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Prohibitions matrimoniales restreintes dans le code civil Napoléonien

CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU

I. DES PROHIBITIONS MATRIMONIALES FLUCTUANTES

2. Prohibitions matrimoniales restreintes dans le code civil Napoléonien

L’institution du mariage civil, instauré en septembre 1792 par l’Assemblée législative, s’est libérée des restrictions du droit canonique39 3F

394 afin de mieux servir les libertés matrimoniales39 4F

395

. En revanche, le code civil de 1804, en abordant la famille comme sanctuaire des mœurs, a repris les empêchements en ligne directe et collatérale des liens de parenté et d’alliance, mais en les limitant au 3ème degré civil3 95F

396 : « Fortifier l’esprit de famille, sans craindre les

mariages dans des degrés rapprochés, d’où l’autorisation donnée par le code civil aux unions entre cousins germains » (Courtois, 2003396F

397 ).

Ainsi, on retrouve dans le droit civil l’ensemble des prohibitions

matrimoniales, au travers de quatre articles. Les articles 161 à 164 du Code

Civil397 F

398 énoncent que sont prohibés :

- Le mariage en ligne directe entre tous les ascendants et descendants et

les alliés dans la même ligne (article 161).

- Le mariage en ligne collatérale entre le frère et la sœur, entre frères et

entres sœurs (article 162).

- Le mariage entre l’oncle, et la nièce ou le neveu, et entre la tante et le

neveu ou la nièce398F

399

(article 163).

- Néanmoins, il est loisible au Président de la République de lever pour des

causes graves, les prohibitions portées par l’article 161 aux mariages entre alliés en ligne directe lorsque la personne qui a créé l’alliance est décédée ; et par l’article 163399F

400

(article 164).

L’interdit de l’inceste est absolu avec un allié en ligne directe, même s’il y a eu divorce ; mais depuis la loi du 10 mars 1938, seul le décès du parent qui a créé l’alliance entre enfant et beau/parent peut entraîner la levée de l’interdit, sur dispense du Président de la République. Depuis la loi du 11 juillet 1975 le

394

Lamboley, Annie. 2009. « Mariage, prohibitions au mariage ». JCN Civil Version 1/2010. p 11.

395Jacques Commaille et Irène Théry. 1991. Histoire de la famille : De la révolution au code

civil. L’année sociologique (1940/1948). Troisième série. Vol 41. (1991). p. 351.

396

En droit civil, le degré de parenté est le nombre de générations qui sépare les personnes : 1er degré parenté parents, 2eme degré frère/sœur, 3ème

degré oncle/tante, 4ème degré cousins. Sous l’Ancien Régime on ne pouvait pas se marier entre cousins sans risquer l’inceste.

397Gérard Courtois.« Portalis et la prohibition de l’inceste ». Droit et cultures [En ligne], 48 |

2004-2, mis en ligne le 03 mars 2010. URL : http://droitcultures.revues.org/1690 [consulté le 24 octobre 2015].

398

Selon la version du code civil octobre 2015.

399Oncle et tante sont utilisés au sens strict, ce qui exclut les oncles et tantes par alliance 400

mariage n'est plus interdit entre alliés en ligne collatérale (beau-frère et belle- sœur). Finalement, les interdits absolus à mariages portent sur les liens de parenté en ligne directe et collatérale jusqu’aux fratries, ensuite, on sort du périmètre pour aller aux dispenses possibles pour le dernier bastion de l’interdit : oncle/tante et neveu/nièce. Dans une moindre mesure, les prohibitions matrimoniales en ligne collatérale croisées sortent des interdits matrimoniaux, puisque l’on peut désormais épouser son cousin ou sa cousine germaine.

Les règles juridiques relatives au PACS suivent les restrictions du mariage, mais elles sont encore plus restrictives puisqu’elles ne relèvent d’aucune exception40 0F

401. Les articles 515-2 du Code Civil, disposent qu'il ne peut y avoir de PACS401F

402 (aucune dispense n'est envisagée dans ce cadre

402F

403):

- Entre ascendant et descendant en ligne directe, entre alliés en ligne

directe et entre collatéraux jusqu'au troisième degré inclus.

- Entre deux personnes dont l'une au moins est engagée dans les liens du

mariage.

- Entre deux personnes dont l'une au moins est déjà liée par un pacte civil de solidarité.

Dans la continuité des empêchements au mariage et au PACS, le

législateur a prévu des empêchements à filiation, « lorsqu’un enfant est né de

relations entre des personnes ayant un lien de parenté ou d’alliance »403F

404. Les empêchements suivent exactement la même logique que les prohibitions matrimoniales qui ne font l’objet d’aucune dispense : les liens de parenté par ascendants et les fratries. Des interdits à adoption404F

405 et à filiation qui sont donc resserrés autour des interdits absolus à mariage. On les trouve au sein de deux articles du code civil, selon qu’il s’agisse d’enfant légitime ou naturel. Les articles 310-2 et 334-10 du code civil interdisent la filiation de l'enfant né des relations incestueuses : « S'il existe entre les père et mère de l'enfant (naturel)

401On peut se référer à l’analyse faite par Anne Batteur dans « L’interdit de l’inceste, principe

fondateur du droit de la famille », RTD civ. 2000, p. 759 et s., spéc. p. 767. L’auteur considère que l’absence de dispense dans le PACS traduit une volonté du législateur d’éviter la légalisation de couples homosexuels incestueux. Voir aussi Nathalie Glandier, qui estime que si le PACS a créé un lien de droit de nature non familiale, il introduit paradoxalement l’interdit de l’inceste en établissant les mêmes interdits que les prohibitions matrimoniales. op. cit. p. 402.

402

Le pacte civil de solidarité (PACS) a été instauré par la loi du 15 novembre 1999

403

Application rigoureuse des prohibitions dans le cadre du PACS.

404

Serge Guinchard. et Thierry Debard. op. cit. p. 482.

405Article 356 alinéa 1 du Code Civil : « L’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang,

sous réserve des prohibitions à mariage visées aux articles 161 à 164 du Code Civil ». Les

mêmes règles sont instituées entre l’adopté simple et sa famille d’origine, en vertu de l’article 356 alinéa 2 du Code Civil.

un des empêchements à mariage prévus par les articles 161 et 162 pour cause de parenté, la filiation étant déjà établie à l'égard de l'un, il est interdit d'établir la filiation à l'égard de l'autre par quelque moyen que ce soit ».

L’enfant « incestueux » né d’un inceste « absolu » a un statut différent puisque sa filiation ne peut s‘établir qu’à l’égard d’un seul de ses parents. Ces dispositions du code civil organisent une mécanique d’exclusion (Poumarède, 1987) qui traduit l’idéologie selon laquelle « l’individu, qui n’est pas sujet de

droit, n’existe pas405F

406 ». Assurément, c’est une façon de dissimuler l’immoralité

de la conception (Houin, 1985 : 271406F

407). La loi n’admet aucune dispense, du moins en théorie, car certaines décisions de justice ont contourné l’interdit d’établissement de la seconde filiation. Ainsi par exemple, la première chambre civile de la cour d’appel de Rennes a prononcé le 22 janvier 2001 l’adoption simple d’une enfant par le demi-frère consanguin de la mère. Mais le droit, d’application stricte, n’a pas permis cette reconnaissance d’une filiation incestueuse. La position de la cour de cassation a été intraitable en la matière, puisque la première chambre civile de la cour de cassation a cassé l’arrêt, le 6 janvier 2004, annulant la reconnaissance d’un enfant par le demi-frère consanguin de sa mère, pour violation de l’article 310-2 du code civil (Brunet, 2006 : 70-71).

Au-delà de ces restrictions, la loi autorise la filiation incestueuse dans le cadre des dispenses à mariage. Ainsi, par exemple, si l’oncle a épousé la nièce, à la condition que la prohibition à mariage ait été levée, la filiation est établie de droit. Il y a présomption irréfragable de paternité. L’interdit à filiation repose sur les mêmes logiques que les prohibitions à mariage. Une récente décision de justice va même jusqu’à considérer la privation de filiation paternelle comme un préjudice pour l’enfant. Il s’agit d’un arrêt de la cour de cassation rendu en 2011, qui précise que : « Le préjudice repose sur le fait, non de la naissance,

mais du fait que l’enfant est issu d’un inceste, ce qui justifie la réparation du traumatisme né de cette connaissance et des difficultés à se construire. L’arrêt ajoute que l’enfant est définitivement privé de sa filiation paternelle407F

408 ».

406Jacques Poumarède. 1987. Droit, histoire et sexualité. L’inceste et le droit bourgeois au

XIXème siècle. p 218.

407Corinne Houin. 1985. « La sexualité et le droit civil » In Droit histoire et sexualité, textes

réunis par Jacques

Poumarède et J-P. Royer, coll. Espace juridique. pp.271-289.

408

Justice et cassation 2011.Revue annuelle des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. pp. 182-184. On apprend que le petit Kenzo, issu d’un viol incestueux, se trouve du fait de la loi civile, dans l’impossibilité d’établir une filiation paternelle.

Les frontières de l’inceste ne coïncident pas entre les prohibitions à mariage, à PACS ou à filiation dans le code civil. Elles délimitent une forme étroite ou large de l’interdit dans la sphère familiale. Ainsi, dans sa forme la plus étroite, l’interdit est resserré autour du noyau dur de la famille nucléaire408 F

409, celle qui, selon le doyen Jean Carbonnier (2004 : 758), exclut les collatéraux en se limitant aux époux et à leurs descendants. C’est en effet une base de notre système juridique de désigner tout individu prohibé uniquement par sa position généalogique (Héritier, 1996409F

410), et cela ne souffre d’aucune exception. Dans sa forme plus large, le cercle est étendu à d’autres liens de parenté (oncle, tante, neveu, nièce) et aux liens d’alliance (ligne directe et collatérale), mais de façon plus incertaine. Ainsi, par exemple, sont autorisés le mariage entre beau-frère/belle-sœur, et sous certaines conditions entre le beau- père et sa belle-fille ou la belle-mère et son gendre.

Le droit civil donne donc à voir deux sortes de prohibitions de l’inceste : - Une prohibition absolue qui ne souffre aucune exception et se trouve

dans la « zone d’horreur » ou zone de l’inceste absolu, dans les articles 161 et 162 (ascendants, frères et sœurs), pour reprendre une expression du doyen Carbonnier410 F

411.

- Une prohibition relative plus variable, car soumise à des dispenses, des contournements possibles de l’interdit411F

412 .

Tableau des prohibitions matrimoniales Prohibitions matrimoniales et périmètre de l'inceste

Inceste absolu Inceste relatif

409La famille nucléaire est « l’entité simple que représente un couple de parents et de leurs

enfants ». Irène Théry « Remariage et familles composées : des évidences aux incertitudes »

1987. L'Année sociologique (1940/1948-) Troisième série, Vol. 37 (1987), pp. 119-152.

410

Françoise Héritier. 1996. Masculin Féminin : la pensée de la différence. Odile Jacob. pp. 47- 48.

411

Jean Carbonnier. op. cit. p 1195.

412Ibid., p. 1195. Le doyen Carbonnier différencie deux zones d’interdits relatifs :« Une zone

intermédiaire où se situe l’interdiction de se remarier avec sa bru ou son gendre, sa belle-fille ou son beau-fils, mais seulement quand l’union d’où procédait l’alliance a été dissoute par le divorce. Aucune dispense, ici n’est possible ; en revanche la filiation des enfants naturels éventuellement issus de l’union libre pourra être établie des deux côtés sans restriction (arg. a. 334-10, qui ne vise que la parenté, non l’alliance). Une zone d’accommodement qui concerne le remariage entre alliés en ligne directe (hypothèse précédente), mais seulement quand la première union a été dissoute par décès, ainsi que le mariage entre oncle et nièce, tante et neveu (a. 163). Une dispense est possible (a. 164) ; les enfants pourront avoir une filiation pleinement établie (a. 334-10) ; aussi bien, ils pourront être légitimés ou légitimes ».

DROIT CIVIL en ligne directe et jusqu'au

3ème degré en ligne collatérale

entre ascendants, entre frère et sœur, entre sœurs ou

entre frères

entre oncle/tante et neveu/nièce, ou entre alliés

La distinction entre prohibition absolue et relative s’avère essentielle pour comprendre qu’il y a toujours une forme canonique de l’interdit qui prédomine. C’est le cas de l’inceste absolu, fondé sur le cercle étroit de la famille. Il a traversé toutes les réformes du code civil sans être remis en question (Batteur, 2000). En se libérant de nombreuses restrictions d’interdits matrimoniaux anciens, le droit civil s’est sensiblement resserré. En revanche, l’inceste relatif, soumis aux dispenses à mariage (parenté et alliance), s’est affaibli, car selon certains juristes, il a été jusqu’à réduire le dernier bastion de l’interdit : l’inceste de second type (Brunet, 2006 : 76).

Au fond, c’est toute la question de la frontière de l’inceste que le droit civil soulève. Autant cette frontière était très étendue par le passé, aujourd’hui le mouvement est inverse, elle a tendance à se réduire considérablement autour de sa forme absolue. On ne peut le comprendre qu’à la lumière des métamorphoses sociologiques de l’ordre matrimonial, telle que formulée par Irène Théry (1993 : 85 ; 2002). Autrefois fondé sur la hiérarchie des sexes et des âges (mariage des filles à partir de 15 ans, les garçons 18), l’ordre matrimonial a complètement implosé avec les réformes du droit civil sur la famille entre 1964 et 1975, bouleversant la logique matrimoniale du Code Napoléon en dissociant le mariage de la filiation, et en instaurant un principe de mixité des tâches et des statuts. Les métamorphoses de la parenté et l’avènement d’une société du démariage (Théry, 1994) ont resserré les frontières de l’interdit de l’inceste autour de la famille nucléaire, qu’elle soit légitime ou naturelle.

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