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CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU

III. MULTIPLICITE DES SEUILS D’AGES DE LA MINORITE

Le droit pénal a envisagé différents seuils d’âge de la minorité, qui ne sont pas les mêmes selon qu’on se place du côté des victimes ou des auteurs. La qualité de mineur auteur engage une organisation graduelle de la responsabilité pénale du mineurF

375

, ce qui a fait dire à certains pénalistes que « la minorité

dichotomique du mineur victime s’oppose une minorité évolutive et graduelle du mineur auteur375F

376

».

Divers paliers apparaissent dans le droit pénal. Certains plus subjectifs reposent sur les notions de discernements et de consentement, avec d’un côté le mineur auteur non-discernant et de l’autre le mineur victime non- consentant. D’autres sont objectivés et reposent sur des paliers d’âges fixe (10, 15, 16 et 18 ans) qui déterminent des catégories pénales ou des dispositions

372Bertrand Marrion. op. cit. n° 121, 122. 373Jean-Jacques Yvorel, 2013. op. cit. 374Bertrand Marrion. op. cit., n° 151, 152. 375Dominique, Youf. 2009. op.cit. pp. 151-165. 376Bertrand MArrion. op. cit. p. 67.

pénales de répression. Il n’est donc pas possible de considérer l’enfant ou l’adolescent de façon homogène au travers du droit pénal. Les frontières d’âge sont poreuses, variables et incertaines.

Les majorités sont multiples et difficiles à concilier, ce qui fait dire à certains pénalistes que la législation en France a instauré une « majorité

éclatée » entre :

- La majorité civile à 18 ans, avec un seuil d’âge à 13 ans376 F

377

- La majorité pénale à 13 ans, avec deux seuils d’âge à 10 ans et 16 ans - La majorité matrimoniale à 18 ans sans seuil d’âge

- La majorité sexuelle à 15 ans sans seuil d’âge

Comme le montre le tableau suivant, la gradation de la minorité n’est pas la même selon que l’on se place du côté de la victime ou de l’auteur :

Continuum des âges de la minorité : consentement et discernement

Ages 0 à 6 ans 7 ans 10 ans 13 ans 15 ans 16

ans 18 ans Mineur Victime Seuil non- consentement (jurisprudence) Seuil majorité sexuelle - Seuil majorité civile Mineur Auteur Seuil de discerne ment 1er seuil responsa bilité pénale 2ème seuil pénal - 3ème seuil pénal Seuil majorité civile et pénale Notre réflexion nous a permis de voir à quel point la question des âges dans le droit pénal est complexe et importante. La minorité est appréhendée différemment selon que l’on se place sur la question de la responsabilité pénale du mineur ou celui du consentement du mineur victime. Aussi, les questions de flexibilité des âges et de porosité des seuils nous paraissent des points d’entrée essentiels pour comprendre ce qui se joue dans les recompositions normatives en matière de permis et d’interdit sexuel.

La particularité en France tient à la sécheresse du langage juridique pour désigner toute la gamme des âges sous le seul vocable enfant ou mineur, comme l’a souligné le doyen Jean Carbonnier « le droit ne reconnait que l’enfant qui

tire toute la catégorie vers le bas […] l’adolescent au moins, aurait pu justifier que le droit s’y arrête : l’instant est si intensément vécu. Mais ses contours sont

trop flottants377F

378 ». Notre étude a montré qu’il existe toute une variété des seuils

d’âge de la minorité concernant le mineur auteur (Youf, 2009) mais rien sur le mineur victime. Ou si peu. Aussi, poursuivant notre hypothèse formulée sur la détermination des âges, il nous semble important de nous attacher à cette absence de graduation de la minorité sexuelle et au fait qu’hormis le seuil de 15 ans, aucun seuil intermédiaire ne vient graduer la notion de consentement du mineur.

Pourtant, le législateur a opté pour resserrer les interdits sexuels avec un mineur, à partir des âges et des asymétries d’âge avec une personne ayant autorité. Avec le déplacement du permis et de l’interdit sexuel sur le consentement, la question de l’âge a acquis une place inédite. Les relations sexuelles sont interdites avec tout mineur de 15 ans. On a le sentiment que les choses s’éclaircissent. L’âge suffit. La relation inégale majeur/mineur devient le pivot de l’interdit en se fondant sur le lien d’ascendance ou d’autorité. Mais cela fonctionne lorsque l’auteur est un majeur. En revanche, lorsque l’auteur est mineur, il y a une double interrogation. D’abord celle de savoir comment incriminer les faits en l’absence de relation d’autorité d’un mineur sur un autre mineur. Ensuite de décider si le mineur est responsable pénalement.

Notre réflexion nous amène à ce point obscur du droit actuel portant sur les relations sexuelles des mineurs entre eux. A partir de quels critères peut-on pénaliser les relations sexuelles entre mineurs ? Comment distinguer ce qui relève d’un jeu sexuel et ce qui relève d’un abus caractérisé dans les relations inter-âges entre mineurs ?

Ainsi, notre enquête empirique devrait nous permettre d’observer si dans les tribunaux d’autres seuils d’âge apparaissent à la marge des textes. Nous postulons, dans une approche relationnelle, qu’il existe non pas « un » statut d’âge univoque du mineur victime, la minorité, mais que celle-ci se déploie en plusieurs sous-statuts selon tout un ensemble de facteurs : liens les unissant victime et auteurs (lien de famille), écarts d’âge, degré de discernement de l’auteur et de la victime, préjudice morale de la victime … C’est ce que nous nous proposons d’étudier dans cette enquête.

378Jean Carbonnier. 2004. Droit civil. Introduction. Les personnes. La famille, l’enfant, le

Synthèse du chapitre 3

La protection du mineur fait l’objet de dispositions juridiques particulières qui le considèrent comme un non-consentant statutaire (15 ans), statut que l’on doit distinguer du non-consentement situationnel lié aux conditions de l’infraction. Dans les deux cas, le mot « consentement » n’a pas tout à fait le même sens : dans un cas il s’agit de la capacité de la personne en général à un consentement libre et éclairé, dans l’autre il s’agit de savoir si elle consentait hic et nunc à tel acte. Ainsi, l’âge est devenu un critère déterminant, utilisée de façon alternative ou cumulative dans les infractions (moins de 15 ans, plus de 15 ans, moins de 18 ans), pour les aggraver ou les constituer. En parallèle, au nom du principe d’éducabilité, le législateur a différencié un régime pénal spécial applicable aux mineurs délinquants ou criminels. Il a fait du discernement le pivot de la responsabilité pénale et envisagé une gradation des âges de la minorité pour sanctionner pénalement le mineur (10, 13, 16 et 18 ans).

Cette multiplicité des seuils d’âge de la minorité donne à voir que celle-ci est loin d’être une catégorie d’âge homogène. A chaque âge correspond un statut spécifique, selon que l’on se place du point de vue du coupable ou de la victime. Il apparaît deux modèles de minorité. Une minorité dichotomique du mineur victime fondée sur le seuil de la majorité sexuelle à 15 ans, mais qui fait débat sur la fixation d’un seuil de présomption irréfragable, aujourd’hui fixée à 6 ans par la jurisprudence, dans la doctrine certains proposent de le fixer à 10, 13 voire 15 ans. Une minorité évolutive et graduelle du mineur auteur fondée sur la notion de discernement. Distinguer les effets d’âge dans le traitement pénal des infractions sexuelles s’avère crucial pour comprendre les évolutions normatives en cours en matière de permis et d’interdit sexuel.

Notre enquête empirique devrait nous permettre de voir si dans la pratique, on fait référence à des seuils d’âge à la marge des textes

Objectifs du chapitre 4

Que dit la loi sur l’inceste ? Comment est-il pensé en droit ? Quelles sont les règles applicables en matière de répression de l’inceste ? Quelle est sa place au sein d’une codification pénale qui fait du consentement le pivot de ses incriminations ?

Afin de répondre à ces questions, dont quelques éléments ont été abordés au cours de ces premiers chapitres, nous allons différencier, dans l’inceste, ce qui relève des prohibitions matrimoniales et ce qui relève des interdits sexuels. Ensuite, nous nous attacherons plus particulièrement aux règles pénales en matière de répression de l’inceste et à la façon dont le droit pénal l’a appréhendé.

Cette réflexion sera conduite en trois temps. Le premier portera sur les prohibitions matrimoniales issues du code civil et leur resserrement autour de la famille conjugale. Le second sur les interdits sexuels dans le code pénal, et les raisons pour lesquels ils sont limités au lien intergénérationnel. Enfin on abordera les débats contemporains suscités par la loi du 8 février 2010, concernant la délimitation du périmètre incestueux et la preuve du non- consentement du mineur victime d’inceste.

CHAPITRE 4. INCERTITUDES LIEES A LA

QUALIFICATION PENALE DE L’INCESTE : L’AGE

ET LE CONSENTEMENT AU CŒUR DU DEBAT

L’inceste désigne des « relations sexuelles entre des personnes qui sont

parentes ou alliées au degré prohibé par les lois et la coutume 378F

379». On distingue classiquement en anthropologie deux aspects : la réglementation des unions matrimoniales et la définition d’interdits sexuels avec d’un côté les prohibitions matrimoniales du code civil, socle de la famille ; de l’autre, les interdits sexuels du code pénal au fondement de la paix sociale. (Godelier, 2004 : 617). En France le périmètre de l’interdit n’a pas toujours été le même, ni l’inceste appréhendé de la même façon, selon les codes et les époques.

Dans le droit civil français, les prohibitions matrimoniales reposent sur

deux interdits majeurs de caractère sociologique (Carbonnier379F

380 : 1190) : la polygamie et l’inceste. L’inceste, « l’un des tabous les plus profonds de

l’humanité380F

381» est visé par les empêchements à mariage et à filiation. Ces

règles de prohibition rendent illicite ou nulle la célébration du mariage dans le

premier cas ; dans l’autre, elles empêchent la reconnaissance d’une double filiation lorsqu’un enfant est né de relations incestueuses. Ces règles constituent le socle de l’interdit de l’inceste et sont au fondement de la famille dans le code civil français (Glandier-Lescure, 2006381F

382 ).

Dans le droit pénal français l’inceste n’est plus un crime spécifique puni des peines les plus sévères. Il est devenu un cas particulier des infractions sexuelles382 F

383 à partir de l’aggravation d’ascendant ou de personne ayant autorité sur la victime. Comme la loi punit d’abord l’atteinte au consentement, l’inceste est désormais assimilé à sa forme la plus grave : le viol par ascendant ou personne ayant autorité. Ces règles d’incrimination ont fait l’objet de débats dans la doctrine avant d’aboutir à la loi du 8 février 2010383F

384 et à celle du 14 mars 2016384F

385.

A partir de l’étude des deux versants de l’interdit, prohibitions

matrimoniales du code civil et interdits sexuels du code pénal, nous illustrerons

379Serge Guinchard et Thierry Debard,. 2014. Lexique des termes juridiques 2014/2015. Edition

Dalloz. p 552

380Jean Carbonnier. 2004. op. cit. 381Ibid., p 1190.

382Nathalie Glandier. op. cit.

383le viol, l’agression sexuelle et l’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans.

384Loi n° 2010-121 du 8 février 2010 tendant à inscrire l'inceste commis sur les mineurs dans le

code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux.

la façon dont l’inceste est pensé en droit. Nous nous attacherons en particulier à la question de sa qualification pénale et aux enjeux suscités par la référence au consentement.

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