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4 – Retour sur le déclenchement et le rapport au fantasme

PAS SANS LE SUJET

I. 4 – Retour sur le déclenchement et le rapport au fantasme

Essayons de poser les principes structuraux de base qui permettent de construire cette question du déclenchement de la psychose chez l’enfant.

Il y a la loi générale dont parle Lacan dans ce texte166 : « Toute formation

hu-maine a pour essence et non pas pour accident de refréner la jouissance ». Ce sont là les

pré-misses de ce qu’il va développer dans son séminaire qui va suivre sur L’envers de la

psy-chanalyse à propos du lien social.

Il est donc clair que pour Lacan le point de départ ce n’est pas la question de la liberté mais celle de la jouissance, ce qui après tout est également au départ une thèse freudienne. La jouissance donc est une limite et tout discours humain se fonde sur cette limite là. Le sujet, le sujet du désir est donc accroché à un corps qui règle cette jouissance par le principe du plaisir. Car c’est là la première limite que Lacan restaure depuis Freud

a jouissance interdite. que le principe du plaisir rend l

166. LACAN, J. Allocution sur les psychoses de l’enfant, prononcée le 22 Octobre 1967, en conclusion des Journées sur ce thème. Autres écrits, coll. Le Champ freudien, Paris : Seuil. 2001.

Mais cela ne suffit pas évidemment, car si le principe du plaisir constitue une « barrière naturelle », une limite « quasi-naturelle », c’est aussi une expression de Lacan : la jouissance constitue un « gouffre ». Nous voyons donc une insistance de Lacan à dé-molir le mythe de l’harmonie idyllique de la relation entre la mère et l’enfant. L’ironie dans cette affaire c’est qu’un des points de critique contre Lacan était qu’il ignorait le corps et l’affect dans la psychanalyse alors qu’il consacre à l’affect le Séminaire

L’angoisse167 ! On ne peut pas reprocher à Lacan de ne pas — à l’instar de Freud — tenir un discours sur la question de la sexualité, du désir et de la jouissance. Les modalités de jouissance intéressent la psychanalyse dans la mesure où une psychanalyse conduit le sujet à reconsidérer sa position à l’égard de la castration, à partir de l’aperception du rap-port à la jouissance. Lacan précise même que c’est ce qui conduit un sujet à l’analyse : « ce qui institue l’entrée dans la psychanalyse provient de la difficulté de

l’être-pour-le-sexe » c’est-à-dire la castration. Tandis que la sortie de l’analyse « n’en serait rien

d’autre qu’une réforme de l’éthique où se constitue le sujet. Qu’est-ce que cette dimen-sion éthique sinon la question du rapport du sujet avec ce qu’est sa jouissance. Autre-ment dit, la trajectoire va du sujet qui entre, qui commence une analyse, jusqu’au sujet corrélé à sa jouissance.

Les autres psychanalystes168 — dont certains vont reprocher à Lacan la thèse sur l’inconscient structuré comme un langage —, ont à l’instar de Margaret Mahler169, une conception génétique du langage ; mais tout ceci ne constitue que « des belles paroles » pour Lacan, car si, d’après cet auteur, « le langage est un outil qui permet de traduire la

curiosité que l’on a du monde », ce n’est pas en misant sur cette curiosité que l’on saisira

quelque chose de ce qui est « im-monde » — c’est-à-dire la jouissance qui fait plutôt

167. LACAN, J. Séminaire Livre X L’angoisse. Paris : Seuil. 2004.

168. Sami-Ali par exemple, mais aussi d’autres. Voir aussi la publication Enfance Aliénée. Recherches, Paris : Denoël, 1984.

169. MAHLER, Margaret. La psychose infantile. Paris : Payot, 1973. Petite bibliothèque Payot. 2001, et La

horreur au point que la parole du sujet peut faillir devant justement l’horreur de cette jouissance.

Répétons-le avec lui : « La valeur de la psychanalyse est d’opérer sur le fantasme ». Car c’est là qu’il situe la difficulté : « Impossible à bouger, n’était la marge laissée par la

possibilité d’extériorisation de l’objet a ».

La seule possibilité, donc, est liée à cette extraction, à ceci près évidemment, que le sujet psychotique se trouve là face à une impossibilité.

Il faut aussi souligner le fait que Melanie Klein parle aussi de fantasmes. Elle considère même que le psychanalyste a à rentrer dans le fantasme. La grande différence cependant est que les fantasmes kleiniens, par essence imaginaires, se situent dans une dialectique de l’objet partiel.

Lacan dénonce le fait que la psychanalyse (kleinienne entre autres exem-ples) « bâcle avec du folklore un fantasme postiche » : celui de l’harmonie logée dans l’habitat maternel, sauf que dans ce contexte où il n’y a ni incompatibilité ni incommo-dité, « l’anorexie mentale s’en relaie comme bizarrerie ». C’est un mythe donc des psy-chanalystes d’enfants que cette harmonie entre l’enfant et la mère. Pour Lacan, entre la mère et l’enfant, il y a l’Autre, et la thèse de l’Autre comme préalable n’est pas compati-ble avec la thèse de période préverbale. Lacan martèle :

« Je demande à quiconque a entendu la communication que je mets en cause, si oui ou

non, si un enfant qui se bouche les oreilles — on nous le dit ; à quoi ? à quelque chose qui est en train de se parler — n’est pas déjà dans le postverbal, puisqu’il se protège du verbe. »

Toute la nuance est dans le se parler. L’allusion renvoie à un cas présenté par Sami-Ali. Il s’agissait d’un cas d’autiste qui se bouchait les oreilles en se protégeant cha-que fois qu’il entendait une voix et pas un bruit. Le présentateur avait du mal (à l’époque) à se situer par rapport à cet acte du sujet. Car enfin il ne suffit pas de dire que

l’enfant se protège de ce qu’il entend, qu’il se bouche les oreilles pour que le verbal ne rentre pas, car l’enfant se défend de quelque chose qui est déjà en lui.

Bien-sûr, avec la théorie de la communication, on considère qu’entre la mère et l’enfant il y a un espace, qu’il y a une distance qu’il s’agit même de trouver la bonne, la bonne distance entre la mère et l’enfant. On devine l’influence du concept de Winnicott sur les aires transitionnelles. Mais il y a pire, car on va jusqu’à poser le principe qu’il y a une bonne posture pour prodiguer les soins maternels. On aurait pu croire que tout cela était du passé, que nous n’en sommes plus là.

Dans le centre hospitalier où nous travaillons, notre pôle qui inclut la pédopsy-chiatrie et la pédiatrie sous le label « Mère-enfant-parents » [sic] ! la chef du pôle a créé un service particulier appelé « Staff mère-enfant » pour le service néonatal afin d’apprendre aux mères la bonne posture pour prodiguer les bons soins à l’adresse de l’enfant ! La bonne mère est ressuscitée ! Au fond, tout se passe comme si, dans cet es-pace entre la mère et l’enfant, il n’y avait pas de langage mais une posture de soins ma-ternels « comportementalement corrects ».

Lacan explique ensuite : « Moyennant quoi si on part de cette idée qu’il y a toujours

entre l’enfant et la mère l’Autre, ce qui se produit alors c’est qu’on doit réévaluer le statut du corps ». Autrement dit, il convient de déterminer les rapports qui existent entre le corps

et la jouissance.

C’est en ce sens que la catégorie de l’objet a est précieuse et ne se confond abso-lument pas avec l’objet partiel, même si l’on peut en quelque sorte poser que les objets, dits initialement par K. Abraham, partiels ont été à l’origine de ce que Lacan a dégagé comme concept d’objet a, comme cause du désir. L’objet a permet de situer autrement le rapport du corps à la jouissance.

Pour Lacan, la jouissance n’est pas dans le corps. C’est une thèse centrale. Dans cette logique, l’objet partiel, s’il fait partie du corps de la mère, ne convient pas pour

aborder la jouissance puisque l’enfant s’en sépare à partir du moment où ça lui a « appar-tenu ». Il faut en quelque sorte qu’il y ait une régulation de la jouissance et celle-ci ne se fait pas entre l’enfant et la mère mais entre l’enfant et l’objet.

Et à partir de ce positionnement, Lacan pourra fonder la thèse suivante : l’objet est un condensateur de jouissance en tant que par la régulation du plaisir, la jouissance est dérobée au corps. La jouissance, en tant donc que dérobée au corps, reste toujours extérieure à lui.

C’est une thèse tout à fait claire et logique en rapport à des thèses antérieures de Lacan. Rappelons que pour lui le sein ou même plutôt la marne est le lieu où se condense toute la jouissance et que la coupure, la séparation, ne passe pas entre la bou-che du sujet et le sein mais entre le sein et la mère. Il y a la thèse de Lacan170 (cf. «

Ra-diophonie » ), qui dit que les limites de l’organisme vont plus loin que celles du corps.

Dans cette optique, la jouissance n’est pas interchangeable entre le sujet enfant et sa mère, elle ne circule pas.

Le sein est un objet de l’enfant et il est constitué comme objet libidinal à partir de son statut d’objet perdu. Saint Augustin171 fut un fin clinicien d’avoir isolé la scène dans le cadre de l’invidia. Cette scène où l’enfant voit son puîné appendu au sein de la mère et où il pâlit d’envie et réalise ainsi la valeur libidinale de l’objet oral.

Il y a un érotisme tout à fait particulier, auquel Lacan se réfère dans son sémi-naire, lorsque certains tableaux pieux représentent la scène de Sainte Agathe172

170. LACAN, J. Radiophonie, interview de Lacan à la radio Belge par Robert Georgin, paru dans Scilicet 2/3, puis da s Autres Écrits p. 403-447. n

171. LACAN, J. Séminaire Livre XI Les Quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1973, p. 105-106.

172. Il s’agit du Tableau de Francisco de Zubanran qui se trouve au musée Fabre à Montpellier, dont une reproduction figure dans le Séminaire X L’angoisse p. 200-201. On trouve une référence dans les Écrits dans « Position de l’Inconscient » p. 848.

plant dans son martyre les seins qu’on lui a coupés, ou bien Sainte Lucie173 qui porte, elle, ses yeux sur un plateau. Enfin, dans le film de Pasolini, Salò ou les 120 jours de

So-dome174, le cinéaste relate, dans des scènes absolument insupportables, la coupure dans le vif de ce qui retrace quasiment le circuit pulsionnel comme s’il s’agissait d’extraire le regard de l’œil. Ce sont de bons exemples de ce qu’est un objet en tant que condensateur de jouissance. Donc corps et jouissance sont disjoints.