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PAS SANS LE SUJET

I. 2 – Le président… encore

Lacan reprend l’étude sur la paranoïa à partir justement du cas du Président Schreber, en posant dans la juste tradition freudienne que la psychose, (terme employé au singulier) est une structure. Il considère que l’expérience freudienne n’est pas une expérience pré-conceptuelle mais une expérience déjà structurée par l’artifice de la rela-tion transférentielle. Il faut bien-sûr rappeler que l’étude freudienne de Schreber (1911) fut réalisée exclusivement à partir de la publication de son autobiographie intitulée

Mé-moires d’un névropathe79, parue pour la première édition en 1903 aux éditions Oswald Mutze, à Leipzig.

Mais le travail remarquable de Freud, qui reçoit le livre en 1909 et rédige à partir ’une approche empirique : Freud part des dires du texte de décembre 1910, reste loin d

79. Traduction française par Paul Duquenne et Nicole Sels à l’initiative de Jacques Lacan, publié dans la collection Le Champ freudien, dirigée par Lacan, Paris : Seuil, 1975.

énoncés par ce patient, dont il va assurer la célébrité du fait d’en avoir fait l’objet de la constitution du paradigme de la psychose et plus particulièrement de la paranoïa. Cher-chant à valider dans le registre de la psychose la théorie de la libido mise aux point avec la névrose, le psychanalyste construit une œuvre incontournable, indissociable de l’ouvrage du président, ménageant toujours des surprises même après plusieurs relectu-res. Lacan fit traduire et éditer le texte de Schreber en français en 1975 (aux éditions du Seuil dans la collection « Le champ freudien ») et il en fera largement la lecture durant son séminaire.

Pour Lacan, donc, la psychose s’écrit au singulier à ce moment-là, malgré le titre de son séminaire qui, lui, est pluriel. Singulier comme la structure, dont il annonce déjà d’entrée la prévalence dans l’approche des psychoses — et ce, à partir de la vignette cli-nique d’un de ses patients qui lui raconte « le monde étrange dans lequel il est entré depuis

quelque temps. Tout pour lui est devenu signe. Non seulement il est épié, observé, surveillé, on parle, on indique, on le regarde, on cligne de l’œil, mais cela envahit […] le champ des objets réels inanimés, non humains : […] S’il rencontre dans la rue une auto rouge — une auto, ce n’est pas un objet naturel — ce n’est pas pour rien dira-t-il, qu’elle est passée à ce moment là. ». En passant en revue les éléments du discours à intuition délirante de ce patient,

Lacan met en évidence les trois registres R.I.S. (Réel, Imaginaire, Symbolique). Cette auto a une signification mais le sujet est souvent incapable de préciser laquelle. Est-ce favorable ? Est-elle menaçante ? Assurément l’auto est là pour quelque chose.

Ainsi, il est possible d’avoir trois conceptions différentes à partir d’une distribu-tion, selon les instances. Sur le plan du réel peut-être s’agit-il d’une aberration percep-tive : a-t-il vu ou non réellement cette auto ? Peut-être est-il daltonien confondant le rouge et le vert ? Sur le plan imaginaire le rouge fonctionne-t-il dans l’imaginaire comme signe de reconnaissance tel le rouge gorge qui rencontre son congénère ? Le rouge peut-être se traduit-il par le fait que le sujet « voit rouge » ?

Enfin, sur le plan de l’ordre symbolique, l’auto rouge peut être un élément en opposition avec un autre comme le rouge se distingue du noir dans un jeu de cartes. « Voilà trois registres distingués, et distingués aussi les trois plans dans lesquels peut s’engager notre soi-disant compréhension du phénomène élémentaire ».

Ainsi, Lacan s’intéressera d’emblée à la structure même du phénomène élémen-taire pour constater d’abord que ce phénomène est structuré en rapport avec la structure du langage où se rencontre le problème de la signification.

De même, l’hallucination comme phénomène élémentaire nous intéresse avant tout dans le cadre de la psychose en tant que verbale. Enfin, Lacan reprend son schéma L pour dire que « le sujet parle littéralement avec son moi et c’est comme si un tiers, sa doublure, parlait et commentait son activité ». Il indique enfin qu’une analyse peut dé-clencher dès ses premiers moments une psychose, « mais jamais personne n’a expliqué

pourquoi. C’est évidemment fonction des dispositions du sujet mais aussi d’un maniement imprudent de la relation d’objet ». L’on peut faire remarquer qu’à ce moment-là, il n’est

pas encore tout à fait au clair par rapport à la question du déclenchement de la psychose comme il en posera le principe dans la Question préliminaire.

Néanmoins, il est déjà convaincu que l’association libre, le fait même qu’un sujet psychotique prend la parole devant l’analyste, peut le faire déclencher, ce qui explique peut être sa prudence (et celles des analystes en général) pendant toute cette première période de son enseignement. Ce qui tranche bien-sûr avec son impératif éthique ulté-rieur de ne pas reculer devant la psychose — lequel fut pourtant souvent mal interprété. Nous y reviendrons, car il faut le commenter pour ne pas laisser entendre comme une licence à s’occuper à tour de bras de patients psychotiques.

Nous faisons simplement remarquer d’une part que Jacques Lacan n’a jamais cessé de recevoir des analysants psychotiques, d’autre part qu’il déduit de sa pratique un mode de direction du traitement qui se distingue de celui du névrosé, enfin qu’il s’agit

de ne pas reculer devant la psychose à laquelle déjà le patient psychotique fait face. En outre, l’indication sur « le maniement imprudent de la relation d’objet » est peut-être une indication anticipant sur l’ajustement d’un positionnement transférentiel qui a à tenir compte du fait que l’objet (celui qui est concerné par la pulsion et par le désir) se trouve du côté du patient qui n’a pu, ni ne peut s’en séparer : il s’agit donc d’en tenir compte.