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Démenti du réel, mutation du symptôme

PAS SANS LE SUJET

I. Démenti du réel, mutation du symptôme

Tel est le titre d’un article de Pierre Bruno134 qui fait partie d’un recueil d’articles publiés sous l’intitulé Papiers psychanalytiques, sous-titré Expérience et structure. En préambule, l’auteur avertit le lecteur qu’il s’agit de repositionner le rapport dialecti-que entre expérience, terme posé en premier, et structure.

La structure en tant que concept psychanalytique ne peut exister sans le sujet et la psychanalyse, depuis Freud, prône le primat de la pratique. Est-ce à dire que l’important est de mettre la main à la pâte ? Certainement pas. Il vaut peut-être mieux entendre cela comme le fait qu’il peut suffire d’un seul cas qui ne « colle » pas à la théorie pour que celle-ci soit remise en cause.

S’il n’y avait qu’un concept psychanalytique, ce serait celui de la structure ; mais la structure peut elle « exister » sans expérience ? « sans l’expérience, la structure n’est

qu’embrouille » aurait dit Lacan en 1976-1977. Le minimum de la définition de la

struc-ture c’est le langage, mais depuis les Quatre discours135 de Lacan il convient d’inclure au concept le rapport du sujet à cette structure en tant qu’elle l’y met en scène sans qu’il soit contraint de demeurer collé à sa propre débilité.

La psychanalyse objecte, en tant qu’expérience de la parole, à tout art divinatoire comme à tout calcul de probabilités. La présence réelle de l’analyste fait diffraction à toute intention préalable et ouvre potentiellement sur l’inattendu. Dans cette dialectique, dans cette logique, nous avons décidé de suivre le fil de cet écrit de Pierre Bruno un peu comme une boussole, c’est-à-dire comme instrument de navigation. Il s’agit de suivre elques jalons que Lacan a posé au fur et à mesure de d’ailleurs ce fil à partir de qu

134. BRUNO, Pierre. Papiers psychanalytiques, sous titré Expérience et structure, Toulouse : P.U.M. 2000. 135. LACAN, J. Séminaire Livre XVII L’envers de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1991.

l’avancée de son enseignement, non pas tant dans le but d’un examen de conformité qui serait en même temps une méthode de validation, un CQFD en quelque sorte, mais d’une tentative de réinterroger ce qui semblerait admis justement comme si c’était déjà une théorie figée.

Ainsi se dessine — me semble-t-il — une ligne de partage qui curieusement se superposerait à cette ligne de fracture qui existe entre le sujet et l’Autre — étant entendu qu’aucun des deux ne semble pouvoir exister tout seul. « Seul le réel cause tout seul » dit Lacan. Le lecteur aura sans doute deviné que l’enjeu d’un tel positionnement n’est pas sans rapport avec l’abord psychanalytique des psychoses.

La doctrine lacanienne suppose que l’assujettissement subjectif est équivalent à une modalité de choix du sujet. Certes, ce choix n’a rien à voir avec une conception de choix qui concernerait un sujet psychologique : choisir tel objet, tel autre, tel partenaire, tel principe moral, etc. Au-delà de l’insondable décision de l’être toujours supposée, la question du choix se pose dans le rapport du sujet à la structure.

Les concepts d’aliénation et de séparation donnent un aperçu de ce que l’on peut qualifier de choix subjectif, mais on peut sans doute poser la problématique du choix de façon simplifiée, presque naïve : à savoir que si le sujet n’était que le résultat de ses dé-terminations, alors la psychanalyse aurait un intérêt quasi nul, car l’intérêt de savoir pourquoi sa fille est muette est plus que limité.

Poser au contraire le principe que le sujet est justement sujet en tant qu’il échappe à ses déterminations, en tant qu’il objecte au savoir de l’Autre, cela dégage une autre perspective dont certes il convient de montrer concrètement le fonctionnement. Cela pose en d’autres termes la question de la responsabilité du sujet (y compris dans l’adoption du mutisme quand on est une fille !) et révèle la dimension éthique de la psy-chanalyse.

C’est à partir de la clinique qu’il est possible de dégager, pour chaque sujet qui s’y implique, cette question de choix et de responsabilité qui, je le répète, ne sont conce-vables qu’en dehors de la psychologie et de ce qu’on appelle le « civil ».

Évidemment, nous avons appris avec Lacan que tout ne s’apprend pas de la cli-nique : encore faut-il renouveler sans cesse, réinventer un savoir qui se dépose de la struc-ture et qui permet d’extraire de la clinique un enseignement (au sens de se laisser ensei-gner) qui puisse devenir transmissible.

Mais, pour revenir à cette question de choix, tentons d’interroger cela toujours sur un mode naïf presque trivial. Si le sujet n’avait pas le choix de son rapport à l’Autre et de son symptôme comment pourrait-il parvenir à traiter ce qui l’empêche de vivre ? La question du symptôme, on l’aura deviné, constitue depuis Lacan cet axe central qui ponctue le progrès dialectique de son enseignement. Dans ce parcours, ce qui semble avoir toujours relancé l’enseignement de Lacan ce sont deux questions : qu’est-ce qu’une psychanalyse ? et à quoi aboutit-elle ?

Nous pourrions établir à gros traits une trajectoire en trois temps. Le premier

temps correspond à la démonstration rigoureuse de la structuration langagière de

l’inconscient : il a consisté à fonder le symptôme comme métaphore et à révéler sa struc-ture signifiante. Nous pourrions faire le parallèle avec la première période de la décou-verte freudienne de l’inconscient qui pouvait accréditer l’idée que la découdécou-verte révélée du savoir inconscient dans la cure analytique était susceptible d’amener une cession du symptôme.

L’échec de cette perspective emmènera Freud à l’introduction de la Deuxième topique. Il laissera néanmoins, avec le legs de l’ensemble de la psychanalyse, ouverte la question du comment se termine cette affaire de cure. Car poser comme principe et comme levier le père cela laissait la réponse du côté de l’indécidable. La « deuxième topi-que » de Lacan, pourrions-nous dire, correspond, sans pour autant réduire sa démarche

constante de rigueur et de réinvention jusqu'au bout de la psychanalyse, à l’introduction dans le champ de la psychanalyse (et au delà sans doute) de l’objet a, de la jouissance, et, par voie de conséquence, du discours comme lien social.

L’alternative, alors, pour une perspective d’aboutissement de la cure face à la relance constante de la répétition signifiante, et — étant donné que le pari sur le père pour arrêter cette relance ne constitue qu’une réponse insatisfaisante —se trouve du côté du fantasme.

Le fantasme, comme son algorithme — $ poinçon a — le montre, inclut le rap-port du sujet à l’objet du fantasme, ce qui représente pour lui un enjeu de jouissance noué de telle façon que le sujet n’est pas prêt de le remettre en cause, même s’il a pu en-trapercevoir, l’espace d’un instant de vacillation qui l’a décidé d’entreprendre son ana-lyse, que ce nouage comportait quelques craquements.

Si la psychanalyse consiste, somme toute, au traitement du fantasme, n’est-ce pas de ce côté qu’il y aurait quelque chose à extraire pour que ce qui est enjeu de jouissance se transforme en cause du désir ?

Ce passage par la construction du fantasme fondamental jusqu’à sa traversée dans le cadre de la cure, grâce au pivot du transfert, a constitué la première tentative entreprise dans l’histoire du mouvement analytique pour construire une perspective non seulement d’aboutissement d’une cure analytique, mais d’une mise à nu de ce qui constitue et qui rend opérant ce pivot : le désir de l’analyste. Ce fut l’invention de la passe. Cela a consti-tué alors, toujours dans notre approche « naïve » ce deuxième temps de « scansion » de l’enseignement de Lacan.

Le troisième temps correspond à cet axe du retour au symptôme à partir de la thèse sur l’identification au symptôme, incluant le séminaire sur le sinthome.

Ces trois temps de notre approche « naïve » et sans doute elliptique ne consti-tuent-ils pas une sorte d’Aufhebung au sens hégélien voire marxiste, c’est-à-dire

dialecti-que du terme ? Ce qui nous paraît constituer un enjeu pour cette dernière période de l’enseignement de Lacan, axée sur le symptôme, c’est l’élucidation du rapport entre le père et le symptôme et leur place respective dans la structure et plus particulièrement encore au niveau du nœud borroméen.

À partir de la lecture de l’article de P. Bruno, nous tenterons donc un retour à la question du symptôme afin de reprendre le fil qui nous ramène au sujet psychotique dans son rapport à l’Autre, au père et au symptôme.

Cette lecture nous amène à poser une série de questions auxquelles nous ne sommes pas sûrs de pouvoir apporter de réponse satisfaisante : quel peut être le rapport d’un sujet psychotique avec le symptôme et le fantasme ? A-t-il le choix entre les deux ? Cela suppose au préalable que l’on ait répondu positivement à la question de savoir si le sujet psychotique peut avoir un symptôme et un fantasme, même si nous n’avons pas encore complètement saisi leur fonction réciproque.