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Particularité des affaires sexuelles : les problèmes de preuves

CHAPITRE 5. LA QUALIFICATION PENALE DES VIOLENCES

I. QUALIFIER PENALEMENT DES AFFAIRES SEXUELLES SUR MINEURS :

1. Particularité des affaires sexuelles : les problèmes de preuves

Dans les affaires de violences sexuelles sur mineurs il y a d’abord un vaste problème de preuve des faits : absence de témoin direct et de trace physique, huit clos familial, faits rarement isolés et dénoncés tardivement par la victime sont fréquents. Aussi qualifier les faits et caractériser l’infraction ne va pas de soi. Les mis en cause, présumés innocents, sont-ils coupables ? Les enfants disent-ils la vérité ? On a vu la dérive que pouvait entraîner l’emballement judiciaire dans l’affaire Outreau en 2004508F

509 qui avait conduit des innocents en

509Du 4 mai au 2 juillet 2004 s’est tenu le 1er procès d’Assises du Pas de Calais à Saint Omer,

sur l’affaire Outreau. Sur les dix-huit personnes inculpées de corruptions, viols et agressions sexuelles sur mineurs, l’une d’elle s’est suicidée en prison, et dix ont été condamnées sur la seule base des témoignages d’enfants et de dénonciations d’autres accusés. Trois ans de procédures et neuf semaines d’audiences pour statuer sur le sort des inculpés. Seuls quatre étaient coupables. Myriam Badaoui reconnait le 18 mai 2004 avoir menti et innocente treize des dix-sept inculpés. Toute l’accusation s’écroule, mais la cour d’Assises condamne dix personnes. En effet, en juillet 2004, la première cour prononce sept acquittements et dix condamnations. Parmi ces condamnations, quatre ont reconnu leur culpabilité (les époux Badaoui et Delay) et condamnés pour proxénétisme, viol et agression sexuelle, respectivement à 15 et 20 ans de réclusion criminelle (époux Badaoui); et 4 à 6 ans (époux Delay) ; les six autres ne cessent de clamer leur innocence et font appel de leur jugement. En 2ème instance, la cour d’appel de Paris prononce, en novembre 2005, l’acquittement de ces six condamnés. Au final, douze enfants sont reconnus victimes, quatre adultes jugés coupables, et treize acquittés « les acquittés Outreau ». Le procureur général présente des excuses au nom de la justice auprès des accusés et évoque «

un dysfonctionnement majeur, catastrophique de l’institution judiciaire ». Tous les échelons de

l’appareil judiciaire sont mis en cause (signalement tardif, cloisonnement entre les services judiciaire), une instruction à charge, une accusation qui n’a reposé que sur la parole des enfants, une valorisation excessive des expertises psychologiques et psychiatriques … Le jour même, le ministre de la justice, Pascal Clément, présente ses excuses pour cette erreur judiciaire. Une commission d’enquête parlementaire Outreau est mise en place entre janvier et avril 2016, les acquittés Outreau sont entendus, l’enquête est retransmise sur la chaîne parlementaire. ¨Parmi les nombreux ouvrages écrit sur cette affaire, l’on peut retenir celui de Florence Aubenas « La

méprise. L’affaire Outreau » paru aux éditions du seuil en 2005 (a fait l’objet de vives critiques

dans le milieu judiciaire car publié avant même que l’affaire soit rejugée en appel. URL: http://www.village-justice.com/articles/MEPRISE-Les-mensonges-Florence,19584.html

prison et jeté le discrédit sur la parole de l’enfant509F

510. Et dans l’affaire Loïc Sécher, condamné à 16 ans d’emprisonnement pour viol sur mineur en 2003 avant d’être innocenté en 2011510F511. On connaît le problème des fausses allégations, fréquemment rencontré dans le contexte de séparation conflictuelle des parents, comme l’ont montré des chercheurs canadiens511 F

512. Le risque de l’erreur judiciaire est très présent dans ces affaires, non seulement pour l’innocent qui se trouve condamné, mais aussi pour l’enfant qui voit son agresseur relaxé ou acquitté.

a) Le problème de la dénégation des faits par l’auteur Si l’aveu reste « la reine des preuves512 F

513 », on sait par ailleurs que la

négation de l’acte par l’auteur est le noyau des affaires de violences sexuelles (Salas, 2010513F

514). Dès lors, comment prouver l’infraction face à l’absence d’aveu ? Comment retenir la culpabilité du mis en cause face au déni ? Comment les juges peuvent-ils construire leur « intime conviction » en l’absence de preuves formelles ? On entre dans la complexité des problèmes de preuves. La parole de l’un peut neutraliser la parole de l’autre. Il est nécessaire d’aller chercher les éléments ailleurs que dans les aveux. En effet selon l’avocat

[Consulté le 7 mai 2017] ) ; l’ouvrage de Marie-Christine Gryson-Dejehansart « Outreau la

vérité abusée », Broché, octobre 2009 et celui d’Elisabeth Fleury et Philippe Houillon « Au cœur du délire judiciaire : Ce que la commission parlementaire sur Outreau a découvert »,

Broché, 2007, présentent dans le détail et avec précision le déroulement intégral de l’affaire et des dysfonctionnements judiciaires.

510La commission d'enquête, présidée par A. Vallini, a été chargée de rechercher les causes des

dysfonctionnements de la justice dans cette affaire et a formulé des propositions pour éviter leur renouvellement. La commission a par exemple relevé l’inadaptation des méthodes de recueillement de la parole des enfants victimes par les services sociaux, la police, aux faits d’agressions dont les enfants Delay ont été victimes et qui auraient pu faire l'objet d'une action judiciaire ne sortant pas du cadre d'une affaire d'inceste familial. Assemblée nationale, doc. n° 3125, 6 juin 2006. URL : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rap-enq/r3125.asp [Consulté le 7 mai 2015].

511Loïc Sécher a été condamné en 2003 pour viol sur mineur à la peine de 16 ans de réclusion

criminelle. Dans cette affaire, toute l’accusation a reposé sur les dires d’Emilie 14 ans au moment des faits, sans aucun examen médical, ni prélèvement ADN, ni confrontation. 8 ans après les faits, Emilie a envoyé une lettre au procureur pour se rétracter sur ses déclarations. La cour de révision a annulé en 2010 la condamnation de Loïc Sécher et l’a renvoyé à un nouveau procès. La cour d’Assises de Paris se tient le 20 juin 2011 et déclare Loïc Sécher innocent, et lui octroie une indemnité de compensation en réparation du préjudice subi. Première fois qu’un procès s’ouvre un en révision après une double condamnation. Pour une présentation de l’affaire on peut se référer à l’ouvrage « Le calvaire et le pardon. Les ravages d'une erreur judiciaire

revue et corrigée » co-écrit par Loïc Sécher et Éric Dupond-Moretti. Editions Broché, 2013.

512Hubert Van Gijseghem a établi tout une typologie de ces fausses allégations en contexte de

conflit parental, dans « Les fausses allégations d'abus sexuel dans les causes de divorce, de garde d'enfants, de droits de visite » dans l’ouvrage intitulé « L'enfant mis à nu. L'allégation

d'abus sexuel: la recherche de la vérité ». Texte repris dans la Revue canadienne de

psychoéducation, vol. 20, no 1, 1991, pp. 75-91.

513Gilles Antonowicz. 2002. Agressions sexuelles : la réponse judiciaire. Odile Jacob. p. 65. 514Denis Salas. 2010. La volonté de punir. Essai sur le populisme pénal. Editions Fayard. 288 p.

Gilles Antonowicz les juges doivent s’appuyer sur tout un faisceau d’indices de présomption « faisceau d’indices susceptible de pallier l’absence de preuve

évidente et indiscutable514F

515 ». La charge de la preuve incombe au ministère

public ou au juge d’instruction (examen des éléments à charge et à décharge). Le doute doit toujours profiter à l’accusé qui devra être relaxé ou acquitté au bénéfice du doute, au nom du principe"in dubio pro reo"515F

516.

Jusque très récemment, l’acquittement, la relaxe ou le non-lieu, étaient considérés en droit comme la sanction d’accusations infondées. En droit ces fausses accusations pouvaient entrainer quasi automatiquement le délit de dénonciation calomnieuse. Ce dernier est visé à l’article 226-10 du Code pénal51 6F

517 et à l’alinéa 2 du même article qui était ainsi rédigé : « La fausseté du

fait dénoncé résulte nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu déclarant que la réalité du fait n'est pas établie ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée ». En la

matière, la jurisprudence517F

518 a longtemps considéré que même en cas de relaxe au bénéfice du doute, le fait dénoncé pouvait être considéré comme faux et donc relever d’un délit de dénonciation calomnieuse. Cela a fait débat dans le contexte de lutte contre les violences faites aux femmes, les sénateurs ayant estimé que cela pouvait constituer un frein au dépôt de plainte de ces dernières518 F

519. Ainsi, dans la loi du 9 juillet 2010 concernant la protection des femmes victimes de violences, de nouvelles dispositions ont modifié cet article 226-10 en remplaçant le 2ème alinéa par « la fausseté du fait dénoncé résulte

515Gilles Antonowicz. 2002. op. cit.,. p 85.

516L’article préliminaire du code de procédure pénale dispose ainsi que « toute personne

suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Les atteintes à sa présomption d'innocence sont prévenues, réparées et réprimées dans les conditions prévues par la loi ».

517Article 226-10 du code pénal : « la dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre

une personne déterminée, d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact, lorsqu'elle est adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d'y donner suite ou de saisir l'autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l'employeur de la personne dénoncée, est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 45000 euros d'amende ».

518Cass. Crim. du 16 novembre 1993 n° 93-80990 ; Cass. Crim. du 20 février 1996 n° 95-80477. 519Rapport sénatorial établi dans le cadre d’un projet de loi sur la répression des violences faites

aux femmes : « Ces situations ne sont pas acceptables. En effet, de telles décisions signifient

que les faits dénoncés ne sont pas nécessairement vrais mais l’on ne saurait en déduire qu’ils sont nécessairement faux. C’est pourquoi le rapport d’évaluation du premier plan global triennal de lutte contre les violences faites aux femmes prévoyait qu’« une réflexion pourrait être conduite sur des modifications législatives portant sur l’incrimination de dénonciation calomnieuse qui est de plus en plus souvent utilisée par les auteurs de harcèlement sexuel pour se retourner contre leur victime lorsqu’elle n’a pas pu obtenir gain de cause, faute, par exemple, de preuves jugées suffisantes ». URL : http://www.assemblee- nationale.fr/13/rapports/r2293.asp#P549_101044 [Consulté le 14 juillet 2017].

nécessairement de la décision, devenue définitive, d'acquittement, de relaxe ou de non-lieu, déclarant que le fait n'a pas été commis ou que celui-ci n'est pas imputable à la personne dénoncée ». Désormais, dans le domaine des

infractions sexuelles, comme pour les autres infractions, le plaignant ou la plaignante ne pourra plus être poursuivi pour dénonciation calomnieuse, sauf s’il a été clairement précisé dans la décision (acquittement, relaxe ou non-lieu) que l’infraction reprochée n’a pas été commise. L’importance de cette modification du droit, qui avait été depuis longtemps demandée par certaines associations de défense des femmes victimes de violence telle l’AVFT (Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail), a été largement sous-estimée dans l’opinion, où elle est de fait passée inaperçue : pourtant, c’est par elle que les plaignantes ou plaignants ont bénéficié de ce que Irène Théry a nommé au moment de l’affaire DSK une « présomption de véracité » (expression corrigée ensuite en « crédit de véracité »), équilibrant d’une certaine façon la présomption d’innocence qui bénéficie à l’accusé : désormais, elles sont supposées ne pas mentir jusqu’à preuve du contraire. En cas de doute, ce crédit leur bénéficie si elles deviennent à leur tout objet de plainte en dénonciation calomnieuse. Plus généralement, cette disposition traduit le changement de regard de la société sur la parole des personnes qui se déclarent victimes d’abus sexuels : on refuse désormais de les accuser d’affabulation si la preuve n’a pas pu être apportée et si le doute a bénéficié à l’accusé, ce qui fut longtemps le cas dans les affaires où c’est, comme on dit, « parole contre parole ».

b) Constituer la preuve de l’infraction, rôle des expertises et investigations

L’enquête judiciaire conduite sous le contrôle du procureur, permet à ce dernier de disposer d’un ensemble de prérogatives et de réaliser des actes judiciaires variés (garde à vue, réquisitions judicaires, perquisitions, procès- verbal d’auditions, de confrontations …). La somme de ces actes de procédures permettra le cas échéant de constituer la preuve de l’infraction et rechercher les auteurs.

En outre, les expertises peuvent aider à la manifestation de la vérité. L’expertise médico-légale ou gynécologique réalisée sur la victime dans les affaires de viol sur mineur permet d’attester, le cas échéant, de blessures ou de traces sur le corps de l’enfant victime : une déchirure d’hymen ou des blessures anales. L’expert procède à un examen des parties génitales et anales, établit un certificat médical descriptif des blessures éventuelles, détermine l’Interruption Temporaire de Travail (ITT) au sens du code pénal et fournit un rapport

attestant de l’examen. Il existe également des expertises techniques, dans le domaine de l’informatique par exemple, pour rechercher s’il y a eu ou non consultation, enregistrement et diffusion de fichiers pédopornographiques dans les ordinateurs des inculpés. Leur présence permet de caractériser la preuve matérielle du délit de pédopornographie.

Les expertises psychologiques et psychiatriques de chacun des protagonistes, sont devenues obligatoires dans les affaires de violences sexuelles sur mineurs. Elles n’ont pas pour but la recherche de preuve de culpabilité mais l’appréciation du mode de vie passé et actuel des protagonistes519F

520. On sait que l’expert ne donne qu’un avis et que le juge ou la juridiction de jugement, ne sont pas tenus de le suivre. L’article 427 du code de procédure pénale énonce le principe de l’intime conviction « hors les cas où la

loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction ».

Ainsi, l’expertise psychiatrique de l’accusé est réalisée dès l’ouverture d’enquête sur réquisition du parquet. Elle doit spécifier s’il y a nécessité d’une injonction de soin (article 706-47-1 du Code de Procédure Pénale) et déterminer le niveau de responsabilité pénale. D’autres investigations permettent d’apporter des éléments approfondis sur la personnalité des auteurs, mais n’ont pas valeur de preuve. Il s’agit des enquêtes de personnalité des inculpés majeurs (réalisé par des enquêteurs sociaux réquisitionnés par les juges) et des investigations prononcées lorsque les inculpés sont mineurs (au moment des faits) : les Mesures Judiciaires d’Investigation Educatives (MJIE), les Enquêtes Sociales (ES) et les Recueils de Renseignements Sociaux Educatifs (RRSE). Elles sont réalisés par des éducateurs ou assistants sociaux de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, et conformément à l’article 5 de l’ordonnance du 2 février 1945, elles doivent permettre d’apporter une connaissance suffisante de la personnalité et de la situation sociale et familiale du mineur afin d’assurer la cohérence des décisions pénales dont il fait ou fera l'objet. Ces investigations peuvent s’accompagner de mesures éducatives ou probatoires dans l’attente d’un jugement520F

521.

520Article D16 du code de procédure pénale : « L'enquête sur la personnalité des personnes

mises en examen ainsi que sur leur situation matérielle, familiale ou sociale prévue à l'article 81, alinéa 6, du code de procédure pénale et les examens, notamment médical et médico- psychologique, mentionnés à l'alinéa 7 dudit article, constituent le dossier de personnalité de la personne mise en examen. Ce dossier a pour objet de fournir à l'autorité judiciaire, sous une forme objective et sans en tirer de conclusion touchant à l'affaire en cours, des éléments d'appréciation sur le mode de vie passé et présent de la personne mise en examen. Il ne saurait avoir pour but la recherche des preuves de la culpabilité ».

521Sur la question, on peut se référer au chapitre 3, présentant la spécificité de la justice des

S’agissant du mineur présumé victime, la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 a rendu obligatoire l’expertise psychologique dès le début de l’enquête (article 706-48 du Code de Procédure Pénale). Elle est destinée à apprécier la nature du préjudice subi et le retentissement des faits. Or, après l’affaire Outreau, elle a été largement remise en question, débattue sur la question de la crédibilité dont la loi du 17 juin 1998 ne fait pas mention. La notion de crédibilité n’apparaît que dans la circulaire d’application du ministère de la justice du 20 avril 1999. La commission521F

522 a proposé de supprimer le terme de crédibilité et de s’en tenir au contexte de révélation des faits et d’évaluation du retentissement psychique en rapport avec les faits.

2. La qualification pénale : normes juridiques et application

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