le statut du fantasme, faute de quoi, le critère pris de l’adaptation aux institutions humai-nes, revient à la pédagogie : « le préjugé irréductible dont se grève la référence au corps tant

éli-sion qui ne peut se noter que de l’objet a, alors que c’est précisément cet objet qu’elle soustrait, à aucune prise exacte ».

C’est l’éternel mythe du rapport fusionnel avec la mère, héritier du mythe à la sauce psychanalytique de l’amour primaire de M. Balint162. Celui-ci prône la complé-mentarité de deux êtres constitués de la mère et de l’enfant puisqu’il sont supposés avoir des besoins complémentaires. Cette complémentarité supposée peut se déplacer du côté du désir. Maud Mannoni présente quand même les désirs comme pouvant se mutualiser, probablement à partir d’une lecture particulière de la thèse lacanienne connue : « le désir

du sujet c’est le désir de l’Autre ». Cette dernière est dérivée de la thèse hégélienne : « le désir de l’homme c’est le désir de l’autre comme désir de reconnaissance de son désir avant tout ».

Si l’objet cause du désir de la mère est l’enfant, cela laisse sans espoir des hypo-thétiques retrouvailles. Il n’y a jamais d’harmonie entre ces deux désirs, comme chaque fois que se pose la question de correspondance d’accord entre le désir de l’un et le désir de l’autre. C’est l’ironie de la réponse à la thèse hégélienne qui est loin de préconiser une harmonie des désirs. Ceci n’est pas sans rapport avec le fait qu’il y a justement un enjeu de jouissance derrière cette question.

« Disons donc, qu’on ne la comprend qu’à s’opposer à ce que ce soit le corps de l’enfant qui réponde à l’objet a : ce qui est délicat, là où ne se fait jour nulle prétention semblable, laquelle ne s’animerait qu’à soupçonner l’existence de l’objet a. »

Elle s’animerait justement de ce que l’objet a fonctionne comme inanimé, car c’est comme cause qu’il apparaît dans le fantasme : « Cause au regard de ce qu’est le désir

dont le fantasme est le montage ».

Pour comprendre ce passage qui n’est pas évident à saisir, c’est qu’il faudrait — esure entre le fonctionnement du fantasme du névrosé me semble-t-il — prendre la m

pour qui le désir se soutient par le fantasme, par l’élection d’un objet particulier qui vient boucher le trou de l’objet a d’une part, et d’autre part, quand c’est l ‘enfant qui vient avec son corps à cette place, boucher le trou de a car il ne peut s’identifier à cette place que comme inanimé, autant dire sans désir ou avec un désir mort voire désir de mort.

L’on peut justement interroger ici le nombre relativement important de suicides d’enfants en « âge précoce » pour le suicide, encore que l’on peut certainement ajouter que le sujet n’a pas d’âge précisément. Si le prix du désir maternel est celui de s’animer d’un objet qui doit, lui, être inanimé, on peut s’interroger à la fois sur la structure de cette mère qui a un tel désir équivalent à un désir de mort !

« La valeur de la psychanalyse est d’opérer sur le fantasme. Le degré de sa réussite a démontré que là se juge la forme qui assujettit comme névrose, perversion, ou psy-chose ».

Peut-on penser à partir de là que quelque chose aurait une chance de bouger du coté de la subjectivité maternelle ? La question reste entière. Seul le champ de la clinique peut à l’occasion fournir ce genre de réponses.

Peut-on ici s’interroger sur la possibilité de l’extraction de l’objet a dans cette configuration subjective particulière ? Suivons le texte de Lacan.

Et aussi, impossible à bouger, n’était-ce la marge laissée par la possibilité d’extériorisation de l’objet a163.

Le texte dont sont issus les extraits ci-dessus, est moins polémique que ce à quoi on aurait pu s’attendre : pendant deux journées des orateurs divers ont défilé pour parler des psychoses chez les enfants sans que les concepts lacaniens de base n’aient été évoqués. C’est donc plutôt d’une mise au point, d’un recentrage structural qu’il s’est agi.

163. LACAN, J. Discours de clôture des journées sur les psychoses de l’enfant, paru dans Recherches numé-ro spécial « Enfance aliénée » en Décembre 1968. Autres écrits p. 366-368.

Évidemment, l’idée de l’harmonie dans les rapports parents enfants en général et surtout mères enfants en particulier, étaient des thèses solides en psychiatrie de l’enfant, y compris dans les milieux psychanalytiques. Il faut dire que depuis, cette discordance, cette dissonance, cette dysharmonie a largement été interprétée comme un réquisitoire contre les mères.

Dans le siècle où le politiquement correct est devenu une valeur stable dans l’establishment sociopolitique d’aujourd’hui, les thèses lacaniennes pourraient-elles ali-menter la même polémique que celle qui a été entretenue par les associations des parents d’enfants autistes autour de l’œuvre de Bruno Bettelheim164 ? Nous répondrons par l’affirmative à cette question. Le contexte social, politique, mais aussi scientifique au-jourd’hui n’est plus le même. Mais on peut constater qu’un puissant courant thérapeuti-que se développe et se mobilise contre la psychanalyse en général et lacanienne en parti-culier.

Néanmoins, les thèses et mathèmes lacaniens n’ont pas pris une ride. Cela situe tout simplement que le débat a à être soutenu avec le même tranchant sur la base des concepts de structure de clinique et d’Éthique avec d’autant plus de détermination que l’environnement est dominé par des courants pseudo-scientifiques avec des perspectives éthiques douteuses.

Revenons sur les points fondamentaux concernant les psychoses chez le sujet enfant. Un retour à la période de ’68 où l’enseignement de Lacan a introduit des concepts aussi scandaleux que celui de la sexualité infantile de Freud à son époque.

Pour Lacan la question n’est pas de savoir si la mère est suffisamment bonne ou pas — que peut vouloir dire d’ailleurs un tel concept ? Sans doute est-ce une façon, pour le dire trivialement, de couper la poire en deux à côté de la bonne et la mauvaise mère

164. BETTELHEIM, Bruno. La forteresse vide. Paris : nrf Gallimard, 1978. Il y a désormais le célèbre cas de Marcia, mais aussi et surtout le cas de Joey, p. 301-407.

kleinienne, la mère suffisamment bonne ; c’est un compromis car il s’agit toujours d’une mère qui prodigue des soins, une mère de la demande. Mais pour Lacan ce n’est pas cela dont il s’agit essentiellement : il y va de la jouissance.

Il faut se remettre en mémoire le contexte de l’époque où nombreux étaient ceux qui parlaient de répression sociale comme cause de la maladie mentale. C’était le début du mouvement de l’antipsychiatrie. D’aucuns, psychanalystes de surcroît, pensaient que la répression sociale était à l’origine du refoulement165. L’idée d’une libéralisation non seulement des mœurs mais aussi de la répression exercée par la société gagnait l’opinion. L’idée que la liberté pourrait être la voie de la guérison n’avait rien d’une chimère. Lacan (comme d’habitude) était à contre-courant, pas forcément réactionnaire, mais drôlement à contre-courant. Car depuis vingt deux ans déjà il disait le contraire : que c’était le fou qui était l’homme libre en quelque sorte, et plus sérieusement encore que la folie et la liberté vont tellement ensemble qu’il n’y a pas de liberté sans folie, que la question de la liberté ne changeait rien à celle de la psychose.

Pour autant, Lacan a pris tout à fait au sérieux la thèse de Cooper qui est une thèse structurale disant qu’il faut trois générations pour produire une psychose : « Pour ce

qui est de l’enfant psychotique ceci débouche sur des lois, lois d’ordre dialectique, qui sont en quelque sorte résumées dans l’observation pertinente que le Dr Cooper a faite, que pour obte-nir un enfant psychotique il y faut au moins le travail de deux générations, lui-même étant le fruit de la troisième ».

Ce n’est pas une piste inintéressante, dans la mesure où cela pose un principe qui peut, peut-être, constituer une reprise de la question du déclenchement avant la puberté, ermet la question nouvelle de la vérification possible (de voire dès la naissance. Ce qui p

165. L’antipsychiatrie et la psychiatrie démocratique dans la foulée de Wilhelm Reich et dont David Coo-per, Donald Laing, Aaron Esterson pour l’Europe anglo-saxonne, Thomas Szasz aux États-Unis et Franco Basaglia un des créateurs de « Psychiatria Démocratica » en Italie et en Grèce. En France c’est le mouve-ment d’analyse institutionnelle animé par Lucien Bonnafé et François Tosquelles. Il faut noter que les thèses de Michel Foucault ont largement contribué en France et au-delà à l’extension de ces mouvements.

ce qui s’est passé au plan des générations) et de la distinction avec la théorie du déclen-chement plus tardif à l’adolescence et après.

Une recherche clinique serait intéressante par exemple à propos des cas où il y a eu mort prématurée d’un des parents ou le départ définitif de l’un d’entre eux — surtout de la mère à un âge précoce. Il y a aussi les cas de déni de grossesse voire les dépressions post-partum. Une clinique donc a à se constituer afin d’extraire une hypothèse plus gé-nérale en rapport avec la structure.