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Ordre juridique matrimonial chrétien : le mariage pacte de famille

CHAPITRE 1. LES EVOLUTIONS DU DROIT DEPUIS LA REVOLUTION

II. LA MUTATION DES MODELES DE REFERENCE EN DROIT OU LA

1. Ordre juridique matrimonial chrétien : le mariage pacte de famille

famille

La première révolution du consentement est l’avènement progressif aux XVIe et XVIIe siècle du « mariage pacte de famille », selon l’expression de Jean Gaudemet146F

147, que l’on peut considérer comme une atteinte raisonnée au consensualisme traditionnel du mariage chrétien. Pour en comprendre la portée, il convient de rappeler brièvement ce que signifie un tel consensualisme, par- delà le fait que l’échange des consentements est ce qui fait le mariage. A l’origine de cette conception qui voit dans le mariage « une agrégation de deux

entités nouvelles qui désormais ne feront qu’un147F

148

» se trouve la théorie augustinienne de l’una caro : ils seront « une seule chair ». Dès lors, comme le souligne Irène Théry, « toute la difficulté pour nous aujourd’hui est de

comprendre que cette union spirituelle est aussi et indissolublement union des corps : par le consentement, « ils sont une seule chair148F

149

». En effet, en ne

faisant qu’un par l’union sacrée, le mariage, œuvre divine indissoluble, permet le salut des âmes par l’émancipation de la tentation omniprésente des péchés de chair (concupiscence, fornication et luxure) : « la mutation est ainsi opérée (de

deux, ne faire qu’un) permet de poser l’union matrimoniale non pas comme le symbole du côté charnel/sexuel de l’homme, mais au contraire comme ce qui le fait échapper au charnel : l’union du Christ et de son Eglise. L’aboutissement de cette longue élaboration théologique, ce sera l’élévation du mariage au rang de sacrement au XIIIe siècle : l’union charnelle permet son dépassement dans l’amour comme fin du mariage, amour altruiste (de Dieu, de l’autre), amour procréateur conquis contre l’amour de soi qu’est la concupiscence149 F

150

».

Ainsi on voit émerger une nouvelle partition du permis et de l’interdit qui réprouve toute sexualité en dehors du mariage : « le mariage chrétien sera la

seule forme admise et autorisée de la sexualité. Mieux vaut marier que de brûler, conseille donc Saint Paul150F

151

». Tout acte sexuel qui se produit hors du

mariage et ne vise pas la procréation est une grave atteinte à l’ordre cosmique

147Jean Gaudemet. Le mariage en occident ; les mœurs et le droit. Edition du cerf. p. 191-192. 148Porqueres i Gené. E. « Cognatisme et voies du sang: La créativité du mariage canonique ».

Revue L’Homme. N° 154/155. Question de parenté. 2000. Avril-Septembre. p. 335-336.

149Irène Théry, 2002, op. cit., p 37. 150Ibid.

voulu par Dieu parce que « l’humanité a été engendrée dans la faute qui

accompagne tout accouplement à cause de la concupiscence qui s’y manifeste151F

152

». Le droit canon normalise une sexualité matrimoniale, référent

majeur de l’ordre du permis, en multipliant les interdits pour éviter le désordre de l’alliance, la débauche. Le mariage, seul lieu légitime de la sexualité, qui doit y demeurer cachée et contenue, permet de lutter contre les péchés d’une chair faible, corruptible, charnelle. L’idée que le péché originel est transmis par l’acte sexuel, fonde la doctrine développée par Saint Augustin152 F

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: la chair incarne le mal absolu et la sexualité hors mariage est illicite. Saint Augustin distingue les péchés contre la nature de ceux contre les mœurs ou la coutume. Les plus sévèrement punis, sont l’inceste, l’adultère, le concubinage, et la polygamie.

Cependant, l’avènement du consensualisme chrétien ouvre aussi plusieurs siècles de rivalité entre l’autorité religieuse et le pouvoir laïc. Irène Théry pose la question : pourquoi la tension est-elle si forte entre eux ? : « Parce que la

théologie consensualiste procède d’une ambition moins sociétale que spirituelle : assurer que tout chrétien fait son salut, gouverner la chair pour gouverner l’esprit. De ce fait, toute union sexuelle est a priori sous contrôle spirituel. S’il n’y a pas eu violence, non seulement le consentement est présumé, mais le mariage est présumé accompli sans formalités, l’acte sexuel emportant alors toutes les conséquences des noces ritualisées : monogamie, indissolubilité, prohibitions de l’inceste avec les parents de l’autre, les affins. C’est, pour le pouvoir laïque, la source d’un désordre fondamental, d’une mise en cause radicale du lignage et de l’autorité des pères. Dans la vie sociale, le mariage n’est pas plus que chez les romains un enjeu strictement ou principalement sexuel, mais un enjeu patrimonial au sens large, où se joue la pureté du sang, l’honneur des familles, la transmission du nom, des statuts et des biens. Au fur et à mesure que s’édifie l’Etat monarchique, s’accentue la tension entre la doctrine consensualiste de l’Eglise et l’affirmation par le pouvoir laïc du caractère éminemment politique du mariage “ séminaire de la société civile ” et à ce titre ne pouvant être abandonné aux passions inconsidérées des jeunes gens et au risque majeur de la mésalliance. C’est toute l’histoire de la lutte de la monarchie (servant ici les intérêts de la noblesse) contre les mariages clandestins, à travers une série d’édits et d’ordonnances royales : Edit d’Henri II contre les mariages clandestins (1556) mais surtout série d’ordonnances condamnant à mort les auteurs de rapt (1579; 1629, 1639). Arrêtons-nous un

152Irène Théry, 2002, op. cit., p 37.

153Jacques Legoff et Michel Lowers. « La civilisation occidentale ». In Poirier, Jean (Dir).

instant sur la théorie du rapt, qui distingue le rapt de violence et le rapt de séduction. Le rapt de séduction va être le centre de l’alliance complexe de l’Eglise et de l’Etat, du temporel et du spirituel, et de la première révolution du consentement. Que dit cette théorie ? Quand une jeune fille est séduite “ par blandice et allèchement ”, ou quand les jeunes gens sont conduits par la concupiscence, leur consentement n’est pas libre, puisque leur volonté est enchaînée par la séduction ou la passion. On voit comment vont se fondre la théologie du péché de chair, soucieuse de soustraire l’union des chairs à la concupiscence, et la politique aristocratique, pour laquelle le mariage est “ la pièce maitresse ” de l’organisation hiérarchique de la société. S’il est admis que les jeunes gens, surtout s’ils sont amoureux, sont les moins à même d’échapper à la concupiscence, les parents (le père, chef du lignage ou les ascendants) sont la meilleure garantie du consentement “ éclairé ” des enfants. Le concile de Trente, pressé par les gallicans d’entériner le mariage “ pacte de famille ” refuse de revenir sur la doctrine consensualiste, mais il accepte un compromis : la publicité du mariage, in facie ecclesiae, en présence d’un prêtre, avec le consentement des parents. Sans ces conditions, le mariage est considéré comme non valide. Ce faisant, l’Eglise passe, avec l’autorité laïque, une alliance qui l’affirme comme puissance temporelle en renforçant le contrôle des prêtres sur l’institution matrimoniale. Mais elle abandonne de fait son ambition de régir l’ensemble des échanges sexuels en les soumettant à la doctrine “ una caro ”. C’est le début du processus de laïcisation du mariage, dont on ne tracera pas ici la longue histoire à la fois religieuse (c’est la Réforme) et juridique (la distinction du contrat et du sacrement) 153F

154

».

Irène Théry souligne les enjeux de genre du Concile de Trente : il marque essentiellement le contrôle des pères sur les fils : « La société d’Ancien Régime

a toujours fortement distingué sexualité des femmes et sexualité des hommes. C’est vrai de la théologie (Eve pécheresse) même si le consensualisme est “ paritaire ” et la monogamie protectrice des femmes. C’est encore plus vrai du monde laïc qui fait de l’honneur féminin le garant de l’honneur des lignages, mais lui oppose l’évidence de la liberté masculine, signe et facteur de la virilité guerrière. Toute la société du Moyen-Age puis d’Ancien Régime a ménagé ainsi une place importante à la paillardise, puis au libertinage, par division entre plusieurs catégories de femmes. Il y a ici une continuité remarquable avec l’Antiquité, dont le centre est la distinction entre les enjeux de reproduction (auxquels sont vouées les épouses) et les enjeux de plaisir (auxquels se

consacrent les autres femmes, et qui inclut les relations homosexuelles masculines) 154F

155

». A partir du Concile de Trente, la société monarchiste

absolutiste consacre le modèle chrétien du mariage et diffuse un « véritable

code de bonnes mœurs catholiques 155F

156

». Eglise et Etat normalisent ensemble la sexualité : ils règlementent et contrôlent morale sexuelle et morale matrimoniale. De plus, en développant leur politique de christianisation du mariage, ils répriment toutes les formes « déviantes de la sexualité » et légitiment le seul modèle de référence : la « Sainte famille 156F

157

». Celle-ci est incarnée par la figure d’un père modèle, protecteur et nourricier « dont la

principale vertu est justement la chasteté 157F

158 ».

Ainsi, d’un côté nous avons une Eglise postconciliaire qui établit un code moral où sont hiérarchisés des interdits sexuels, avec au plus haut l’inceste, puis l’adultère et enfin le concubinage. De l’autre, une législation royale qui condamne sévèrement tout ce qui porte atteinte au modèle de la « famille sainte » de l’Eglise et aux valeurs sacrées que sont la virginité, la chasteté et la pureté158F

159

. Ce pourquoi l’on trouve dans de nombreuses sources ecclésiastiques le « souci de protéger la virginité en punissant avec rigueur toute atteinte à la

pudeur, et plus précisément au defloratic159F

160

». Sont aussi sévèrement sanctionnées les offenses faites à l’autorité du père. C’est le cas par exemple de la nouvelle incrimination du rapt par séduction1 60F

161

qui sanctionne l’atteinte à l’autorité du père sur les enfants mineurs qui voudraient se marier sans son consentement. Elle diffère du rapt par violence, comme nous l’avons vu, qui punit l’enlèvement de force d’une femme normalement sous la dépendance d’un mari, d’un père ou d’un tuteur, largement assimilé au viol161F

162. Jusqu’au XVIIIe siècle, en matière de comportements sexuels sanctionnés, la pratique judiciaire coïncidait complètement avec le droit pénal canonique162 F

163

: inceste, adultère et concubinage sont les crimes les plus immoraux réprimés par les tribunaux ecclésiastiques et les parlements. Les manuels d’Ancien Régime assimilaient les

155Ibid., p. 39.

156Jean-Pierre Royer, op. cit,. p. 73.

157Marie Sylvie Dupont-Bouchat. 1987. « Les nouvelles conduites sexuelles aux XVIe et XVIIe

siècles. Discours de l’Eglise et Discours du Droit Laïque », in Droit, Histoire et Sexualité. Poumarède, Jacques et Royer Jean-Pierre (Coord.), Publication de l’Espace Juridique, p.106.

158Jean-Pierre Royer, op. cit., p. 573. 159Jean-Pierre Royer, Ibid., p. 565.

160Marie Sylvie Dupont-Bouchat, 1987, op. cit., p. 107.

161Le rapt par séduction est apparu par voie de jurisprudence au XVIe siècle et a été consacré par

la déclaration royale de 1730.

162Benoit Garnot. 2000. Crime et justice aux XVIIème et XVIIIème siècle. Chapitre 1. La législation et la répression des crimes dans la France moderne. p. 59-75.

péchés jugés par les tribunaux ecclésiastiques, aux crimes relevant des parlements. Leurs peines se conjuguaient avec les sanctions séculières163F

164 .

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