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Inscrire l’inceste dans le droit pénal : flou de la frontière

CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU

III. DEBATS CONTEMPORAINS SUR L’INCESTE : LES LOIS DU 8 FEVRIER

2. Inscrire l’inceste dans le droit pénal : flou de la frontière

parlementaires pour délimiter ce qui relève ou non d’un périmètre incestueux dans le code pénal. A l’origine, un rapport parlementaire mandaté par le gouvernement en 2005462F

463 a proposé de mettre en conformité le périmètre incestueux du code pénal avec les prohibitions matrimoniales du code civil. Ce qui n’a pas été pris en compte. Ni dans le projet de loi du 28 avril 2009 visant à

« identifier, prévenir, détecter et lutter contre l’inceste sur les mineurs et à améliorer l’accompagnement médical et social des victimes » qui a écarté les

alliés du périmètre incestueux. Ni dans la loi n°2010-121 du 8 février 2010

tendant à inscrire l'inceste commis sur des mineurs dans le Code pénal et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d'actes incestueux, qui l’a au contraire considérablement étendu.

En effet, dans les articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal issu de cette loi, le législateur a qualifié d’incestueuses les infractions sexuelles de viol, d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle, lorsqu’elles sont commises « au sein

de la famille sur la personne d’un mineur par un ascendant, un frère, une sœur ou par toute autre personne, y compris s’il s’agit d’un concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait463F

464 ». Cette

disposition nouvelle a permis d’une part de faire entrer la notion d’inceste dans la loi. D’autre part de délimiter un large périmètre incestueux. Or, aucun point d’arrêt n’est mentionné. On peut supposer que le législateur a ainsi voulu tenir compte des évolutions sociologiques et anthropologiques de la famille, notamment les familles recomposées, d’où l’imprévisibilité des formules « au

sein de la famille » et « toute autre personne » (Leturmy, Massé, 2012464F

465

). Mais ce faisant, il a rendu encore plus incertains les confins du périmètre incestueux en différenciant deux catégories d’auteurs :

463

Mission parlementaire confiée par le Premier ministre à M. Christian Estrosi. « Faut-il ériger l’inceste en infraction spécifique ? ». La documentation française, juillet 2005. 101 p.

464La qualification pénale de l’inceste est visée aux articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal. 465Laurence Leturmy et Michel Massé, « Inceste : incriminer le tabou », Archives de politique

criminelle, 2012/1 (n° 34), p. 85-92. URL : https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique- criminelle-2012-1-page-85.htm [Consulté le 10 mars 2016].

- Les « ascendants/frères/sœurs » sont distingués des autres membres de la famille. On retrouve ici, l'inceste absolu du code civil ou le « carré noir » des articles du code civil pour reprendre l’expression du doyen Jean Carbonnier465F

466 . La notion d'autorité ne leur est pas apposée. Ainsi, un frère, y compris mineur, hors de tout rapport d'autorité avec sa sœur victime, peut être pénalement considéré comme ayant commis un inceste.

- Tous les autres issus de la catégorie de « toute autre personne, y compris

le concubin d’un membre de la famille, ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». On retrouve ici une extension très large du périmètre

incestueux, sans limitation, ni point d’arrêt. Certes la règle permet de viser les situations péri-incestueuses qui jusque-là n’étaient pas prises en compte, mais le manque de précision pose problème.

Ce manque de précisions et l’absence de consensus ont conduit à l’abrogation des articles 222-31-1 et 227-27-1 du code pénal permettant de qualifier d’incestueux certaines infractions pénales. Les magistrats se trouvaient en effet confrontés à une « interprétation trop large et surtout indéfinie du

cercle familial » (Delga, Rongé, 2013). Le conseil de la magistrature a indiqué

ses réserves dans un communiqué de presse du 25 février 2010 : « En désignant

la famille sans en préciser le périmètre, le législateur étend d'une manière à la fois considérable et extrêmement floue, le champ des relations qualifiées d'incestueuses : que devient la puissance symbolique du tabou lorsque sa signification est ainsi galvaudée ?466F

467 ». En outre, deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC467F

468 ) en 2011 et 2012, ont conduit le conseil constitutionnel à abroger les deux articles du Code Pénal (222-31-1 et 227-27- 2). La critique des « Sages » portait sur le manque de précisions des auteurs de l'infraction qui contrevenait au principe de légalité des délits et des peines. Les termes « inceste » ou « incestueux » sont donc supprimés du code pénal, par l’article 6 de la loi du 5 août 2013. La notion d’inceste sort de la loi.

466Jean Carbonnier, 2004. op. cit. 467

Cité dans l'article de Laurence Leturmy et Michel Massé, op. cit.

468

Décision n°2011-163 QPC du 16 septembre 2011.§4 : « Considérant que, s'il était loisible au

législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux , il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution »;

Décision n°2011-222 QPC du 17 février 2012.§4 : « Considérant que, comme le Conseil

constitutionnel l'a jugé dans sa décision du 16 septembre 2011 susvisée, s'il était loisible au législateur d'instituer une qualification pénale particulière pour désigner les agissements sexuels incestueux, il ne pouvait, sans méconnaître le principe de légalité des délits et des peines, s'abstenir de désigner précisément les personnes qui doivent être regardées, au sens de cette qualification, comme membres de la famille ; que, par suite, la disposition contestée doit être déclarée contraire à la Constitution ».

Dans ce contexte, différents amendements ont été portés à l’Assemblée nationale pour étendre le périmètre au grand-oncle et à la grand-tante, au cousin germain et à la cousine germaine de l'enfant victime468 F

469. D’autres pour ajouter les ex-concubins et faire du lien d’autorité avec le mineur victime le pivot du périmètre incestueux469F

470, ce qui a suscité de vives critiques « alors si c’est un

frère, une sœur, un oncle ou une tante qui n’ont pas de rapport d’autorité, ce ne serait pas qualifié d’inceste ? […] Pour moi l’inceste c’est quelqu’un de la famille, j’ai du mal à saisir pourquoi le limiter au rapport d’autorité […] Les ex-concubins alors, eux n’ont pas d’autorité pourquoi les avoir mis dans la liste ? ». Dans la proposition de loi relative à la protection de l'enfance, un

amendement a été proposé pour limiter le périmètre incestueux aux ascendants, oncles et tantes, frères et sœurs, nièces et neveux470 F

471.

Finalement, la loi n°2016-297 du 14 mars 2016 relative à la protection de l'enfant a rétabli un périmètre incestueux sur une base plus précise, en énumérant une liste limitative de personnes : « Les infractions définies aux

articles 222-31-1 et 227-27-2 sont qualifiées d'incestueuses lorsqu'elles sont commises sur la personne d'un mineur par :

- 1o Un ascendant ;

- 2o Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce ;

- 3o Le conjoint, le concubin d'une des personnes mentionnées aux 1o et 2o ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une des personnes mentionnées aux mêmes 1o et 2o, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ».

La loi entérine le fait que l’inceste n’est pas une infraction autonome. Ainsi les articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal établissent un « surqualificatif d’inceste » qui s’ajoute aux infractions déjà existantes de viol, d’agression sexuelle et d’atteinte sexuelle, comme le précisait la circulaire d’application du 9 février 2010471F

472. Comme il ne s’agit pas d’une nouvelle incrimination, aucune conséquence juridique supplémentaire n’a été envisagée par le législateur, les dispositions actuelles permettant déjà de sanctionner l’inceste (aggravation des infractions). La loi a fait l’objet de critiques par la doctrine. D’abord sur l’inscription « symbolique » de l’inceste et la neutralité répressive de la loi (Bonfils, 2010). Ensuite, sur sa focalisation exclusive sur les mineurs victimes amenant à de la même manière des actes incestueux commis

469Amendement proposé le 2 décembre 2014 par Mme Meunier rapporteur. 470

Amendement présenté le 8 décembre 2014, à l’issue de deux groupes de travail constitués à l’assemblée nationale (travaux sénatoriaux, auditions d'experts et d'associations de victimes) et à la chancellerie.

471Disposition introduite à l'initiative de M. Sébastien Denaja, SRC, Hérault, et M. Bernard

Roman, SRC, Nord. Loi qui passe en nouvelle lecture à l’assemblée nationale 28 janvier 2016.

sur des victimes majeurs. Ainsi, des viols commis par un père sur sa fille de 16 ans pourront être qualifiés d’ « incestueux », mais pas ceux commis sur sa fille de 18 ans. Alors que la volonté du législateur était de protéger les victimes d’inceste et de prendre en compte leur souffrance, l’exclusion des victimes majeures, pose problème (Terryn, 2013472F

473). La sociologue Sylvie Cromer souligne à ce sujet dans le rapport d’expertise sur les violences sexuelles à caractère incestueux473F

474 la contradiction avec la finalité de cette loi « qui était de

prendre en considération la particularité de la souffrance des victimes d’actes incestueux 474F

475

». Ainsi, il apparait que toutes les victimes d’inceste ne bénéficie pas de la même protection juridique, comme l’ont relevé d’autres auteurs « De

cette inégalité de traitement, de cette protection pénale à géométrie variable, il ressort du texte que les mineurs sont considérés comme les victimes les plus vulnérables entre toutes475F

476

». En somme, la qualification pénale de l’inceste apparaît de plus en plus complexe et contradictoire, car indissociable de la question de l’autorité, comme nous l’avons déjà vu, et des âges. Les conséquences de ces changements sont importantes dans la recomposition des normes autour de la barrière sacralisée des âges.

3. L’épineuse question de preuve du non-consentement du

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