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L’épineuse question de preuve du non-consentement du mineur victime d’inceste :

CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU

III. DEBATS CONTEMPORAINS SUR L’INCESTE : LES LOIS DU 8 FEVRIER

3. L’épineuse question de preuve du non-consentement du mineur victime d’inceste :

du débat

Il peut paraître incongru de se poser la question du non-consentement du mineur victime d’inceste, mais en droit positif, le lien de famille entre auteur et victime n’a aucune incidence pour fonder le viol ou l’agression sexuelle (Glandier-Lescure, 2006). Les juges sont tenus de rechercher au cas par cas si la victime a été sous l’emprise de la violence, de la menace, de la surprise ou de la contrainte. Or, en situation d’inceste, lorsque la victime est mineure, n’a pas été frappée, ni menacée, et a fini par accepter la situation d’abus, il est difficile de prouver l’absence de consentement (Vrignaux, 1994 ; Porchy, 2003476F

477

). C’est tout le problème de la preuve du non-consentement, car, comme le rappelle le

473Fabienne Terryn,. 2013. « L’inceste en droit pénal français ». In. Dussy, Dorothée (Coord.).

L’inceste, bilan des savoirs. La Discussion. pp. 57-121.

474« Les violences sexuelles à caractère incestueux sur mineur.e.s ». Rapport remis le 26 avril

2017 à Madame Laurence Rossignol, ministre de la famille, de l’enfance et des droits des femmes, et à Monsieur Thierry Mandon, secrétaire d’état à l’enseignement supérieur et la recherche. 60 p.

475Ibid., p 18.

476Arnaud Montas, Gildas Roussel. 2010. « La pénalisation explicite de l'inceste : nommer

l'innommable », Archives de politique criminelle 2010/1 (n° 32), p. 300.

477Dominique Vrignaux. 1994. « Les comptes de l’inceste ordinaire ». In Françoise Héritier.

(dir.). De l’inceste. Odile Jacob. pp. 129-169. ; Marie-Pierre Porchy. 2003. Les silences de la

pénaliste Ben Kemoun « la plupart des infracteurs, alors même qu'ils

reconnaissent la réalité d'une relation sexuelle, nient toute « violence, contrainte, menace ou surprise 477F

478». La question de la preuve du non- consentement du mineur victime d’inceste a été au cœur des débats actuels.

a) Les débats dans la doctrine et les controverses dans la jurisprudence La tendance de la doctrine est de considérer qu’une relation incestueuse avec un mineur est toujours et nécessairement une violence, donc un viol ou une agression sexuelle. En ce sens, si certains pénalistes sont défavorables à l’instauration d’une incrimination spécifique pour sanctionner l’inceste, tel que Christian Guéry et Danièle Mayer478 F

479, pour d’autres il en est autrement. Dans l’idée que le droit aurait tout à gagner à doter l’inceste d’une qualification particulière, le pénaliste Laurent Ben Kemoun, propose de modifier la logique d’ensemble des incriminations : « Pour conclure, la loi doit, dans un chapitre

séparé, qui pourrait être le septième (« des atteintes aux mineurs et à la famille ») rénové du titre deux du livre deuxième du code pénal, proclamer qu'il est toujours prohibé pour un ascendant ou une personne ayant autorité de se livrer à toute relation sexuelle quelconque avec son enfant mineur ou l'enfant mineur placé sous son autorité479F

480

». Cette évidence, de considérer l’inceste comme un crime, a fait dire à Serge Portelli que « le crime de l’inceste suffit à fonder sa

spécificité480F

481

» et à Nathalie Glandier-Lescure dans sa thèse de droit sur l’inceste, que cela « permettrait de clarifier l’état du droit qui impose la preuve

du défaut de consentement dans le cadre des agressions sexuelles, y compris lorsque la victime est mineure, et qui appréhende la parenté en ligne directe comme un abus d’autorité au même titre que les autres 481F

482

». La juriste propose la création du crime de « viol incestueux 482F

483» pour sortir du débat sur le

consentement de la victime d’inceste. L’instauration d’un défaut de consentement irréfragable en situation d’inceste se poserait uniquement dans ce cadre-là. Dans ce cadre, elle s’oppose complètement à la proposition faite par Marie-Pierre Porchy, d’instaurer une incrimination générique de « violences

sexuelles » pour les actes incestueux, jugés en tribunal correctionnel et réserver

478

Laurent Ben Kémoun. 2002. « La confiance violée de l'enfant : Refonder la norme pénale ». D.491Recueil Dalloz. p. 491

479Ces derniers considèrent en effet qu’il est préférable de lutter contre les causes de l’inceste

plutôt que le fait lui-même dans sa qualification pénale.

480Laurent Ben Kemoun. op. cit.

481Serge Portelli. 1997. « Crimes et délits de famille. L'État de droit ». Cahiers de la sécurité

intérieure, n° 28, 2e trimestre, pp. 75-99. p. 90.

482Nathalie Glandier-Lescure, op. cit. p. 322.

483Ibid., p. 324. L’auteur propose de limiter la création d’une infraction autonome de l’inceste au

viol et à l’agression sexuelle, en apposant le terme incestueux à la qualification et retenant une présomption de non-consentement du mineur uniquement aux faits commis par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, et sur un mineur de moins de 15 ans .

la compétence des cours d’Assises aux viols aggravés par des actes de torture ou de barbarie483F

484 .

Quant à la jurisprudence, elle s’est montrée de plus en plus hésitante à déduire la contrainte et la surprise de l’âge du mineur (comme nous l’avons déjà vu) et du lien de famille avec son agresseur. Si la cour de cassation du 11 juin 1992484F

485 avait retenu, pour fonder la contrainte, le manque de discernement d’un enfant de 12 ans et sa dépendance affective à son père, par la suite, elle a refusé. Dans un arrêt du 21 octobre 1998485F

486, elle n’a pas retenu la contrainte dans une affaire de viol et agression sexuelle commis sur un garçon de 13 ans par sa belle-mère âgée de 34 ans, considérant que les critères d’âge et d’autorité ne pouvaient à la fois aggraver et fonder la contrainte de la même infraction. Les faits ont donc été requalifiés en atteintes sexuelles aggravées. De même, la Cour de Cassation du 10 mai 200148 6F

487 a cassé un arrêt de la cour d’appel qui avait déduit la contrainte subie par un neveu, du fait qu'il était placé sous l'autorité de son oncle chargé de sa garde pendant les vacances. La chambre criminelle l’avait contesté et avait rappelé que le critère de personne ayant autorité ne constituait qu'une circonstance aggravante du délit d'agression sexuelle. La jurisprudence a rappelé ainsi un aspect strict de la règle du droit : un même fait ne peut être retenu comme constitutif de deux circonstances aggravantes. Dans une autre décision487F

488, la surprise n’a pu se déduire de l’âge et du rapport d’autorité avec le grand oncle.

484Marie-Pierre Porchy, op. cit. p. 138. 485

Cass. Crim., 11 juin 1992, n° 91-85.847 : « Attendu que ces faits, commis par un père qui,

pour parvenir à ses fins contre la volonté de son fils, a profité du manque de discernement de ce dernier pour abuser de son autorité, caractérisent le crime de viol par contrainte ou par surprise commis par un ascendant sur un mineur de quinze ans ». En l’espèce, les faits avaient été commis sur un mineur de douze ans ».

486

Cass. Crim., 21 octobre 1998, n° 98-83.843 « Ne donne pas de base légale à sa décision la

chambre d'accusation qui, pour renvoyer un couple devant la cour d'assises sous l'accusation de viols et agressions sexuelles aggravés et complicité, énonce que « c'est à l'âge de treize ans que, sous des motivations pseudo-pédagogiques, un enfant a été encouragé par son père à observer et toucher la nudité de sa belle-mère, âgée de vingt et un ans de plus que lui, que, feignant la tendresse et exploitant le besoin qu'ils avaient eux-mêmes suscité, les accusés ont ensuite proposé à l'enfant des relations sexuelles, et qu'ainsi, compte tenu de son jeune âge, de son manque de discernement et du lien d'autorité existant, l'enfant s'est trouvé dans un état de dépendance affective caractérisant à son égard la contrainte morale qui s'est maintenue tout au long des relations sexuelles, y compris au-delà de la majorité…»; se fondant ainsi, pour caractériser la violence, la contrainte ou la surprise, sur l'âge de la victime et la qualité d'ascendant ou de personne ayant autorité des auteurs présumés, alors que ces éléments, s'ils permettent de retenir, contre ces derniers, le délit d'atteinte sexuelle aggravée sur mineur ».

487 Cass. Crim., 10 mai 2001 n°00-87659. 488Cass. Crim., du 4 février 2004 n° 03-82.845.

En revanche, comme nous l’avons présenté au chapitre 3, le très jeune âge de l’enfant peut être retenu comme présomption irréfragable de non- consentement. Rappelons en effet que par décision du 7 décembre 2005488F

489, la Cour de cassation a refusé de casser des arrêts des juges de fond, considérant que le très jeune âge des enfants (1 an et demi à 5 ans) victimes d’agressions sexuelles par leur père, pouvait constituer légalement la contrainte. La Cour de cassation avait alors estimé que : « l'état de contrainte ou de surprise résulte du

très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés ». Dans une autre affaire, la Cour de

cassation du 5 décembre 2007489F

490 a jugé que « la contrainte résulte de

l’incapacité de la fillette, en raison de son tout jeune âge, six ans lors des premiers faits, à résister à l’emprise de son père et à donner un consentement valable à ses sollicitations ». La jurisprudence établit une présomption

irréfragable du non-consentement à partir du très jeune âge, mais ne tient pas compte du lien de famille. C’est précisément l’objet de la loi du 8 février 2010 sur l’inceste que de tenter de régler ce problème : faut-il faire de l’inceste une infraction autonome ? Changer les règles juridiques ?

b) La contrainte morale depuis la loi du 8 février 2010

Avec la loi du 8 février 2010, le législateur n’a pas fait de l’inceste une infraction spécifique à la différence d’autres législations490F

491 mais a donné une base légale à la contrainte afin d’assouplir le régime de la preuve du non- consentement du mineur :

L’article 222-22-1 du Code Pénal dispose que : « La contrainte prévue par le

premier alinéa de l’article 222-22 peut être physique ou morale. La contrainte morale peut résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime ».

L’interprétation stricte veut que les conditions d’écart d’âge et d’autorité se cumulent dans la nouvelle base légale donnée à la contrainte. Celle-ci pose les bases juridiques d’une présomption irréfragable de non-consentement du mineur victime d’inceste, et ce quel que soit son âge. Or, le rapport d’autorité, si difficile à caractériser, s’avère déterminant et la règle fait controverse dans la

489Cass. Crim., 7 décembre 2005, n°05-81.316. 490Cass. Crim., 5 décembre 2007, n°07-80.068.

491Au Canada, le législateur a fait de l’inceste un crime imprescriptible. On le trouve dans le

code criminel à l’article 155 : Commet un inceste quiconque, sachant qu’une autre personne est,

par les liens du sang, son père ou sa mère, son enfant, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils ou sa petite-fille, selon le cas, a des rapports sexuels avec cette personne ».

doctrine et le milieu judiciaire. Certains pénalistes estiment même que cette règle est « incomplète, car en faisant référence à la seule « autorité », elle ne

permet pas de démontrer la contrainte imposée par un membre de la famille qui n’en bénéficie pas, alors même que l’inceste se définit en priorité par ce rapport 491F

492». De plus, la nouvelle règle ne s’applique que si la victime est mineure et porte sur la double référence à l’autorité de l’auteur et à la différence d’âge. Autrement dit, dans le cas d’un viol incestueux commis par un frère mineur de 17 ans sur sa jeune sœur de 10 ans, la contrainte ne pourra pas être retenue, même si l’écart d’âge est important, le frère ne disposant pas d’une autorité à l’égard de sa sœur. Ce faisant, cette nouvelle règle d’incrimination dépasse largement la question de l’inceste puisqu’elle s’étend à une diversité de situations qui ont toutes en commun de concerner des victimes mineures. On mesure le poids des âges, et non plus seulement celui des liens de famille.

En outre, en retenant les deux mêmes critères, d’âge et de d’autorité, comme constitutifs de la contrainte et circonstances aggravantes de la même infraction, cela conduit à rendre encore plus floue la frontière entre l’agression et l’atteinte sexuelle (Guéry, 2010 ; Germain, 2011 ; Terryn, 2013). Il y a également des débats dans le milieu judiciaire, les professionnels492 F

493 critiquent la confusion amenée par le législateur « un père qui viole sa fille chez eux. Jusqu'au 27 janvier 2010, c'était un viol (quinze ans) aggravé par la double circonstance de son ascendance et de la minorité de sa fille : vingt ans encourus. Avec la loi de 2010, c'est un viol incestueux : quinze ans. S'il ne l'a "que" agressée sexuellement, il encourait dix ans, une seule circonstance aggravante faisant passer la peine de cinq à sept ans, deux circonstances (minorité + ascendant) la portant à dix ans. Avec la loi de 2010, il a commis une "agression sexuelle incestueuse" : cinq ans 493F

494». D’autres

494F

495 estiment que la nouvelle base légale donnée à la contrainte est une « monstruosité juridique » car, selon l’auteur, elle pourrait conduire à incriminer de viol ou d’agression sexuelle des actes sexuels consentis : « une relation sexuelle consentie entre un

oncle de 25 ans et sa nièce de 17 ans conduirait donc à la qualification de viol 495F

496».

Le conseil constitutionnel a été saisi le 19 novembre 2014 d’une QPC relative à la légalité des délits du fait des mêmes éléments constitutifs et

492Arnaud Montas et Gildas Roussel. 2010, op. cit., p.297. 493 Blogs d’avocats. URL

http://www.maitre-eolas.fr/archive/2010/02/08 et

http://maitremo.fr/on-nous-dit-rien-et-parfois-on-fait-bien/ [consultés le 7 mai 2015].

494 Blog de maître Mo. URL : http://maitremo.fr/on-nous-dit-rien-et-parfois-on-fait-bien/

[Consulté le 7 mai 2015].

495

URL : http://www.huyette.net/article-l-inceste-et-le-code-penal-44401675.html [Consulté le 7 mai 2015].

aggravants (âge et d’autorité) dans la contrainte. Or, les « sages » ont considéré que la contrainte, telle que définie dans l’article 222-22-1 n’a pas pour conséquence de définir les éléments constitutifs du viol ou de l’agression sexuelle, mais « pour seul objet de désigner certaines circonstances de fait sur

lesquelles la juridiction saisie peut se fonder pour apprécier si, en l'espèce, les agissements dénoncés ont été commis avec contrainte 496F

497». C’est un texte

interprétatif selon le pénaliste Yves Mayaud (2016498) puisqu’il invite « à

puiser dans les circonstances propres à chaque espèce de quoi se convaincre de l'existence ou non d'une contrainte, particulièrement d'une contrainte morale ».

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