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Des règles de comptabilisation établies par les négociations au sein de la CCNUCC La complexité des règles de comptabilisation du Protocole de Kyoto est due à différentes

1.3.3 Un secteur controversé

Un secteur idéologique taillé à la mesure des volontés politiques

Le secteur UTCATF est réputé pour être non seulement complexe, mais aussi controversé – la complexité étant d’ailleurs un des éléments de la controverse. Le secteur UTCATF est marqué par sa forte dimension idéologique et politique. Selon les différentes ONG suivant les négociations climatiques (Amis de la terre, Climate Action Network, WWF, Greenpeace, FERN, etc.), ce secteur est même un point faible (« loophole ») majeur des règles internationales de comptabilisation. En 2000 à la COP de La Haye, les discussions avaient buté sur l’insistance des Etats-Unis, du Japon, du Canada, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande d’utiliser leurs puits de carbone pour atteindre leurs objectifs de réduction fixés en 1997 au Protocole de Kyoto. Des ONG avaient alors vivement critiqué cette politique réduisant le Protocole à ses mécanismes de flexibilité et le vidant de son ambition première – réduire les émissions des sources - et la Conférence a été suspendue. Les règles de comptabilisation définies par la suite n’ont pas permis d’éteindre la controverse car le recours aux puits de carbone, bien qu’encadré et limité (avec des systèmes de plafonnement), reste possible. Les mécanismes internationaux de compensation par le financement d’opérations de reboisement à l’étranger (mécanismes dits « REDD » et « REDD+ ») font aussi partie du spectre des mécanismes visés par ces controverses. Les nombreuses modalités qui sont en fait autant d’exceptions concédées à des Etats, comme la ‘clause australienne’ (Höhne et al, 2007 ; Fry, 2011), de même que le caractère volontaire de la comptabilisation de certains sous-secteurs indique que le but de la comptabilisation de l’UTCATF est de permettre l’obtention à tout prix d’un puits de carbone, et non d’une autre source, et ce quelle que soit la situation forestière du pays. Tout ce qui, au sein de l’UTCATF peut ou pourrait représenter une source d’émission a donné lieu à ces règles particulières : dégâts de tempêtes, certains feux de forêts, etc. Ce secteur n’est discuté que comme un moyen d’atteindre les objectifs, et non comme un secteur neutre sur lequel il faut agir : l’UTCATF est considéré par essence comme créditeur (Schlamadinger et al 2007 ; Grassi et al 2012). En outre, le manque de transparence, de cohérence et d’exhaustivité dans la méthodologie des différents Etats pour réaliser leur inventaire UTCATF (Löwe et al, 2000) vient ajouter de la confusion et de la suspicion. Enfin, une critique considère que les forêts, en Europe, sont sous-mobilisées dans la lutte contre le changement climatique et que les règles de comptabilisation, tout comme la politique climat européenne, devraient être réformées de manière à ce que le puits forestier soit davantage comptabilisé de façon à favoriser une dynamique plus forte des plantations et de la mobilisation du bois-énergie et du bois-matériau, outils de stockage du carbone (Ellison et al. 2014, ADEME, 2015). Globalement, UTCATF et désormais les « émissions négatives » apparaissent comme une opportunité pour concilier la continuité des émissions et le respect des engagements de réduction des émissions en recourant au concept de neutralité, de bilan net. Ainsi, le secteur de l’aviation internationale, actuellement hors périmètre des objectifs internationaux, a promis en 2009 (via l’IATA International Air Transport Association) une stabilisation de ses émissions dès

2020. Or pour réaliser cet engagement, plusieurs ONG ont souligné que les efforts liés à l’énergie seraient insuffisants et qu’il faudrait prendre en compte le financement de projets de reboisement (Comstock al. 2016). Le recours aux puits de carbone apparait donc désormais, même pour les ONG, comme une solution réaliste et nécessaire, et non plus uniquement comme un moyen de ne pas réaliser ses engagements.

La capacité du secteur UTCATF à compenser les émissions, au niveau mondial, ne doit cependant pas être surestimée car les capacités actuelles de stockage se sont constituées sur le temps long, alors que les besoins de stockage additionnel s’inscrivent sur le temps court (Mackey al. 2013). Pour ces auteurs, l’idée de compensation est scientifiquement infondée : seule une fraction minime des émissions peut être réduite via le recours aux puits. Selon eux, il faut distinguer puits et stock,

concepts qui n’ont pas la même temporalité. Le puits biosphérique absorbe l’équivalent de près d’un quart des émissions (Le Quéré, et al. 2015 ; Tian, et al. 2016 ; voir chapitre suivant), le débat politique étant de savoir si l’on considère qu’il s’agit d’une compensation, et l’enjeu de maintenir et accroître ce puits soulève toujours la question de savoir si l’existence de ce puits permet de limiter les réductions des émissions de GES (Paustian, et al. 2016).

Un secteur inéquitable

Les états doivent bénéficier de leurs flux d’absorption si ceux-ci résultent de leur action, et non en raison de la simple existence de puits en croissance. Ce problème dit de l’additionnalité est crucial et reste prégnant : le risque de ce qu’on a appelé « l’air chaud » (des crédits de carbone obtenus sans rien faire) existe, même s’il est jugé raisonnablement bas (Grassi, 2011). En France, l’enjeu de la distinction de l’effet anthropique sur le renforcement du puits est une question stratégique car le puits forestier est en progression (Vandaele et al, 2010). Cela souligne à quel point le secteur UTCATF est dépendant des situations des différents pays et variables selon les structures politiques et économiques à l’origine de la mobilisation de la ressource forestière (Boyd, 2010), mais plus largement de la politique territoriale et agricole. De même, la définition des niveaux de référence pour le suivi du puits forestier (logique net-net, brut -net ou projection) dépend des spécificités de chaque pays et en particulier de ses sources de données et de la qualité de ses estimations et projections.

Un périmètre national trompeur

La comptabilisation se fait selon un périmètre national strict, selon une logique de production et non de consommation : de même que les émissions du transport aérien et maritime international ne sont assumées par aucun Etat et ne sont donc pas prises en compte dans les inventaires, les émissions indirectes ou « exportées » sont prises en compte dans le pays où ont lieu les émissions. Les émissions liées à la déforestation induite par l’utilisation de biocarburants de première génération en France ne seront pas inventoriées en France (De Cara, et al. 2012). De même le reboisement, en France, de terres agricoles abandonnées, même s’il est en partie lié à l’internationalisation du marché agricole et à la politique européenne, sera comptabilisé entièrement et uniquement par la France. Dès lors, avec un périmètre global, on se rend compte qu’il ne s’agit pas de deux flux mais d’une « fuite » (leakage) d’un seul flux, qui est transposé d’un endroit à un autre (Blujdea al. 2010). Ces limites de l’approche dite territoriale sont à mettre en parallèle avec l’approche de l’empreinte écologique qui analyse les besoins, notamment en termes de surfaces (de cultures, de bois pour séquestrer le carbone, etc.) d’un territoire pour compenser –notamment – ses émissions (Wackernagel & Rees 1996).

Approche critique plus large

L’approche actuelle des instances internationales vise à régler le problème du changement climatique via une politique sectorielle, en focalisant le suivi de l’occupation du sol sur l’enjeu carbone. La représentation du territoire et des milieux par le prisme de la comptabilité carbone entraîne une gestion particulière qui met de côté les multiples enjeux de l’occupation du sol et ignore que le paysage est avant tout une interface entre dynamiques écologiques, sociales, économiques, sur de multiples échelles (Bertrand, 1978 ; Génot, 2008). La focalisation, en particulier, sur le rôle de la forêt comme puits de carbone simplifie et gomme la complexité de ces contextes – ce qui réduit in fine l’efficacité réelle de ces politiques, par exemple par l’absence ou la faiblesse de la prise en compte de la diversité biologique des forêts et des problématiques d’acteurs (Boulier et Simon 2010 ; Fry, 2011). La gouvernance climatique s’est construite sur le modèle des actions de lutte pour protéger la couche d’ozone, en prônant une approche chiffrée de réduction d’émissions – mais cette approche trouve ses limites une fois appliquée au climat, problème bien plus large et plus complexe (Aykut & Dahan 2015). L’approche par le haut, en préconisant à l’échelle mondiale des solutions, des méthodes et une

approche définie, n’est pas forcément opérante du point de vue local (Tabeaud, M., Brédif, H., 2013). Perret, et al. (2015) montrent les différences existantes dans les approches locale des stratégies d’acteurs pour la protection des sols et notamment le stockage de carbone dans la filière agricole (respect des bonnes pratiques, pratiques supplémentaires ou absence de pratiques spécifiques). De manière générale, on observe une objectivation du débat qui s’attache à la comptabilisation apparemment neutre des objets géographiques (forêts, cultures, etc.) alors que cette objectivation se fait « au détriment des acteurs et des besoins de ceux-ci » (Brédif, 2008) et que la dénomination et la définition de ces objets géographiques sont loin d’être neutre. L’objet « forêt » dans le cadre UTCATF est porteur de nombreuses limites et de contradictions environnementales : d’une part les pays avaient des définitions trop hétérogènes (Verchot al 2007), et le choix de la définition de la FAO (définissant notamment une forêt à partir de 10% de couvert seulement, voir chap.3) ne règle pas tous ces problèmes (Nabuurs & Verkaik 1998) ; d’autre part des plantations peuvent répondre à la définition de la forêt, ce qui a amené des auteurs à proposer la notion de forêt « intacte » (Mollicone et al. 2006), afin de prendre en compte aussi, en particulier, les effets sur la biodiversité, autrement ignorés (Sasaki al 2009). Enfin, les aspects socio-économiques, hormis les questions énergétiques, sont généralement ignorés, et en premier lieu l’enjeu alimentaire (Smith et al, 2013). « On observe globalement un

manque de sciences sociales dans le GIEC et l’IPBES. Par exemple le thème des conflits est reconnu qualitativement dans des parties des rapports plus sectorielles, comme celles concernant les énergies ou les sols, mais sans être approfondi » (GIEC & IPBES, 2015). Seule une approche intégrée, avec un

regard à la fois local et global, permet de penser les autres aspects environnementaux induits par les politiques UTCATF carbone (biodiversité, paysage…) et d’en mesurer les intrications. Afin de s’approcher au mieux de cet idéal, il est envisageable de traiter le secteur UTCATF complètement à part des autres secteurs, pour ne pas se limiter aux modalités actuelles de comptabilisation mais intégrer d’autres types d’objectifs tout aussi efficaces et utiles pour le climat, sans pour autant être liés aux objectifs de réduction des autres secteurs (Benndorf et al. 2007). Selon Ellison al. (2011, 2013), le système actuel, même en limitant par un plafond le recours au puits forestier, n’incite pas les Etats à une politique forestière ambitieuse d’augmentation du puits, voire encourage à privilégier le status quo en souhaitant préserver les forêts actuelles et conserver le puits qu’elles représentent. Enfin, le recours au secteur UTCATF en particulier et aux ‘émissions négatives’ en général repose sur le principe d’une disponibilité permanente de puits sur le temps long, alors que les stocks de carbone sont non- permanents, dynamiques (Lal, 2004 ; Hediger 2009 ; Meadowcroft, 2013), et sensibles aux changements climatiques (Ciais, et al. 2005).

Un service écosystèmique parmi d’autres

La capacité pour les sols et la biomasse à stocker du carbone constitue un service écosystémique, notion introduite dès la fin des années 1970 (Westman, 1977) et généralisée après le MEA (Millenium Ecosystem Assessment) de 2005, qui permet notamment de prendre en compte dans les modèles économiques les services rendus ‘gratuitement’ par le milieu biophysique à la société. Parmi les différents services communément listés (nourriture, bois, eau potable, régulation des écoulements d’eau, qualité de l’air, récréation, etc.) deux services interviennent dans l’atténuation du changement climatique par la fixation et le stockage de carbone : le stockage de carbone dans la biomasse vivante aérienne et sous-terraine (exprimé en tC/ha/an) et la productivité écosystémique nette (Net Ecosystem Productivity (NEP)) qui séquestre du carbone (exprimée en mg/m2/an). On distingue trois types de services : approvisionnement, régulation, social. Le stockage de CO2 intervient dans le service de régulation (du climat en l’occurrence). Cette catégorisation sépare les stocks et les flux venant alimenter ce stock : cette séparation, qui peut être utile d’un point de vue comptable pour quantifier les services écosystémiques, n’est pas nécessaire pour évoquer le rôle que joue l’occupation des sols dans les flux de GES. Cette approche, utilisant la métrique de la tonne-

carbone pose des problèmes de légitimité et de transferts de valeurs quant à l’évaluation d’autres services écosystémiques, en particulier la biodiversité (Chevassus-au-Louis et al. 2009).

Ces enjeux dépassent-ils l’échelle mondiale, tant du point de vue politique (accords) que scientifique (modèles) ? Nous verrons dans la section suivante qu’en France cet enjeu a été mobilisé localement dans les politiques publiques.

1.4 L’appropriation nationale de l’enjeu carbone de l’occupation

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