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PAS SANS LE SUJET

III. 2 – L’opération de séparation

Cette deuxième opération « achève la circularité de la relation du sujet à l’Autre, dit Lacan, mais une torsion essentielle s’y démontre. » Nous avons vu que l’aliénation se fonde sur l’opération de la réunion. La séparation se fonde sur l’intersection. L’intersection de deux ensembles est constituée par les éléments qui appartiennent aux deux ensembles.

Séparation est un terme qui paraît d’abord énigmatique : qui, ou quoi donc se sépare de qui ou de quoi ? Il y a, en effet, une équivoque au départ par l’introduction de ce terme, car il s’agit davantage de se parer que de se séparer. Il s’agit (pour le sujet) de s’engendrer, nous dit Lacan, de (se) mettre au monde ; le mot parturition, qui semble convenir dans ces circonstances, signifie procurer un enfant au mari. Schématiquement

l’on pourrait dire qu’il s’agit d’une opération logique par laquelle le sujet va « se séparer » plutôt de la chaîne signifiante afin de constituer son être d’objet.

C’est une opération importante qui « dialectise » celle de l’aliénation et qui ouvre sur une série de questions importantes pour la psychanalyse : comme la question du transfert, celle du refoulement originaire, celle du fantasme, de sa traversée éventuelle, mais aussi celle du désir de l’analyste voire de la passe.

Après cette liste déjà longue, il convient de se poser la question de l’importance de ce concept dans son rapport à la structure, à savoir : dans quelle mesure, sur la base de ce concept, pouvons-nous être un peu plus éclairés sur cette question du choix par le sujet et de son mode d’assujettissement subjectif ? L’enjeu d’une telle question — savoir si la dialectique Aliénation–Séparation éclaire le choix du sujet par exemple de la psy-chose — est d’une importance cruciale. Mais suivons d’abord la construction logique du concept par Lacan. Si l’aliénation traduit l’inscription du sujet, son émergence au lieu de l’Autre en plaçant le sujet devant un choix entre le sens et le non sens ou entre l’être et le sens, la séparation concerne la question du désir de l’Autre, son manque. C’est dans l’intimation même du discours de l’Autre, c’est dans les intervalles de ce discours que le sujet enfant par exemple « se dit » : « Il me dit ça mais qu’est-ce qu’il veut dire ? » Les in-tervalles, c’est l’espace entre signifiants, ce qui coupe les signifiants, lieu de la métonymie nous précise Lacan. Le désir de l’Autre donc ce ne sont pas des signifiants mais ses man-quements, ses défaillances, ce qui ne colle pas, dit Lacan, ce qui lance toute la série des

pourquoi (notamment enfantins) : pourquoi tu me dis ça ? Il ne s’agit pas d’une demande

d’explication — les parents ou les professionnels s’en aperçoivent vite — il s’agit de questionner le lieu où il n’y a pas de réponse comme telle, aucune n’étant satisfaisante.

C’est toute l’opacité, toute l’énigme du désir de l’adulte qui est questionnée. Si nous prenons les choses du côté de la réponse que le sujet est tenté de faire au point du manque aperçu dans l’Autre, il s’agit en quelque sorte de jouer de sa propre disparition comme d’une réponse par l’objet, pourrait-on dire : l’objet du désir de l’Autre est

appré-hendé comme étant lui-même ; sa mise en jeu dans ce procès, c’est sa « négativation » : « peut-il me perdre ? » — d’où sur le plan clinique le fantasme de sa disparition, de sa mort.

L’on peut se demander si de nombreuses tentatives de suicide qui n’en ont pas l’air dans la petite enfance, dont beaucoup sont comptabilisées parmi les accidents do-mestiques, ne sont pas en rapport avec ce vertige qui s’ouvre de ce qu’un manque recou-vre l’autre. « Dès lors, la dialectique des objets du désir, en tant qu’elle fait le joint du désir

du sujet au désir de l’Autre », c’est-à-dire le même, martèle Lacan, « cette dialectique passe par ceci qu’il n’y est pas répondu directement. C’est un manque engendré du temps précédent qui sert à répondre au manque suscité par le temps suivant. », « non réciprocité et une torsion dans le retour » 48. Il y a à la fois une non réciprocité et une non complémentarité.

Dans Position de l’Inconscient, Lacan parle de « Cette fonction qu’ici se modifie

d’une part prise du manque au manque, par quoi le sujet vient à retrouver dans le désir de l’Autre son équivalence à ce qu’il est comme sujet de l’inconscient ». Le sujet se réalise dans la

perte où il a surgi comme inconscient, par le manque qu’il produit dans l’Autre suivant le tracé […] de la pulsion de mort. La circularité est établie car la pulsion de mort cor-respond à la disparition de son être lorsqu’il surgit sous le signifiant.

Il faut cependant noter que l’opération de la séparation concerne davantage ce qui se joue à partir du moment où par sa « disparition », sa perte, le sujet s’articule au manque de l’Autre. Il s’agit d’une perte constituante, dit Lacan, d’une de ses parts qui le constitue dans la refente. Le sujet se retrouve désormais entre deux parts, divisé d’avec son être d’objet qu’il a introduit en opérant avec sa propre perte. C’est du fait de l’opacité du désir de l’Autre (dont le recours est le « peut-il me perdre ? »), que la réponse du sujet se situe au niveau de l’opacité de son propre être.

48. LACAN, J. Séminaire Livre XI Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1973, p.195.