CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU
II. LE MINEUR AUTEUR : AGE ET DISCERNEMENT
2. Seuils d’âge de la responsabilité pénale et discernement
En effet, selon que l’auteur est majeur ou mineur, le régime pénal est différent. L’auteur majeur relève du dispositif de droit commun, c’est-à-dire des tribunaux correctionnels en matière délictuelle ou des cours d’Assises en matière criminelle. Les peines encourues sont fixées dans le droit pénal, et peuvent être prononcées à titre principal ou complémentaire. En revanche, l’auteur mineur est intégré à un régime pénal dissocié, celui de la justice spécialisée des
mineurs, qui leur reconnaît l’excuse atténuante de minorité. A ce titre, le mineur
auteur est soumis à un dispositif dérogatoire (peines divisées par deux, priorité aux mesures éducatives avant ou après leur jugement).
Dans ce cadre général, nous avons pu constater, en nous appuyant sur les analyses de Dominique Youf, dans Juger et éduquer les mineurs délinquants342F
343
, ainsi que celles de Jean-Jacques Yovrel343F
344
, que la minorité est loin d’être une catégorie homogène. La loi a en effet différencié des seuils internes à celle-ci et n’a pas considéré de la même façon tous les mineurs. D’une part, pour déterminer un seuil d’âge de la responsabilité pénale : à partir de quel âge le mineur est considéré pénalement responsable ? Existe-t-il un seuil irréfragable d’irresponsabilité pénale ? D’autre part, pour déterminer le type de sanction adaptée selon l’âge du mineur : punit-t-on toujours et de la même façon tous les mineurs ?
Le recours au discernement pour fixer un seuil de responsabilité pénale existait dans l’ancien droit. Hérité du droit romain, il était d’usage de reconnaître que les enfants de moins de 7 ans n’étaient pas responsables pénalement et donc exempté de tout crime, délit ou sanction344 F
345
. Le mineur de moins de 7 ans bénéficiait donc d’une présomption d’irresponsabilité pénale. Avec le code pénal de 1810 ce seuil de 7 ans a disparu. Le législateur a fixé à 16 ans le seuil de la majorité pénale tout en conservant le principe du discernement
343Dominique Youf. 2009. Juger et éduquer les mineurs délinquants. Dunot. pp. 151-165.
Chapitre 10 « La responsabilité pénale du mineur ».
344 Jean-Jacques Yvorel, 2012. « Le discernement : construction et usage d'une catégorie
juridique en droit pénal des mineurs. Etude historique ».Recherches familiales, 9,(1), 153-162. doi:10.3917/rf.009.0153 ; 2013. « Comment le droit pénal construit les catégories d'âge »,
Journal du droit des jeunes 2013/2 (N° 322), p. 30-33. DOI 10.3917/jdj.322.0030 ;
dans l’article 66 du code345F
346. Ainsi le mineur de moins de 16 ans pouvait être déclaré irresponsable pénalement et faire l’objet de mesures éducatives telle que la remise à parent ou l’envoi en maison de correction. Dans un contexte de nouvelles préoccupations sur l’enfant, au tournant du XXe siècle, la loi du 12 avril 1906346 F
347 a élevé ce seuil à 18 ans et la loi du 22 juillet 1912 a instauré le principe d’une irresponsabilité pénale pour le mineur de moins de 13 ans « le
mineur de l’un ou l’autre sexe de moins de 13 ans, auquel est imputée une infraction à la loi pénale, qualifiée crime ou délit, n’est pas déféré à la juridiction répressive347F
348 ». Les mineurs de moins de 13 ans ont ainsi bénéficié
d’une « présomption légale et irréfragable de défaut de discernement » ; et seuls les plus de 13 ans dépendaient des tribunaux pour enfants, nouvellement créés par la loi.
Dans l’après-guerre, la nouvelle philosophie issue de l’ordonnance du 2 février 1945 a conféré au mineur un statut protecteur348F
349
et réaffirmée la mise en place d’une justicce adaptée avec des modalités de sanction spécifiques qui vise bien « les mineurs auxquels est imputée une infraction 350». Ainsi, selon les articles 1 et 2 de la nouvelle ordonnance qui fonde la justice des mineurs, ont été distingués différents seuils d’âge de la minorité pénale : les mineurs de moins de 13 ans, ne pouvant faire l’objet d’aucune condamnation pénale, les mineurs de plus de 13 ans, pour lesquels il est prévu des exceptions « si les
circonstances et la personnalité du mineur l’exigent ». En outre, il a été
envisagé que pour les mineurs âgés de plus de 16 ans, que ne soit pas retenue l’excuse atténuante de la minorité mais « par une décision spécialement
motivée » du tribunal350F
351 .
Cependant, la loi n’ayant fixé aucun seuil d’âge légal de responsabilité pénale du mineur, cela a posé de nombreux problèmes juridiques351F
352
. L’arrêt Laboube de 1956352F
353, devant se prononcer sur le jugement d’un mineur de 6
346Article 66 du Code pénal de 1810 : « Lorsque l’accusé aura moins de seize ans, s’il est
décidé qu’il a agi sans discernement, il sera acquitté ; mais il sera, selon les circonstances, remis à ses parents, ou conduit dans une maison de correction pour y être élevé et détenu pendant tel nombre d’années que le jugement déterminera, et qui toutefois ne pourra excéder l’époque à laquelle il aura accompli sa vingtième année ».
347Article 66 de la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale à 18 ans. URL :
https://criminocorpus.org/fr/legislation/textes-juridiques-lois-decre/textes-relatifs-aux-p/de-la- monarchie-de-juillet-a-1/loi-du-12-avril-1906-sur-la-ma/ [Consulté le 3 mars 2017]
348Article 1er de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la
liberté surveillée. URL :https://criminocorpus.org/fr/bibliotheque/sources-judiciaires-de- lhisto/documents-commentes/09-la-loi-du-22-juillet-1912/ [Consulté le 3 mars 2016]
349Dominique Youf. 2009. op. cit. p. 153.
350Article 1 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante. 351Jean-Jacques Yvorel. 2013. op. cit., p 30.
352Ibid.
ans, a considéré depuis l’ordonnance de 1945 la question du discernement. Le mineur de moins de 13 ans, ne pouvait être poursuivi pénalement que si doté d’un discernement suffisant pour comprendre son acte et la portée de celui- ci35
354. Le critère de discernement détermine alors toute la question de la responsabilité pénale du mineur et ce quel que soit son âge. Ainsi par exemple, la Cour de cassation a reconnu la responsabilité pénale d’un garçon de 9 ans dans une affaire de détérioration volontaire par incendie35 4F
355.
Ce flou sur les seuils d’âge légaux de minorité pénale a suscité des débats à l’occasion de l’adoption du nouveau code pénal et de nouveau au tournant des années 2000. L’enjeu a été de fixer un seuil de minorité ou responsabilité pénale, tout en prenant en compte la notion de discernement, devenue le pilier de toutes les politiques pénales réalisées à l’égard des mineurs délinquants355F
356 . Ainsi, des députés ont proposé de le fixer à 7 ans356 F
357, des pénalistes à 13 ans
35 7F
358, la chancellerie a envisagé de le fixer à 10 ans358F
359. Le législateur en 2002
359F
360 a opté pour faire entrer de manière explicite (la jurisprudence le retenant depuis 1956) le critère de discernement dans le code pénal, sans fixer de seuil légal, considérant à l’article 122-8 du code pénal : « les mineurs capables de
discernement sont pénalement responsable des crimes, délits et contraventions dont ils ont été reconnus coupables ». Mais la question est loin d’être tranchée
puisqu’à l’occasion du projet de création d’un code de la justice pénale des mineurs, le rapport Varinard en 2008361 préconisait de fixer la responsabilité pénale du mineur à 12 ans. La responsabilité pénale du mineur reste néanmoins déterminée par la question du discernement et non par un seuil d’âge fixe. Le point de départ de la responsabilité pénale du mineur est donc variable puisque « relevant du seuil subjectif du discernement362».
Parallèlement, le droit pénal a prévu des seuils de répression différents selon l’âge du mineur. En effet, la justice pénale des mineurs, dont la mission première est la rééducation du délinquant363, a institué différents seuils d’âge :
354Philippe Bonfils. 2005. « Le droit substantiel des mineurs ». AJ pénal 2005, n° 2, p. 45. 355Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, pourvoi n°82-92934, Bull. crim., n°162
356Jean-Jacques Yvorel. 2012. op. cit.
357Jacques Toubon avait proposé dans les débats parlementaires en 1990 de fixer un seuil
irréfragable d’irresponsabilité pénale à 7 ans
358Le Professeur Lazerges propose de fixer une minorité pénale à 13 ans : seuil d’âge et
responsabilité pénale en Europe.
359La chancellerie propose dans un rapport du 27 juin 2000 de fixer la minorité pénale à 10 ans. 360Dans le cadre de la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation
pour la justice.
361André Varinard, « Adapter la justice pénale des mineurs – Entre modifications raisonnables et
innovations fondamentales : 70 propositions ». Rapport du 3 décembre 2008.
362Marrion. Ibid., p.61
10 ans, 13 ans, 16 ans, pour le prononcé des condamnations (mesures, sanctions éducatives, peines). Depuis 2002364, l’âge de 10 ans est devenu le premier seuil répressif : les mineurs de 10 à 13 ans peuvent être pénalement condamnés, mais seulement à des mesures éducatives365 ou des sanctions éducatives366. A partir de 13 ans, l’échelle des sanctions se durcit. Les mineurs de plus de 13 ans, outre le prononcé de mesures éducatives, peuvent être condamnés à des peines367et les peines d’emprisonnement ne peuvent être supérieures à la moitié de la peine encourue368. Pour les mineurs de plus de 16 ans, cette disposition légale atténuante est facultative. Elle peut en effet être écartée sous certaines conditions (la personnalité du mineur et les circonstances de l’infraction), et réaffirmée dans le cadre de la lutte contre la récidive (loi n°2007-1198 du 5 mars 2007). La catégorie des grands mineurs, les 16-18, s’apparente aux majeurs et fait l’objet d’une répression accrue. La variété des seuils d’âge se trouve également dans le traitement pré-sentenciel, c’est-à-dire avant jugement de l’affaire. Divers seuils d’âge jalonnent la procédure pénale, selon qu’il s’agit de la garde à vue du mineur, de son placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire, l’âge de 10 ans369, 13 ans370, 16 ans371 seront pertinents. Finalement, tout concourt à démonter qu’il existe un véritable éventail des
graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance traduite en justice. La France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains ».
364Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice. 365L’admonestation, l’avertissement solennel, la remise à parent, la mesure de réparation, le
stage de formation civique, le placement, la mise sous protection judiciaire, la réparation, la liberté surveillée, la mesure d’activité de jour, la dispense de mesure, l’ajournement de mesure éducative
366L’avertissement solennel, la confiscation, l’interdiction de paraître, l’interdiction de
rencontrer la victime, l’interdiction de rencontrer les co-auteurs ou complices, la mesure d’aide ou de réparation, le stage de formation civique, le placement, l’exécution de travaux scolaires.
367 la dispense de peine, l’ajournement de la peine, la réparation-sanction, l’amende, le travail
d’intérêt général pour les mineurs de 16 à 18 ans, le suivi socio-judiciaire, le stage de citoyenneté, l’emprisonnement avec sursis simple, avec sursis et l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général ou avec sursis et mise à l’épreuve, la peine de prison, au même titre que les autres peines, n’est applicable qu’aux mineurs âgés de 13 ans et plus.
368Article 20-2 de l’ordonnance du 2 février 1945 « Le tribunal pour enfants et la cour d'assises
des mineurs ne peuvent prononcer à l'encontre des mineurs âgés de plus de treize ans une peine privative de liberté supérieure à la moitié de la peine encourue. Si la peine encourue est la réclusion criminelle à perpétuité, ils ne peuvent prononcer une peine supérieure à vingt ans de réclusion criminelle ».
369Les mineurs de 10 à 13 ans peuvent faire l’objet d’une retenue judiciaire durant 24 heures.
Article 4 de l’ordonnance du 2 février 1945.
370A partir de 13 ans, un mineur peut être placé en garde à vue (GAV), sous contrôle judiciaire
avec placement dans un centre éducatif fermé (CEF), ou en détention provisoire que si encourt une peine criminelle ou s’il n’a pas respecté l’obligation de placement en CEF.
371A partir de 16 ans la GAV du mineur peut être prolongée deux fois s’il a participé avec un
majeur à des infractions criminelles, il peut être placé sous contrôle judiciaire en matière correctionnelle et criminelle, il peut être placé en détention provisoire.
seuils d’âge qui permet « d’accompagner progressivement le délinquant et
d’adapter la sanction à la capacité pénale de l’individu371F
372 ».
Le droit pénal s’est finalement attaché à construire des « âges frontières » ou des « catégories d’âge » pour reprendre les expressions de l’historien Jacques Yvorel (2013372F
373
). Sont visés différents seuils d’âge de minorité pénale, selon que l’on se situe sur le plan de la réponse répressive ou celui de la responsabilité pénale imputable au mineur. On sait que la responsabilité pénale ne se fonde que sur le discernement. Aussi pour chaque affaire, la question du discernement est traitée quel que soit l'âge du mineur. Néanmoins, on retrouve divers paliers d’âges utilisés en droit et dans la jurisprudence :
- Les mineurs de moins de 7 ans (seuil du discernement)
- Les mineurs de 10-12 ans (1er seuil de sanction pénale si discenement) - Les mineurs de 13-15 ans (2ème seuil)
- Les mineurs de 16-17 ans (3ème seuil)
La minorité de l’auteur s’articule autour de ces quatre paliers d’âge, à la différence de celle de la victime qui n’en comporte que deux (les moins de 15 ans ou les 15-18 ans). Se joue donc quelque chose d’important du point de vue de la multiplicité des seuils d’âges : la minorité n’est pas une catégorie uniforme et se conjugue au pluriel en droit pénal374.