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La qualification pénale resituée dans la chronologique de l’enquête

CHAPITRE 5. LA QUALIFICATION PENALE DES VIOLENCES

II. MISE EN ŒUVRE DE LA QUALIFICATION PENALE

2. La qualification pénale resituée dans la chronologique de l’enquête

La qualification pénale doit être resituée dans la chronologie de l’enquête pour comprendre qu’elle se construit et s’affine au fur et à mesure : au moment de la première enquête, en fin d’enquête, lors de l’instruction et au renvoi en jugement de l’affaire. Pour une vision d’ensemble de la procédure pénale, on peut se référer au schéma présenté en annexe n°3. Ainsi, l’on peut distinguer quatre qualifications successives :

- Stade 1 : Une qualification dite policière

- Stade 2 : Une qualification par le procureur ou le parquet - Stade 3 : Une qualification par le juge

- Stade 4 : La qualification finale (TC, TPE, CA, CAM528F

529)

a) La qualification dite policière au moment de l’enquête préliminaire ou de flagrance

Ce sont d’abord les enquêteurs (policiers, gendarmes) au moment du dépôt de plainte ou du signalement de l’affaire, avant même que le Procureur ait décidé ou non de poursuivre. La qualification dite policière (Aubusson de Cavarlay, 2003) intervient en début de procédure, lors de la première enquête,

527Ibid. p. 143.

528Cass. Crim., 19 janvier 2005.

ouverte sur le mode préliminaire ou de flagrance. Les enquêteurs vont opérer toute une série de choix, selon leur investigation qui permettra de caractériser les éléments matériels et intentionnels de l’infraction : réquisition à domicile, expertise médicale, gynécologique, psychologique ou psychiatrique… La qualification reste provisoire, avec ou sans circonstance aggravante. On la trouve en marge des procès-verbaux, mais aussi dans les rapports de synthèse en fin de première enquête. Elle n’est donc pas figée, et peut faire l’objet de changement au cours de ce stade de la procédure (stade1). La première qualification pénale intervient au début de la procédure, au moment de la première transmission de l’affaire au parquet. Et peut-être aléatoire.

Les officiers de police judiciaires sont dans l’obligation d’informer sans délai le Procureur de la République des crimes, délits et contraventions dont ils ont connaissance, et doivent rendre compte de leurs investigations529F

530. Depuis la mise en place du TTR (Traitement en Temps Réel) ou traitement direct, le parquet peut traiter l’affaire sur la base des comptes rendus téléphoniques des enquêteurs. Les modalités de révélation de l’infraction influent sur le type d’enquête et leur durée. Ainsi par exemple, le crime ou délit flagrant, qui vient de se commettre (article 53 du code de procédure pénale) conduit à une enquête de flagrance qui ne peut durer plus de 8 jours. A l’inverse, l’enquête préliminaire menée même s’il n’y a pas constatation de crime ou délit, peut se poursuivre de manière discontinue et sans limitation de durée.

b) La qualification par le Ministère Public : procureur ou parquet La qualification du Ministère Public ou du procureur est plus précise, le magistrat valide une qualification légale : « Le ministère public devra tout

d’abord s’attacher à qualifier pénalement les faits. Les policiers ou gendarmes chargés de l’enquête auront la délicate mission de demander à la victime de décrire précisément le déroulement de ces faits et les circonstances dans lesquelles ils se sont produits : localisation des actes commis sur les régions du corps, dénombrement e la fréquence de ces actes, reconstitution du rapport de force entre l’agresseur et l’enfant530F

531 ». Cette qualification, lorsqu’elle est

donnée en fin d’enquête préliminaire ou de flagrance, marque une étape essentielle, elle détermine la sélection et l’orientation de l’affaire. C’est sous le contrôle du procureur que s’assure de la mise en état des affaires pénales531 F

532.

530Article 40 al. 2 du Code de Procédure Pénale : « toute autorité constituée, tout officier public

ou fonctionnaire qui, dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ».

531Gilles Antonowicz. 2002. op. cit. p. 41.

Le Procureur évalue si les faits portés à sa connaissance sont constitutifs d’une infraction commise par une personne. Il a en outre le monopole de l’action publique : « il reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la

suite à leur donner532F

533 », et différentes modalités s’offrent à lui pour décider de

l’orientation et suites à donner :

- Donner des instructions aux agents de police533 F

534,

- Convoquer devant un tribunal correctionnel par procès-verbal5 34F

535, - Prononcer une comparution immédiate535F

536 (renvoi immédiat devant le tribunal correctionnel),

- Prononcer une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité536 F

537,

- Proposer une citation directe devant le tribunal correctionnel537F

538, - Ouvrir une information judiciaire538 F

539 (obligatoire dans le cas du viol). Dans ce cadre il rédige les actes d’accusation lors de la clôture du dossier d’instruction (réquisitoire définitif).

Le Procureur peut également décider d’alternatives aux poursuites (médiation pénale, rappel à la loi, classement sous condition, composition pénale …), ce qui est rare en matière d’infractions sexuelles. Ou décider d’un classement sans suite, si les faits ne sont pas établis, mais il a l’obligation de justifier sa décision de classement aux plaignants et victimes, ainsi qu’aux autorités qui ont dénoncé les faits5 39F

540. Cette disposition est particulièrement importante dans le cadre de dénonciations calomnieuses, comme nous l’avons vu précédemment.

c) La qualification par le juge au moment de la phase d’instruction de l’affaire

Le juge d’instruction a l’obligation d’instruire l’affaire. Il est saisi par le Procureur par l’intermédiaire du réquisitoire introductif. Il est le seul compétent en matière de crime de viol, mais peut être saisi dans les affaires

533Article 40 du Code de Procédure Pénale. 534Article 390-1 du Code de Procédure Pénale. 535Article 394 du Code de Procédure Pénale. 536Article 395 du Code de Procédure Pénale. 537Article 495-7 du Code de Procédure Pénale. 538Article 388 du Code de Procédure Pénale.

539Article 80 du Code de Procédure Pénale : « le juge d’instruction ne peut informer qu’en vertu

d’un réquisitoire du Procureur de la République».

540Article 40-2 du Code de Procédure Pénale : « Lorsqu'il décide de classer sans suite la

procédure, il les avise également de sa décision en indiquant les raisons juridiques ou d'opportunité qui la justifient ».

particulièrement complexes (plusieurs mis en cause ou plusieurs enfants victimes présumées). Le juge est saisi des faits retenus par le Ministère Public540F

541 que l’on trouve dans l’ensemble des procès-verbaux de la première enquête de police ou de gendarmerie. Il ne peut étendre sa saisine à d’autres faits sans avoir eu au préalable un réquisitoire supplétif du Ministère Public, sauf exception. En effet, le juge d’instruction peut être saisi directement par une plainte avec constitution de partie civile.

Le juge des enfants instruit les affaires délictuelles qui impliquent un mineur auteur présumé. Il est saisi par requête du parquet et détient, les mêmes pouvoirs d’enquête que le juge d’instruction, tout en étant davantage centré sur la personnalité du mineur.

Le juge est libre de requalifier les faits en retenant ou non la circonstance aggravante visée dans le réquisitoire introductif. Il est saisi in rem, c’est-à-dire à charge d’instruire à partir d’un fait incriminé (Merle, Vitu, 1997541F

542). Il a toute latitude pour rechercher les preuves utiles à la manifestation de la vérité, mettre en examen toute personne (saisie in personam), et si besoin modifier la qualification pénale initiale du Ministère Public. Cette qualification donnée dans le réquisitoire introductif par le Ministère Public, si elle est générique, peut donner plus de liberté à l’instruction, alors que si elle est trop précise, l’opération de requalification s’avère encore plus délicate car la marge de manœuvre est plus restreinte (Guéry, 2005 : 4).

Au moment de la fin de l’instruction, le juge peut encore requalifier les faits et retenir une qualification plus ou moins sévère. Ainsi par exemple, une déqualification de viol en agression sexuelle en fin de procédure doit obligatoirement faire l’objet d’un accord de la partie civile (Loi Perben II, cf. infra). Le juge a le pouvoir souverain de qualification des faits, sans avoir besoin d’en référer au procureur de la République. Il va en effet décider dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal compétent, de la qualification retenue ainsi que les textes de référence du code pénal. Le juge d’instruction s’en tient au seul fait indiqué dans l’acte qui le saisit, le réquisitoire introductif. Il ne peut envisager requalifier les faits que si la nouvelle qualification vise les mêmes faits mais pour une qualification différente. Dans ce cas, il ne doit s’en tenir qu’au fait principal, sans tenir compte des circonstances. Tel que par

541A l’exception d’une saisine directe à la suite d’une plainte avec constitution de partie civile. 542Roger Merle. André Vitu. 1997. « La qualification simple et les qualifications multiples ». In

« Traité de droit criminel ». Tome 1. 7e edition. URL :

http://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/le_proces_penal/le_jugement/qualificat ion_faits/merle_vitu_qualif.htm [Consulté le 15 juillet 2017].

exemple la requalification du viol en agression sexuelle (voir en fin de chapitre la question de la correctionnalisation du viol). L’opération de disqualification n’est possible qu’à condition que rien ne soit ajouté aux faits et que ceux restent tels qu’ils ont été dénoncés dans les actes de procédure542F

543.

d) La qualification finale au moment du jugement de l’affaire

Au moment du jugement, la qualification des faits est donnée dans l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction ou dans l’acte de renvoi du Ministère Public en l’absence d’instruction. Le tribunal est alors saisi par un acte judiciaire, qui présente avec précision les faits et la qualification retenue. Ce sont généralement les éléments constitutifs de l’infraction que l’on y trouve « il est reproché à … », ainsi que les circonstances et les modalités de celle-ci : précision du lieu de l’infraction, des dates des faits, de l’identité et de l’âge des victimes, mais également le modus operandi introduit par les mentions « en

l’espèce en ayant ». Au moment du procès, tout jugement en matière

correctionnelle ou criminelle doit énoncer les faits reprochés au prévenu et constater l’existence de tous les éléments constitutifs de l’infraction543 F

544 .

A ce stade de l’affaire, la qualification peut encore changer car la juridiction de jugement est saisie des faits et n’est pas tenue de se limiter à l’acte de saisine du juge d’instruction ou du parquet. Il est alors possible durant le procès que la juridiction modifie la qualification pénale si des éléments nouveaux apparaissent au cours des débats ou si elle estime, qu’en présence de mêmes faits, la qualification doit être tout autre que celle proposée par le parquet ou le juge d’instruction544F

545. La juridiction de fond est en outre tenue de vérifier la qualification des actes. Ainsi par exemple, le tribunal correctionnel peut découvrir qu’il a été saisi à tort et que le fait constitué constitue un crime. Il se déclare incompétent et renvoie l’affaire.

Dans le jugement de l’affaire on trouvera les formulations suivantes pour qualifier les faits d’agressions sexuelles : « Pour avoir à … [lieu infraction], le

…[date], commis ou tenté de commette avec violence, contrainte, menace ou surprise sur la personne de …[nom de la victime] en l’espèce en …[description de l’infraction ou formule : en procédant sur lui/elle à des attouchements de

543Anne Guéry et Christian Guery. 2005. op. cit.

544Code Pénal. Edition 2016. 113ème édition. Annoté par Yves Mayaud et Carole Gayet.

Conseil constitutionnel du 6 février 2015. p 14.

545Georges Levasseur. 1960. « La qualification pénale ». In « Cours de droit pénal général

complémentaire ».

Paris.URL :http://ledroitcriminel.fr/la_science_criminelle/penalistes/le_proces_penal/generalites /levasseur_qualification.htm [Consulté le 15 juillet 2017].

nature sexuelle], avec cette circonstance que les faits ont été imposés à un mineur de moins de 15 ans et par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. Faits prévus et réprimés par les articles 222-22, 222-27, 222-29-1, 222-30, 222-31, 222-44, 222-45, 222-47, 222-48 et 222-48-1 du Code Pénal545F

546 ».

La cour de cassation exerce un contrôle définitif sur la qualification des faits (Levasseur, 1960). Lorsqu’elle est saisie, l’affaire n’est pas rejugée sur le fond mais sur la stricte application de la loi, afin de préciser les contours de la règle de droit lorsqu’ils sont imprécis ou laissés à de trop larges interprétations. La procédure de pourvoi en cassation va permettre de rectifier l’erreur de qualification si besoin ou de confirmer le choix de qualification. Elle veille à l’adéquation de la qualification avec les faits et peut imposer une requalification.

3. Choix de qualification et orientation des affaires en

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