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PAS SANS LE SUJET

III. 5 – Les psychoses

Son approche de la psychose suit aussi cette évolution jusqu’en 1957, où il éla-bore le concept de la forclusion du Nom-du-Père, introduisant pour la première fois dans le champ de l’approche des psychoses une alternative aux théories étiologiques fondées essentiellement sur des déterminants biogénétiques.

Une hypothèse étiologique rendant compte non seulement des phénomènes et autres symptômes psychotiques (hallucinations construction délirantes), mais aussi une réponse à la question que Freud se posait déjà : comment peut-on expliquer le commen-cement, l’entrée dans une psychose ?

L’approche de Lacan de la psychose et des états psychotiques a évolué en même temps que son enseignement d’ensemble en incluant les avancées de son enseignement sur lesquelles il s’est appuyé pour l’approche d’autres états psychotiques que celui de la paranoïa.

Si au début il fait de cette dernière le paradigme de la psychose — « La paranoïa,

je veux dire la psychose105 » — par la suite il nommera la schizophrénie106 « la psychose

lacanienne ».

Ce qui semble particulier dans l’abord de Lacan, c’est que parallèlement à son approche de théoricien de la psychose il conserve une pratique clinique particulière, héri-tière subvertie de la tradition psychiatrique de la présentation des malades. Cette appro-che originale a su élever les patients psychotiques à la dignité d’enseignants qui peuvent « former » les psychanalystes à la discipline d’un entretien toujours riche en enseigne-ment et découvertes à la fois sur les patients eux même et sur l’approche de la psychose, mais aussi sur ce qu’est la structure : c’est avec les patients psychotiques que l’on peut le mieux se laisser enseigner sur la structure.

Parallèlement, Lacan recevait parmi sa très nombreuse « patientèle », de nom-breux sujets psychotiques. Une autre caractéristique était qu’il n’existe pas de texte dans l’ensemble de son enseignement qui soit consacré à la conduite d’une cure analytique avec des patients psychotiques. Il n’y a pas de pendant de la « Direction de la cure », texte qui suit celui de la Question préliminaire… où justement il établit un socle théori-que structural, avant de poser la théori-question princeps, la théori-question qui était restée taboue depuis Freud : celle du transfert psychotique. Existe-t-il une alternative possible à l’érotomanie mortifère comme prototype du transfert psychotique ?

C’est une question que Lacan ne tranchera pas frontalement. Le nombre d’indices pourtant, disséminées dans l’avancée de son enseignement n’est pas négligeable. Mais dans l’ensemble, il est resté prudent sur le plan des indications, ou plutôt nous pouvons relever un quasi paradoxe dans la démarche lacanienne.

105. LACAN, J. Ouverture de la section clinique, le 5 janvier 1977, Ornicar ?, no 9, Paris : Navarin, diff. Seuil, 1977.

Après une sorte de socle théorique général concernant l’approche de la psychose à partir du paradigme de la paranoïa, après une distinction entre structure psychotique et déclenchement de la maladie proprement dite à partir de l’exemple de Joyce, et les indi-cations théoriques qu’il donne dans le cadre de son enseignement d’ensemble, c’est sur-tout au niveau des rencontres avec les patients psychotiques lors des « présentations » qu’il élabore une pléthore d’indications léguée au public averti qui constituait son audi-toire.

Parallèlement, son « le psychanalyste n’a pas à reculer devant la psychose », même commenté dans son contexte, a eu comme premier effet qu’un nombre grandissant de ses élèves, plus exactement de ceux qui se réclament de son enseignement, a commencé depuis déjà le début des années quatre-vingt non seulement à se laisser fréquenter par des patients qui jusque là relevaient de la seule psychiatrie institutionnelle ou libérale. Se-cond effet, ce mouvement s’est propagé comme par contamination.

La propagation du discours analytique n’y est certes pas pour rien, mais c’est un domaine, pourrait-on dire, où ce qui caractérise les praticiens n’est pas ce que les milieux des investissements financiers appellent « le calcul des risques » : on a même le sentiment que le psychanalyste « formé à l’École de Lacan, ne recule pas devant ceux que la psy-chiatrie traditionnelle cherche plus à enfermer qu’à traiter (suicidaires, mélancoliques, schizophrènes et paranoïaques déclenchés, etc.).

Par ailleurs, concernant l’autisme, les indications de Lacan sont vraiment parci-monieuses. On dirait que cela ne change pas le constat d’un certain engagement de la part des cliniciens, psychanalystes, psychologues, médecins ou non, qui bravent de ce fait l’armada actuellement concentrée autour des autistes, et qui prône en exclusivité une approche génético-cognitiviste (neuroscientifique) et comportementaliste — avec des méthodes éducatives pour l’adaptation des « individus » à la frange du social après les avoir réduits au statut de malade ou, plus précisément, d’handicapé, seule trouvaille « ef-ficace » du politique pour inclure l’autisme dans la comptabilité des prestations sociales.

Nous pourrions faire le constat que l’engagement des psychanalystes dénote les effets de discours de l’enseignement de Lacan et de sa position éthique face au champ des psychoses. Et s’il n’existe pas de théorie unifiée pour l’abord de la psychose et de l’autisme, il reste le socle solide de la structure, comme référence de base à partir de la quelle on peut rendre compte de l’expérience, en tenant compte, au delà des principes généraux, de la singularité du rapport de chaque mode d’assujettissement à celle-ci107.

Cela est vérifiable tant sur le plan du gain de savoir qui en découle, que sur celui d’une éthique orientée par la restauration du lien social, si endommagé par la véritable folie destructrice d’un discours dominant aveuglé par ce que laisse miroiter comme pro-messe d’être, la course à la plus-value marchande.

Lacan a franchi la porte du discours analytique par la psychiatrie, emmenant avec lui, dans la tradition classique de celle-ci, la fonction du passeur du fou, vers un lien so-cial renouvelé par celui du discours analytique qui le rend un peu plus respirable et un peu plus humain — rendons lui au moins cet hommage.