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PAS SANS LE SUJET

II. 2 – Le clivage du sujet

Autrement dit, il ne nous paraît pas possible d’amorcer une approche de cette question sans poser au préalable le principe de la dimension à la fois épistémique, struc-turale, clinique, et éthique. Impossible de saisir ce qu’est le sujet pour la psychanalyse si l’on ne tient pas compte de ses coordonnées fondamentales. Citons Lacan dans La science

et la vérité31: « Celui qui se fie sur Freud à la technique de la lecture qu’il m’a fallu imposer

quand il s’agit simplement de replacer chacun de ses termes dans leur synchronie, celui-là saura remonter de l’Ichspaltung sur quoi la mort abat sa main, aux articles sur le féti-chisme32 (1927) et de la perte de réalité33 (1924) pour y constater que le remaniement

doc-trinal dit de la seconde topique n’introduit sous les termes de Ich, de Uberich, voire du Es nulle certification d’appareils, mais une reprise de l’expérience selon une dialectique qui se définit au mieux comme ce que le structuralisme, depuis, permet d’élaborer logiquement : à savoir le sujet, et le sujet pris dans une division constituante ».

Ce que Lacan écrit en 1965 est une formalisation définitive d’une intuition sur le statut du sujet comme catégorie psychanalytique, qu’il avait quasiment depuis le début de sa carrière, puisqu’on en retrouve les traces déjà au niveau de sa thèse de psychiatrie qui a eu lieu en 1932, soit cinq ans après l’article de Freud sur « Le clivage du ich ». Sous le titre De la psychose paranoïaque et ses rapports avec la personnalité34, sa thèse relative au cas désormais célèbre sous le nom d’emprunt d’Aimée, posait le diagnostic de ce que Lacan avait identifié à l’époque comme une « Paranoïa d’autopunition », explicable sur le

31. LACAN, J. La science et la Vérité. Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 856. 32. FREUD, S. Le fétichisme. La vie sexuelle, Paris : P.U.F., 1969.

33. FREUD, S. La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose. Névrose psychose et perversion, Paris : P.U.F., 1973.

34. LACAN, J. Thèse, De la psychose paranoïaque et ses rapports avec la personnalité, soutenue en 1932, publiée non sans hésitation de sa part à Paris : Seuil, 1975.

plan théorique par la fonction assignable dans ce cas au Surmoi. « Le Surmoi comme

ins-tance de la structure de la personnalité du sujet œuvre dans un sens contraire aux intérêts vitaux et narcissiques du sujet. La discordance que son efficace introduit dans la vie et les conduites de la personne qu’elle contraint, suffit à elle seule à contrevenir à l’idéologie d’une subjectivité, caractérisée par l’unité, la synthèse et l’harmonie ».

Cette mise en doute de l’« unité » du psychisme va constituer le fil rouge à partir duquel Lacan va forger ce concept de sujet de la psychanalyse. Le sujet selon Lacan — d’après une lecture minutieuse de Freud et une critique de la façon dont les concepts freudiens ont été assimilés dans les cercles de l’Association Psychanalytique Internatio-nale — est divisé. Néanmoins, il n’est pas divisé à cause de l’hérédité génétique, d’un défaut congénital, d’une insuffisance de développement, d’un accident ou d’un autre type de contingence. Le concept de sujet n’existe que causé par cette division constitu-tive, de structure, qui n’est pas une anomalie, mais sa vérité et son état de référence cons-tante et irréductible.

C’est donc plutôt l’unité supposée (crue, espérée ?) comme telle qui pose un pro-blème, au point où l’on peut se demander sérieusement pourquoi cette idée tient encore aujourd’hui dans les sphères de la clinique psychologique et psychiatrique. (Ce qui serait à interroger c’est l’usage par exemple du concept de « dysharmonie évolutive » largement employé en référence à l’échelle de Misès en psychiatrie35 pour mesurer la distance avec l’approche freudienne et lacanienne du concept du Sujet dans la clinique et dans la théo-rie)36… Voire aussi dans certaines sphères où l’usage du concept de la deuxième topique de Freud est assimilé comme celui d’instances de la personnalité dont ressort une syn-thèse finale.

35. MISES et JEAMMET et confr., Psychiatrie 24 1984. Équiv. 299 F84 classification Française de l’I.N.S.E.R.M.

36. Je dois ces références à la thèse de Lacan à Sidi Askofaré et à la lecture de son travail de thèse « Struc-ture Clinique Discours » soutenue à l’Université de Toulouse 2 le Mirail, sous la direction du Professeur Marie-Jean Sauret.

Retrouvons donc les traces que Lacan relève dans l’œuvre théorique de Freud en se référant à cet article principal de 1938.

L’article de Freud Le clivage du moi dans le processus de défense37 est écrit un an avant sa mort et semble acquérir une valeur testamentaire pour son œuvre. Ce que ne démentent pas ses propos introductifs :

« Pour un moment je me trouve dans cette position intéressante de ne pas savoir si ce

que je veux communiquer doit être considéré comme connu depuis longtemps et allant de soi, ou comme tout à fait nouveau et déconcertant. Tel est, je crois plutôt le cas. […] Supposons que le moi de l’enfant se trouve au service d’une puissante revendication pul-sionnelle qu’il est accoutumé à satisfaire, et que soudainement il est effrayé par une ex-périence qui lui enseigne que la continuation de cette satisfaction aurait pour consé-quence un danger réel difficilement supportable. Il doit maintenant décider : ou bien reconnaître le danger réel, s’y plier et renoncer à la satisfaction pulsionnelle, ou bien dénier la réalité, se faire croire qu’il n’y a pas motif de craindre, ceci afin de pouvoir maintenir la satisfaction.

C’est un conflit entre la revendication de la pulsion et l’objection faite par la réalité. L’enfant cependant ne fait ni l’un ni l’autre, ou plutôt il fait simultanément l’un et l’autre, ce qui revient au même. […] D’une part à l’aide de mécanismes déterminés, il déboute la réalité et ne se laisse rien interdire ; d’autre part dans le même temps il re-connaît le danger de la réalité, assume sous forme d’un symptôme morbide, l’angoisse face à cette réalité et cherche ultérieurement à s’en garantir. Il faut reconnaître que c’est là une très habile solution de la difficulté. […] la pulsion peut conserver sa satisfac-tion ; quant à la réalité, le respect dû lui a été payé. Toutefois, comme on le sait seule la mort n’est pour rien. Le succès a été atteint au prix d’une déchirure dans le moi,

déchi-s pludéchi-s, maidéchi-s grandira avec le tempdéchi-s. Ledéchi-s deux réactiondéchi-s au rure qui ne guérira jamai

37. FREUD, S. Le clivage du moi dans le processus de défense. Résultats idées problèmes, Paris : P.U.F., 1983.

conflit, se maintiennent comme noyau d’un clivage du moi. L’ensemble du processus ne nous paraît si étrange que parce que nous considérons la synthèse des processus du moi comme allant de soi. Mais là, nous avons manifestement tort. »

Nous allons parcourir donc les jalons des références freudiennes et lacaniennes afin de rendre sensible l’importance de ce concept de clivage (mais aussi de division) aussi bien dans le maniement de la clinique psychanalytique que dans l’orientation que permet ce maniement. Le processus de la causation du sujet ne correspond nullement à une approche de type génétique ou développemental. Il tient compte d’un mouvement dialectique repérable tout le long de l’enseignement de Jacques Lacan qui met en rapport ce concept avec d’autres notions concepts voire catégories, en nous heurtant évidemment à une impossibilité qui est celle de présenter un ensemble exhaustif des liens de ce concept avec l’ensemble des concepts avec lesquels il entre en tension.

Cette impossibilité, tranchant dans le cadre de notre entreprise, nécessairement bien plus modeste, nous conduira à insister davantage à certaines articulations qui nous paraissent incontournables : telles les catégories de la structure (du signe, du signifiant, métaphore métonymie, d’énoncé, d’énonciation, du Nom-du-Père et de la métaphore paternelle, de la signification et de la fonction phallique), de la pulsion, du désir, de la jouissance, de l’objet. L’approche de ces quelques concepts fondamentaux avec aussi celui de l’inconscient de la répétition et du transfert et du discours en tant que lien so-cial, constitue de précieux jalons en tant que parcours minimal nécessaire pour orienter notre travail.