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5 – « Insondable décision de l’être »

PAS SANS LE SUJET

IV. 5 – « Insondable décision de l’être »

Nous reviendrons, comme prévu, à l’examen de ce que signifie cette limite que Jacques Lacan met sur le compte de « l’insondable décision de l’être ». Cette thèse n’a rien à voir — bien entendu — avec les positions existentielles sartriennes sur la liberté dans l’enfermement. La folie n’en reste pas moins un risque, risque majeur. Pas du point de vue du calcul contemporain sur les risques et leur gestion, mais eu égard à la logique développée plus haut.

Dans une intervention, dans le cadre des journées de l’École de la Cause freu-dienne, sur « l’expérience psychanalytique des psychoses », en juin 1987, J.-A. Miller revient sur cette « insondable décision de l’être » qu’il nomme subjectivation. Il développe son idée de subjectivation d’abord à partir de la première thèse relative aux identifica-tions pouvant constituer un choix. Ce terme ne me paraît pas tout à fait approprié pour rendre compte de ce qui constitue le choix du sujet pour la psychose.

D’ailleurs, lui-même y revient pour ajouter : « Mais ce mot ne nous sert-il pas

sou-vent à refuser au psychotique tout titre à une décision de l’être ? — alors qu’au contraire, le refus de subjectiver l’identification commune ne met que d’autant plus en valeur, dans la psychose précisément, ce qu’a de décisif la position subjective de l’être. C’est bien parce que les identifications ne sont rien si elles ne sont pas attirantes, que la folie est un risque, le risque même de la liberté. Car la folie consiste à se déprendre de l’attrait des identifications qui sont des effets de masse, pour se laisser “ tenter ” — le mot est de Lacan — par le risque de la fo-lie. » J.-A. Miller poursuit en évoquant quelques résistances à accorder le statut de sujet

au psychotique, tout en restant accroché à l’hypothèse de la forclusion d’un signifiant que Lacan introduit pour la première fois dans le Séminaire Les Psychoses, entre 1955 et 1956 — dix ans donc après les Propos sur la causalité psychique. « Notre structuralisme », ajoute J.-A. Miller « nous a t-il rendus si mécaniciens que nous soyons maintenant disposés à

admettre la forclusion d’un signifiant comme une donnée primordiale et inconditionnée, sans même plus percevoir qu’elle est corrélative d’une décision de l’être, c’est-à-dire d’une position subjective ? Je le crains — si je songe à ce qu’il a fallu mobiliser de persuasion pour que

l’on ne refuse pas au psychotique dans l’usage de notre groupe, le statut du sujet.

Pour-tant l’insondable décision est bien faite pour s’accorder au primordial de la forclusion. » Et

n’est-ce pas exactement consonnant avec ce que Freud articule de l’origine de l’identification de toutes la plus attirante, la plus insondable, l’identification au père sous sa première forme ?75

Ainsi, cette question du statut du sujet dans la psychose faisait débat dans l’École de la Cause freudienne, comme je ne m’en étais pas personnellement rendu compte à l’époque ; je me fiais à la réponse de Lacan au moment de l’ouverture de la section clini-que76.

Répondant justement à une question de J.-A. Miller sur le fait de savoir si les quatre lettres S1, S2, $, et a, étaient valables pour la psychose, Lacan affirmait : oui, sans aucune équivoque. Miller continue dans son intervention en rappelant la citation de Lacan dans le texte parlant de « l’insaisissable consentement de la liberté », puis il renvoie à une autre citation importante dans l’article sur « la question préliminaire »77 où Lacan aussitôt qu’il aborde la forclusion primordiale comme problème, introduit cette

75. MILLER, Jacques-Alain. Sur la leçon des psychoses. L’expérience psychanalytique des psychoses, Actes de l’École de la Cause freudienne, Paris : ECF, 1988, p. 143.

76. Ouverture de la section Clinique par Lacan le 05 Janvier 1977 in Ornicar ?, no 9, Paris : Navarin, diff. Seuil, Bulletin périodique du Champ freudien, Avril 1977.

77. LACAN, J. D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose. Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 581.

sion du Nom-du-Père comme l’expression du rejet de ce qu’il qualifie « l’imposture pa-ternelle » (en fait « la baleine de l’imposture », en référence à un poème de Prévert).

Tout ceci devrait suffire donc à inscrire la psychose éminemment au registre de l’éthique dit Miller : et là nous ne pouvons qu’être d’accord. Il est vrai, par ailleurs, que Lacan évoquait au moment de cet article achevé fin 1957 début 1958 qu’il était préma-turé d’ouvrir une voie au delà de Freud — ce qu’il fit néanmoins par la suite notamment au moment de son séminaire sur Joyce. Car après tout, rejeter l’imposture paternelle n’équivaut-t-il pas à rejeter l’imposture du sujet supposé savoir et par là même le traite-ment psychanalytique lui-même ?

C’est une question qu’il ne faut pas balayer d’un revers de main et nous avons décidé de la prendre au sérieux dans l’examen de notre thèse qui porte justement sur le traitement possible des psychoses, voire de l’autisme, par le discours analytique. Poursui-vant la lecture de l’intervention de Miller nous prenons également acte de ce qu’il pose que le psychotique rejette l’inconscient, c’est-à-dire le discours du maître comme impos-ture.

Paraphrasant la phrase de Jean-Jacques Rousseau « l’homme est né libre et partout

il est dans les fers », Miller, en fidèle exégète de Lacan, pose que l’homme est né dans les

fers du signifiant et partout il est dans les fers — sauf l’aliéné, en effet, qui a rejeté la séduction du père, mais au prix de son âme, voire de la forme même de son corps. Il n’a pas voulu échanger la jouissance pour le signifiant du père, et la jouissance lui est restée intime, tandis que le signifiant du père lui était forclos. Dès lors la liberté en effet est son lot, car il n’a point placé en l’Autre la cause de son désir. Savait-il qu’il serait voué par là, à ce que l’Autre l’aime et le poursuive de ses assiduités jusqu’à la persécution ?

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EUXIÈME PARTIE