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Ordre juridique post-matrimonial : le sacre du consentement

CHAPITRE 1. LES EVOLUTIONS DU DROIT DEPUIS LA REVOLUTION

II. LA MUTATION DES MODELES DE REFERENCE EN DROIT OU LA

3. Ordre juridique post-matrimonial : le sacre du consentement

Avec la révolution de l’avènement de la valeur d’égalité des sexes, qui bouleverse la famille à partir des années 1960-1970, s’amorce la troisième révolution du consentement. Celle-ci remet en cause fondamentalement la façon dont une société produit de l’humain et fait imploser, au nom du principe d’égalité, l’ordre juridique matrimonial fondé sur la hiérarchie des sexes et des âges. C’est la société du « démariage » (Théry, 1993) : « se marier, se démarier

relève non plus de la prescription sociale (en dehors du mariage pas de famille) mais de la conscience individuelle. Il n’est plus possible d’organiser autour de ce pôle l’ensemble du permis et du prescrit en matière sexuelle177F

178

». Les

structures traditionnelles de la famille éclatent, les réseaux de parenté et d’alliance s’étendent considérablement. La filiation devient progressivement le socle d’un nouveau droit commun de toutes les familles.

Ces métamorphoses contemporaines bousculent nos références collectives sur la famille et la sexualité, et quelque chose de fondamental se reconstruit. Tout un mouvement de libération des mœurs se met en marche et peu à peu

173Pierre Lacousmes, Pierette Poncela, Pierre Lenoël. 1989. Au nom de l’ordre. Une histoire

politique du code pénal. Paris, Hachette, p. 8.

174Jacques Le Goff et Michel Lauwers, op. cit., p. 1163-1164 ; Danièle Lochak, 1994, op. cit.,

p. 43.

175Irène Théry, 2002., op. cit.

176Danièle Lochak, 1994, op. cit., p. 16. 177Ibid., p. 16.

émerge une nouvelle partition du permis et de l’interdit sexuel, fondée sur de nouvelles valeurs : émancipation et libération sexuelle, égalité des sexes, dissociation entre sexualité et procréation. Ainsi, dans les années 1970, les mobilisations féministes contre les violences masculines faites aux femmes sont massives, notamment à l’occasion du procès d’Aix en 1978178 F

179

. Commencent aussi à se développer celles des homosexuels contre le régime discriminatoire du droit, le délit d’homosexualité n’étant pas encore abrogé. Le consentement à l’activité sexuelle devient une exigence majeure des luttes féministes (Jaunait, Matonti, 2012179F

180

). Mais dans la logique de l’émancipation sexuelle, la question du consentement du mineur est dans un premier temps fortement malmenée : les défenseurs de la liberté sexuelle (en particulier les homosexuels pour l’abrogation du délit d’homosexualité) et, avec de tout autres raisons, les défenseurs de pratiques pédophiles (pour la liberté sexuelle avec des mineurs) veulent supprimer le seuil de consentement à 15 ans « vouloir ou non apprécier

la relation sexuelle entre un adulte et un enfant dans le cadre du droit conduit en tout cas à examiner la notion de consentement » (Ambroise-Rendu, 2013 :

22). Ces errements ne dureront pas. La partition du permis et de l’interdit en matière sexuelle est réinterrogée autrement, non plus à partir de l’ancienne distinction matrimoniale mais à partir de la nouvelle référence au consentement. Dans ce contexte, la question de la barrière des âges devient la question cruciale.

Avec la sexualité consensuelle180F

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tout se réorganise autour du consentement. Ainsi, comme l’explique Irène Théry « un acte sexuel

socialement admis, c’est un acte consenti, y compris quand il n’a ni cadre, ni pour horizon le mariage 181F

182

». En opposition complète avec l'ancien droit, le consentement donné par l’individu se substitue à l’ancien cadre de référence qu’était l’institution matrimoniale. Avec l’entrée dans l’ordre sexuel post- matrimonial la sexualité licite est celle qui est consentie, et la sexualité illicite, celle qui ne l’est pas « la ligne de démarcation étant alors le consentement, son

absence faisant passer de l’acte non répréhensible juridiquement à une agression sexuelle182F

183

». On abandonne un ordre sexuel qui auparavant était

179 Gisèle Halimi, 2012, op. cit.

180Alexandre Jaunait et Frédérique Matonti, « L'enjeu du consentement », Raisons politiques,

2012/2 n° 46, p. 5-11. DOI : 10.3917/rai.046.0005

181Jean-François Chassaing. 2005. « Le consentement. Réflexions historiques sur une incertitude

du droit pénal », in Daniel Borrillo et Danièle Lochak (Dir.). La liberté sexuelle. PUF Paris, 256 p.

182Irène Théry, 2002. op. cit., p. 44.

183Bertrand Marrion, 2010. Le mineur, son corps et le droit criminel. Thèse de doctorat en Droit

fondé sur le statut social des personnes (noblesse/tiers état, puis mariés/non mariés) pour se tourner vers une organisation sociale de la sexualité non plus statutaire mais procédurale. Ce passage est lié à deux évolutions. D'une part celle de l'influence de nouvelles valeurs d'autonomie, de liberté et d'égalité de notre société occidentale contemporaine qui font référence à la notion de personne au sens des droits de l'homme. On retrouve là l'idée d'une nouvelle normativité sexuelle autour de la vie privée et de l'émancipation de l'individu (Bozon, 2001, 2009, 2014). D'autre part, l'influence de l’avènement de la valeur d’égalité de sexe et sa traduction dans la révolution des mœurs qui est venue modifier l'organisation générale de la dimension sexuée de la vie sociale : le démariage (Théry, 1994), les métamorphoses de la parenté (Godelier, 2004). Pour certains, c'est la dissolution des mœurs ou leur relâchement qui mène le législateur à redéfinir tout acte d'abus et de domination (Vigarello, 1998), à codifier ce que les mœurs ne sont plus en mesure de faire (Garapon, 1996). Mais pour les chercheuses féministes la question des mœurs est loin d’épuiser l’analyse du changement. Loin de signifier un affaiblissement des normes collectives l’hypothèse avancée est celle de nouvelles règles d'organisation de la vie sexuelle (Mossuz-Lavau Janine, 2002).

Selon la thèse avancée par Irène Théry (2002), la nouvelle normativité dissocie désormais morale matrimoniale et morale sexuelle. Elle est à la base d’un nouvel ordre juridique post-matrimonial qui forme la troisième révolution du consentement : « ce passage d’une socialisation statutaire à une

socialisation procédurale de la sexualité183F

184

». Cette normativité sexuelle, est dès lors, non plus statutaire en référence au mariage, mais procédurale en référence au consentement. A l’opposition entre le permis incarné par le mariage et l'interdit incarné par l'inceste succède l’opposition entre le permis incarné par le consentement, et l'interdit incarné par le viol. Les normes sont redéfinies et les lignes de démarcation entre les âges changent. La dissociation mineur/majeur est encore plus marquée. La question du passage de mineur à majeur est centrale pour comprendre toute la complexité de la nouvelle norme du consentement.

En effet, la notion de normativité « procédurale » s’avère complexe : à côté du consentement « situationnel » entre adultes (est-ce qu’à ce moment-là dans ce contexte là il/elle consentait ?), apparaît un nouveau consentement « statutaire » lié à l'âge (un mineur est supposé ne pouvoir consentir). Cette

troisième révolution du consentement n’arrive pas d’un coup sur fond d’un droit immuable. Elle a émergé progressivement avec la refonte du code civil à partir des années 1960184F

185

, puis s’est accentuée avec de profonds changements au sein du code pénal de 1992, entré en vigueur en 1994, et marquent une réelle rupture. Le droit ne protège plus la stabilité des liens matrimoniaux ou l’ordre patriarcal, mais l’individu de sexe masculin ou féminin, considéré comme sujet autonome doté d’un statut juridique et de droits. L’enfant est au cœur de ces évolutions comme l’a rappelé Dominique Youf « le père de famille qui en

constituait la clé de voûte a laissé la place à l’enfant, qui désormais, occupe la place centrale dans le droit de la famille. La famille n’est plus cette société hiérarchisée dominée par la figure du père, elle est devenue une société individualiste égalitaire, où chacun est reconnu dans sa dignité d’homme 185F

186

». Il montre, à travers ces évolutions, comment se posent des questions inédites sur les droits de l’enfant : « mais si l’enfant est vraiment ce sujet de droit, sur quels

fondements lui maintenir son statut protecteur de mineur ? N’est-ce pas contradictoire de vouloir à la fois des droits à la protection et des droits capacitaires ? Peut-il y avoir des droits sans responsabilités ? 186F

187

». Ainsi, derrière la notion de droits de l’enfant, se retrouve deux versants idéologiques, avec d’un côté la réaffirmation de la protection de l’enfant, et de l’autre, la promulgation de son autonomie et sa liberté (Théry, 1992).

Parallèlement, le droit pénal en matière de violences sexuelles connait un véritable tournant anthropologique : on ne condamne plus la transgression d’une morale sociale mais l’atteinte au consentement de la personne. Dès lors, le droit pénal opère une distinction entre les catégories juridiques qui relèvent de relations sexuelles interdites parce qu'elles violent le consentement de la personne (viol, agression sexuelle, exhibition sexuelle, harcèlement) et celles prohibées parce que l'âge de la personne ne permet pas qu'elle consente librement (atteinte sexuelle, corruption de mineur, pédopornographie). Dans ce nouvel horizon des interdits sexuels, le viol sur mineur est devenu le crime absolu « paroxysme du crime total […] il concentre sur lui l’ensemble des

atteintes qui nous sont devenues insupportables : la blessure physique et le

185Toute une série de lois rompent avec un code civil qui avait institué l’incapacité juridique de

la femme et la puissance paternelle et maritale : les lois de 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux ; la loi du 4 juin 1970 supprime l’appellation de chef de famille et substitue à la notion de puissance paternelle celle d’autorité parentale, mettent fin à l’incapacité juridique de la femme ; la loi du 11 juillet 1974 ne retient plus l’adultère comme cause péremptoire de divorce et enfin la loi du 17 janvier 1975 abroge le délit d’avortement.

186Dominique Youf, 2002. Penser les droits de l’enfant. Paris, PUF, p. 3. 187 Ibid., p. 6.

trauma psychique187 F

188

». Autrement dit, comme le souligne Denis Salas « l’horreur du crime sexuel n’est que la figure inversée du bien absolu que

représente l’enfant dans des sociétés où l’adulte cesse d’occuper sa place188F

189 ». Le mineur s’impose comme la figure sacralisée à protéger tandis que la figure du « pédophile » est désormais l’incarnation même du mal social (Garapon, 2006189F

190

). Ainsi, comme le rappelle Anne-Claude Ambroise-Rendu « presque

deux siècles, c’est le temps qu’il a fallu pour que l’agression sexuelle sur enfant s’impose comme un crime, c’est-à-dire comme une violence qu’elles qu’en soient les conditions. La montée en puissance de la protestation contre les rapports sexuels imposés aux enfants, le recul de l’importance accordée à la violence physique en ce domaine, l’effacement presque total des questions portant sur le consentement, tout cela montre que la prise en compte croissante de cette criminalité se fait dans un cadre de mutation profondes des sensibilités qui font bouger le seuil des violences tolérées190 F

191

».

III. VERS UNE HYPOTHESE CENTRALE DE RECHERCHE

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