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PAS SANS LE SUJET

II. 3 – Le sujet et son histoire

C’est du primat de la pratique que s’impose le constat simple voire simpliste, qu’il convient du moins de rappeler au commencement : que fait un sujet quand il fait une analyse ? Il parle. Lacan désignera plus tard l’analyse comme une pratique de bavar-dage, ce qui peut paraître surprenant quand on considère la parole dans son rapport à l’instrumentation de l’autre et à la jouissance propre à la langue.

Pourtant l’analyse passe par la parole et ne peut s’en passer (même si Lacan assez tardivement a énoncé que ce qu’il préférait est un discours sans paroles , ce qui mériterait déjà un… commentaire !). On verra que la parole est opposable au langage, au discours et à l’écrit. Mais dans la première partie de son enseignement, la parole est associée au sens. Le sujet du sens est alors opposable au non sens du symptôme.

La psychanalyse à ce moment de l’enseignement consiste en un « procès d’historisation » et de construction de sens. Dans Fonction et Champ de la Parole et du

Langage38, Lacan est catégorique dans le double sens du mot : « il ne s’agit pas dans

l’anamnèse psychanalytique de réalité mais de vérité ». Le concept freudien de réalité a été

galvaudé, mal interprété et souvent employé à contre-sens comme un concept psycholo-gique ; « le principe de réalité opposé au… désir [sic] du… sujet (fragment de discours en-tendu quotidiennement dans une institution hospitalière) ! C’est un concept souvent associé à l’autre « grand » concept psychologique, celui de l’adaptation à la réalité. Citons Lacan pour resituer le lien entre sens, vérité et histoire au début de son enseignement : « C’est bien cette assomption par le sujet de son histoire, en tant qu’elle est constituée par la

parole adressée à l’autre, qui fait le fond de la nouvelle méthode à quoi Freud donne le nom

de psychanalyse »39. Et plus loin à la même page : « Ses moyens sont ceux de la parole en

tant qu’elle confère aux fonctions de l’individu un sens ; son domaine est celui du discours concret en tant que champ de la réalité transindividuelle du sujet ; ses opérations sont celles de l’histoire en tant qu’elle constitue l’émergence de là vérité dans le réel ». Le réel, bien que pas

encore élevé au rang de catégorie, est une référence préférée de Lacan, la réalité restant non séparable de l’imaginaire dans le rapport à l’autre tel, qu’il a déjà été développé au « stade du miroir »40. L’histoire du sujet n’est pas à confondre avec « l’historiole »41.

La parole du sujet est appréhendée avec les notions de parole pleine et de parole vide, comme la parole pleine de sens ou vide de sens. Même si ces notions seront criti-quées, Lacan y fera à nouveau référence lors d’un séminaire tardif encore inédit, L’insu

que sait d’une bévue s’aile à mourre42 en 1977-1978. Il distinguera ainsi la parole pleine du côté du sens et la parole vide du coté de la signification. Cette distinction sera utile afin d’expliquer la réduction du sens à partir de l’équivoque du signifiant. Le double sens de l’équivoque est alors réduit à partir d’un « sens blanc »43 qui chute dégageant le S1 de l’interprétation.

III – La causation du sujet

Il faut poser comme point de départ dans le fil que nous essayons de constituer l’articulation d’un certain nombre de principes qui président à la causation plutôt que

39. LACAN, J. Fonction et Champ de la parole et du langage. Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 257.

40. LACAN, J. Le stade du miroir comme formateur de la fonction du je. Écrits, Paris : Seuil, 1966, p. 93-100.

41. LAPEYRE, M. Psychanalyse et Création, coll. PSYCHANALYSE &, dirigé par Marie-Jean SAURET & Pierre BRUNO, Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, 2011.

42. LACAN, J. Séminaire Livre XXIV, L’insu que sait de lune bévue s’aile à mourre, inédit. 43. Conférence de Pierre Bruno à Albi sur l’identification au symptôme, inédite.

genèse du sujet — même si pour la psychanalyse il y a vraiment un accouchement du sujet.

C’est vrai que le sujet naît, plutôt deux fois qu’une : suivons les principes de cette étiogénèse. L’enfant avant qu’il ne naisse, avant même sa naissance biologique, est déjà représenté auprès de l’Autre déjà là. Cette antécédence a bien sûr une valeur logique. Il s’agit de l’Autre du langage : un sujet naît toujours quelque part comme dit la chanson de Le Forestier,44 c’est-à-dire dans une latitude précise : on mesure aisément que les conséquences sont différentes selon qu’un enfant naît en Chine, en Afghanistan ou en Syrie, dans la cordillère des Andes, en Patagonie, dans le quartier latin de Paris ou dans le Bronx à New York. Ce qui préexiste est moins l’environnement social que l’Autre du langage qui le trame, l’Autre du signifiant auquel sont réductibles toutes ces coordonnées et valeurs humaines. L’Autre est déjà structuré. Dans chaque langue, on reconnaît l’existence de la grammaire, de la syntaxe, des règles d’orthographe. Structuré donc qui signifie, suivant un certain ordre, ordonnancement de places. Le discours aussi préexiste car les humains tissent des liens entre eux selon des règles explicites ou tacites, des codes, des lois de règlements. Dans cet ensemble qui ne fait pourtant pas universel, le sujet va s’introduire. C’est à partir du tissu de cette trame signifiante, de la détermination langa-gière, que le petit d’homme va se constituer, ainsi que son inconscient, dont une des premières formulations lacaniennes fut : « L’inconscient est le discours de l’Autre ». C’est une façon de dire que l’enfant, littéralement l’infans — autrement dit, celui qui ne parle role n’est pas encore prise en compte — a d’abord une pas encore ou bien dont la pa

44. Maxime LE FORESTIER, Être né quelque part (Album : Né quelque part, Paroles : M. Le Forestier, Musique : M. Le Forestier/J.-P. Sabar) :

On choisit pas ses parents, on choisit pas sa famille. On choisit pas non plus, les trottoirs de Manille, de Paris ou d'Alger, pour apprendre à marcher. Être né quelque part. Être né quelque part, c'est toujours un hasard.

« existence par et pour autrui » et non pas une existence en lui-même et par lui-même, comme le soutient Daniel Lagache. Citons Lacan dans cet article, Remarque sur le

rap-port de Daniel Lagache45 :

« Mais la place que l’enfant tient dans la lignée selon la convention des structures de la

parenté, le prénom, parfois qui l’identifie déjà à son grand-père, les cadres de l’état civil et même ce qui y dénotera son sexe, voilà ce qui se soucie fort peu de ce qu’il est en lui-même : qu’il surgisse hermaphrodite un peu pour voir ! Cela va, on le sait bien plus loin, aussi loin que la loi couvre le langage, et la vérité la parole : déjà son existence est plaidée innocente ou coupable, avant qu’il vienne au monde, et le fil ténu de sa vérité ne peut faire qu’il ne couse déjà un tissu de mensonges. […] Plus profondément encore ici retentit, nous en avons l’expérience sûre, le désir des parents. Mais c’est précisément la question que nous ouvrons nous-mêmes, comme certains le savent ici, de la détermi-nation du désir par les effets, sur le sujet, du signifiant. »