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Dispersion du régime pénal applicable aux infractions sexuelles

CHAPITRE 2. LES DIFFERENTS TYPES D’INFRACTIONS SEXUELLES

I. UN DOMAINE EXTENSIBLE QUI PEINE A S’UNIFIER

2. Dispersion du régime pénal applicable aux infractions sexuelles

L’ensemble des crimes et délits sexuels ou « maquis des incriminations » (Lazerges, 2010210F211) relève d’un régime pénal dérogatoire. En effet, la volonté du législateur depuis la fin des années 1990 a été de constituer un régime pénal particulier aux infractions sexuelles commises sur mineurs (Lameyre, op. cit.) en conférant à la victime mineure un statut juridique spécifique et à l’auteur un traitement pénal dérogatoire211 F

212 : modalités de poursuites particulières dans le temps (délais de prescription allongés) et l’espace (extra territorialisation), le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques, les peines de suivi socio-judiciaire, puis dans la continuité, création du fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAISV212F

213). Or, il existe de nombreuses disparités selon les infractions, toutes ne relèvent pas du même régime pénal dérogatoire, ni ne garantissent le même statut juridique. Nous présentons ci-après « les dysharmonies de ce régime pénal d’exception », pour reprendre l’expression de Xavier Lameyre (2006213F

214 ).

Ainsi par exemple, dans le cadre de la lutte contre la récidive, la loi n° n°98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs, a prévu une peine de

suivi socio judiciaire (SSJ). Elle peut désormais être prononcée à l’égard des

auteurs d’infractions sexuelles, comme peine principale ou complémentaire. Cette mesure s’applique à une liste d’infractions sexuelles, limitativement énumérées aux premiers articles de la loi214F

215 et prévues à l’article 706-47 du Code de Procédure Pénale, titre XIX « De la procédure applicable aux

infractions de nature sexuelle et de la protection du mineur victime ». Outre le

211Christine Lazerges. 2010. Politique criminelle et droit de la pédophilie. RSC. p 725.

212Ainsi, le code de procédure pénale mentionne l’ensemble des dispositions particulières envers

les auteurs dans le titre XIX « De la procédure applicable aux infractions de nature sexuelle et à

la protection des mineurs victimes ».

213La loi n°2004-204 du 9 mars 2004 a créé le fichier d’informations judiciaires des auteurs

d’infractions sexuelles (FIJAIS), infractions visées à l’article 706-47 du Code de Procédure pénale. Il a été rebaptisé fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) depuis la loi du 13 décembre 2005 sur la récidive des infractions pénales.

214Xavier Lameyre. 2006. « La prescription de l'action publique en matière d'infractions contre

les mineurs, ou les dysharmonies d'un régime pénal d'exception ». AJ Pénal. p. 289.

215

JORF n°0139 du 18 juin 1998. « Titre 1er Dispositions relatives au suivi socio judiciaire. Chapitre des dispositions modifiant le code pénal », articles 2, 3 et 4 portant sur l’ensemble des infractions visées par le texte. p. 9255.

meurtre ou assassinat commis sur un mineur et accompagné d’un viol, 6 infractions sexuelles sont concernées au moment de la divulgation de la loi : le viol, l’agression sexuelle, l’atteinte sexuelle sur mineur, l’exhibition sexuelle, la corruption de mineur, la pédopornographie.

Or paradoxalement, alors que l’objet de cette loi était de lutter contre la délinquance sexuelle sur mineur et de mieux prévenir et punir la récidive, le législateur n’a eu de cesse de remanier la liste des infractions visées : il a exclu le proxénétisme sur mineur et le harcèlement sexuel215 F

216

, puis en 2004216F

217 celle d’exhibition sexuelle sur mineur ; parallèlement il a fait entrer le recours à la prostitution de mineur, puis en 2006217F

218 le proxénétisme, et en 2013, la proposition sexuelle faite à un mineur de 15 ans par voie de télécommunication. La peine de SSJ a été étendu à une large gamme d’infractions2 18F

219

, mais concernant les infractions sexuelles elle reste principalement appliquée, au viol aggravé et aux agressions et atteintes sexuelles aggravées (minorité de 15 ans et ascendant ou personne ayant autorité), selon les données issues de l’exploitation statistiques de casiers judiciaires en 2007 (Kensey, 2009219F

220 ).

En ce qui concerne les délais de prescription allongés pour les délits sexuels, ils passent de 3 ans dans le cadre du dispositif de droit commun, à 10 ans (article 8 du Code de Procédure Pénale). Ce délai est encore plus étendu dans le cadre des infractions sexuelles stricto sensu : viol sur mineur, agression sexuelle sur mineur et atteinte sexuelle sur mineur. Dans ces cas, ils commencent à courir après la majorité de la victime, à 20 ans en matière délictuelle lorsque l’atteinte sexuelle est commise sur un mineur de 15 ans par un ascendant ou par toute autre personne ayant autorité de droit ou de fait sur la victime220F

221 ou lorsque l’agression sexuelle est commise sur un mineur de 15 ans.

216Voir les analyses de Sylvie Grunvald. 2004. « Le harcèlement sexuel dans le code du travail

et le code pénal. Le volet de la protection contre le harcèlement sexuel ». In Jaspard, Maryse et Condon, Stéphanie. (coord.). 2003. « Genre, Violences sexuelles et Justice ». Actes de la

journée-séminaire du 20 juin 2003. Documents de travail, INED. pp. 29-35. La sortie du

harcèlement du régime dérogatoire (SSJ) traduirait une volonté du législateur de considérer cette infraction comme étant moins pathologique que les autres (p. 33).

217JORF n°59 du 10 mars 2004. Texte n°1. « Chapitre V Dispositions concernant la prévention

et la répression des infractions sexuelles. Article 47 alinéa 3 » p. 4567.

218Loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au

sein du couple ou commises contre les mineurs

219Les crimes d’atteintes volontaires (article 221-9-1 du code pénal), d’enlèvements et

séquestration (article 224-10 du code pénal), de dégradations dangereuses sur la personne (article 322-18 du code pénal), les violences aggravées (article 222-10 à 222-14 du code pénal) et la menace (222-18-1 du code pénal).

220Annie Kensey. 2009. « La réalité statistique des peines et mesures concernées par l'obligation

de soins, le suivi socio-judiciaire ». AJ Pénal. p. 58.

221Il en est de même si l’atteinte sexuelle est commise par une personne abusant de l’autorité

que lui confère sa fonction, lorsqu’il y a pluralité d’auteurs ou de complices, lorsque la victime a été mis en contact avec l’auteur par l’intermédiaire d’un réseau de communication électronique,

La disparité des règles dérogatoire en matière de prescription allongée a fait l’objet de critiques par doctrine et les juristes. Ainsi Renaud Rolland (1998) estime que dans la loi du 17 juin 1998, le législateur a exclu certaines infractions de ce régime dérogatoire, telle que la corruption de mineur, et n’a pas retenu la levée du secret professionnel, ni l’obligation de dénoncer les faits. Il a également observé la disparité de recours devant la CIVI (commission d’indemnisation des victimes d’infractions) pour l’indemnisation du préjudice corporel ou moral, systématique en cas de viol, d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle, mais pas pour les autres. Quant à Xavier Lameyre (2006, op.

cit.), il observe que les délais de prescription et le régime dérogatoire introduit

par les lois du 17 juin 1998 et du 9 mars 2004, ne s’appliquent qu’à certaines infractions sexuelles221F

222.

A l’occasion de l’adoption de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017 portant réforme de la prescription en matière pénale, les délais pour les crimes les plus graves sont passés à 30 ans, contrairement au viol sur mineurs par ascendant ou personne ayant autorité pour lesquels ils sont restés à 20 ans. Cette dissonance n’a pas manqué de susciter de vives polémiques entre parlementaires, pénalistes, et associations de victimes ; ces dernières ayant réclamé une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs222F

223

. Les débats ne sont pas tranchés. Le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes a chargé l’animatrice Flavie Flament et le magistrat Jacques Calmettes, d’une mission de consensus sur la question : ils ont préconisé une prescription de 30 ans pour les crimes sexuels sur mineurs2 23F

224.

En somme, la dispersion dans les règles dérogatoires relatives aux infractions sexuelles, bien repérée par la doctrine, montre qu’il est difficile d’appréhender les infractions sexuelles comme un domaine unifié du droit

et lorsque commise par une personne agissant en état d’ivresse manifeste ou sous l’emprise de produits stupéfiants.

222Les délais s’appliquaient au viol et à l’agression sexuelle sur mineur, au proxénétisme sur

mineur, à la corruption de mineur et l’atteinte sexuelle, puis à partir de 2004, au recours à la prostitution de mineur et à la pédopornographie. Pas aux autres infractions : exhibition sexuelle, harcèlement sexuel.

223Elles se sont appuyées notamment sur des faits médiatiques parus quelques mois plus tôt.

Ainsi fin 2016, dans la presse, après la publication du livre témoignage de Flavie Flamand, « La consolation », plusieurs femmes de plus de 40 ans ont déclaré avoir elles aussi subi des viols par le photographe David Hamilton lorsqu’elles avaient 13 ans lors de séances de photos. Les faits étant prescrits, une vague d’indignation a suivi ces révélations.

224La première recommandation (p. 21) est de porter le délai de prescription des crimes sexuels

sur mineurs à 30 ans après leur majorité. [En ligne] Avril 2017. « Mission de mission de consensus sur le délai de prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ». 24 p. URL :

http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-

(Perrin, 2012224F

225

). Le législateur n’a pas procédé à une refonte de l’ensemble du dispositif depuis 1994 en dépit des nombreuses modifications apportées. Partant de cette dispersion, nous proposons de distinguer deux grandes catégories d’infractions sexuelles, dans la perspective de notre étude :

- Les infractions sexuelles stricto sensu : les agressions sexuelles, dont le viol, et les atteintes sexuelles.

- Les infractions sexuelles largo sensu : l’exhibition sexuelle, le harcèlement sexuel, la corruption de mineurs, la pédopornographie, la proposition sexuelle par un majeur à un mineur de 15 ans par le biais d’un moyen de télécommunication et enfin le proxénétisme sur mineur et le recours à la prostitution de mineur.

La première catégorie d’infractions stricto sensu, à la différence de la seconde, relève sans condition du régime pénal d’exception (Lameyre, 2006, op.

cit.). Elle s’apparente à la catégorie juridique de l’abus sexuel définie par le

conseil de l’Europe225F226. La première spécificité tient au fait que ces trois infractions impliquent toujours un contact physique de nature sexuelle à la différence des autres (Malabat, 2016226F

227

; Lameyre, 2000227F

228). Elles ont en effet la particularité d’être réalisées par des actes concrets sur la victime (Perrin, 2012228F

229), ce qui exclut de ce groupe d’infractions, l’exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel, la corruption ou la sollicitation d’un mineur. La seconde spécificité de ce trio infractionnel tient à la parenté de leurs éléments constitutifs qui met en jeu deux non-consentements, comme nous l’avons vu : le situationnel et le statutaire lié à l’âge. La seconde catégorie d’infractions largo

sensu, toutes visées à l’article 706-47 du Code de Procédure Pénale, ne

concerne que des comportements sexuels prohibés car ils portent atteinte à la

225Perrin, Julie. 2012. « Les agressions et atteintes sexuelles en droit pénal français.

Contribution à l’étude des incriminations et de leur régime ». Thèse de Droit privé et sciences criminelles. 492 p.

226La convention du Conseil de l’Europe sur la protection des enfants contre l’exploitation et les

abus sexuels, STCE n°201 le définit à son article 18 comme étant « le fait de se livrer à des

activités sexuelles avec un enfant, qui conformément aux dispositions pertinentes du droit pénal, n’a pas atteint l’âge légal pour entretenir des activités sexuelles ; le fait de se livrer à des activités sexuelles avec un enfant : en faisant usage de la contrainte, de la force ou de menaces ; ou en abusant d’une position reconnue de confiance, d’autorité ou d’influence sur l’enfant, y compris au sein de la famille ; ou en abusant d’une situation de particulière vulnérabilité de l’enfant, notamment en raison d’un handicap physique ou mental ou d’une situation de dépendance ».

227Valérie Malabat. 2016. Pas d'atteinte sexuelle, même aggravée, sans contact corporel. Crim. 7

sept. 2016, n° 15-83.287. AJ Pénal. p. 529.

228Xavier Lameyre. 2000. La criminalité sexuelle. Paris, Flammarion. P. 18.

229Julie Perrin, op. cit. Selon l’auteur, les agressions et atteintes sexuelles en droit pénal français

sont les seules infractions qui impliquent un contact physique portant atteinte à la liberté sexuelle de la victime et qui suscitent une réponse pénale particulière, à la différence des autres. Ce qui exclut de ce groupe d’infractions, l’exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel (p.7).

moralité du mineur (corruption de mineur, sollicitation de mineur, la pédopornographie) ou à sa dignité dans le cadre de l’exploitation sexuelle (proxénétisme sur mineur, recours à la prostitution de mineur). L’atteinte au consentement n’est pas déterminante dans ces infractions qui se différencient toutes par leurs composantes matérielles, comme nous le verrons. Notre étude porte donc sur les 10 infractions sexuelles prévues par le code pénal français, présentées dans le tableau suivant :

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