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CHAPITRE 3. INCERTITUDES LIEES A L’AGE : DE LA QUESTION DU

III. DEBATS CONTEMPORAINS SUR L’INCESTE : LES LOIS DU 8 FEVRIER

4. Retour sur notre hypothèse de recherche

Dans le droit pénal actuel français, il n’existe pas, à une exception près498F

499, d’infraction constituée par le lien de famille. En effet, le droit a établi des règles d’incrimination spécifiques pour qualifier pénalement l’inceste. La première, la plus classique, utilise le critère d’ascendant ou d’autorité pour aggraver les trois infractions de viol, d’agression sexuelle, et d’atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans. La seconde, plus récente, est issue de la loi du 8 février 2010499F

500. Les articles 222-31-1 et 227-27-2 du code pénal ont fait entrer la notion d’inceste dans la loi, par l’ajout d’un sur-qualificatif « incestueux » aux mêmes infractions. Néanmoins on a vu toutes les hésitations du législateur pour mettre en conformité le périmètre incestueux du code pénal avec celui des prohibitions matrimoniales du code civil. De plus, par-delà ce périmètre, il existe encore des zones d’incertitudes attachées à la notion d’autorité. Tous les liens de famille ne sont pas visés. La jurisprudence se montre hésitante à reconnaître l’autorité à un frère, un oncle, un grand-oncle. Ce qui exclut les liens collatéraux tels que les fratries recomposées. Et qu’en est-il des liens d’alliance : du concubin de la grand-mère ? Du concubin de la sœur ? Quels sont les seuils distinctifs qui permettent finalement de définir une relation sexuelle incestueuse de ce qui ne l’est pas ? Notre étude permettra de vérifier les liens les plus à la marge, ceux qui suscitent le plus d’incertitudes.

En outre, la nouvelle base légale donnée à la contrainte morale dans la loi

du 8 février 2010, visée à l’article 222-22-1 du code pénal, a permis de mieux

497Yves Mayaud. 2015. « Rebondissement sur la structure matérielle des infractions sexuelles ».

RSC. 86.

498Code Pénal. Edition 2016. 113ème édition. Annoté par Yves Mayaud et Carole Gayet. Conseil

constitutionnel du 6 février 2015

499L’atteinte sexuelle sur mineur de plus de 15 ans est la seule infraction à se fonder sur le lien

d’ascendant ou d’autorité avec le mineur victime.

500Il s’agit de la loi du 8 février 2010, dont deux de ses articles, 222-31-1 et 227-27-1, ont été

prendre en compte la réalité des situations d’inceste. La finalité de cette nouvelle disposition a été d’assouplir le régime de la preuve du non- consentement du mineur victime d’inceste. Mais dans le même temps, elle a exclu de son régime d’incrimination les victimes majeures. De plus, elle s’est focalisée sur les liens d’autorité, dans ou en dehors de la famille, dépassant largement la dimension de l’inceste. Enfin, la contrainte morale est venue bousculer les catégories du droit et en particulier celle de l’atteinte sexuelle si l’on considère qu’il existe un seuil irréfragable de non-consentement fondé sur les âges, asymétries d’âges et lien d’autorité. Se pose donc toute la question des seuils distinctifs dans la qualification pénale pour différencier l’atteinte sexuelle et l’agression sexuelle sur mineur par ascendant ou personne ayant autorité. Notre étude devrait nous permettre de vérifier si l’agression sexuelle est une infraction qui prédomine chez les professionnels pour qualifier pénalement l’inceste sur mineur. Mais sur quelle base ? La contrainte est-elle toujours retenue ? Selon quels critères ? Sont-ils explicités ? Sinon, sur quoi est fondée la preuve du non-consentement du mineur ?

En somme, la qualification pénale de l’inceste est un exercice juridique complexe et difficile tant il y a des incertitudes sur ses frontières. Par contrecoup, il tend à se confondre avec une seule de ses formes possible, celle par ascendant. Sa répression et sa qualification pénale ne sont-ils pas devenus de plus en plus incertains ? Nous formulons l’hypothèse que l’inceste en devenant la forme la plus grave du viol, s’est trouvé englobé comme sous- catégorie des infractions les plus graves, et considéré uniquement sous l’angle du nouvel interdit, l’atteinte au consentement. Ainsi, d’un côté, se trouve affirmé la gravité de l’inceste en ce qu’il porte atteinte à la distinction des âges, par celui qui en est le garant : l’ascendant. De l’autre, « l’interdit des

âges tend à se substituer à l’interdit des places » (Irène Théry), ce qui dévalue

considérablement le tabou de l’inceste. Poursuivant notre hypothèse, nous émettons l’idée que l’inceste est désormais puni sous l’angle d’un rapport inégal adulte/enfant où prévaut l’interdit des âges.

Conclusion du chapitre 4

L’inceste n’est pas une infraction autonome. Il est indirectement sanctionné par le biais d’une circonstance aggravante, d’ascendance ou de personne ayant autorité, qui s’ajoute au viol, à l’agression sexuelle et à l’atteinte sexuelle sur mineur. Depuis 2016, ces infractions sont considérées comme « incestueuses » lorsqu’elles sont commises par un ascendant, un frère ou une sœur, un oncle ou une tante, un neveu ou une nièce, le conjoint ou le concubin d'une de ces personnes mentionnées ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, s'il a sur le mineur une autorité de droit ou de fait.

Le périmètre incestueux du code pénal tend donc à être plus conforme avec les prohibitions matrimoniales, bien que la loi punisse surtout la transgression d’un ordre intergénérationnel. En outre, dès lors qu’on resitue la question de l’inceste au sein du régime pénal d’incrimination des infractions sexuelles, on se rend compte qu’il soulève un vaste problème autour de la preuve du non- consentement du mineur victime. A l’examen des règles du droit, on découvre que les éléments constitutifs du viol et de l’agression sexuelle ne sont pas adaptés à ces situations d’abus sexuel intrafamilial sans violence ou menace, réalisés sous l’emprise d’un proche, sur un enfant qui finit par céder.

Le problème réside dans la référence majeure à l’atteinte au consentement devenu le pivot des infractions sexuelles stricto-sensu. La loi a introduit une présomption de contrainte morale, basée sur l’écart d’âge et l’autorité, mais elle pose problème. Elle s’est focalisée sur les mineurs victimes et des liens d’autorité de plus en plus confus. Elle bouscule les catégories du droit amenant un flou dans la frontière entre la qualification pénale pour différencier l’atteinte sexuelle et l’agression sexuelle. Tous ces changements ne sont pas sans conséquence pour la définition même de la prohibition de l’inceste. Il apparaît englobé dans un rapport inégal majeur/mineur où prévaut l’interdit des âges.

Objectifs du chapitre 5

Comment passer du droit à son application ? Des faits à l’infraction sexuelle ? L’infraction est-elle constituée et comment le prouver ? Comment peut-on et doit-on qualifier les faits allégués pour entamer un processus judiciaire ?

Dans ce chapitre, poursuivant notre réflexion d’ensemble sur les infractions sexuelles, nous allons étudier le processus de qualification pénale des faits, celui-là même qui permet le passage du droit à son application. Au travers de cette œuvre complexe et incertaine, nous verrons qu’il existe de vastes enjeux en termes de preuves, de choix de qualifications et de conflits juridiques. Nous mènerons cette analyse d’une part en présentant la spécificité des affaires de violences sexuelles sur mineurs. D’autre part, en resituant ces affaires au cœur du délicat processus de qualification pénale et des étapes qui le jalonnent. Nous nous arrêterons sur la difficulté liée aux conflits de qualifications et à la correctionnalisation des viols.

CHAPITRE 5. LA QUALIFICATION PENALE DES

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