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Dans le cadre des travaux sur le climat, l’influence des changements d’occupation du sol entraine de très fortes incertitudes car elle peut influencer à la hausse ou à la baisse le bilan total des flux de GES. Il est difficile de réconcilier différentes estimations sur ces flux de carbone, en particulier car ils sont tributaires de données sources incertaines (Ito al. 2008). Les estimations relatives aux surfaces déforestées dans les zones intertropicales déterminent en grande partie ces incertitudes. Or, sur ce point, les différentes sources disponibles ne s’accordent pas : l’évaluation de la FAO de 2010 a revu à la baisse les taux de déforestation estimés pour les années 1990 ; mais cette nouvelle estimation a été critiquée par Kim et al. (2015) qui ont revu ces taux de déforestation à la hausse, via l’usage de données plus fiables. Pour les régions tempérées, l’estimation de l’enfrichement est aussi variable selon les modèles. Un bilan récent sur le lien entre changements d’occupation du sol et climat (Pitman et Noblet-Ducoudre, 2012) souligne, dans les modélisations à venir, la nécessité de prendre en compte les changements anthropiques – et en particulier l’urbanisation – à une échelle fine.

Au-delà de l’incertitude liée aux surfaces de changements, par manque de données exhaustives et fiables, les estimations concernant les réservoirs de carbone, la dynamique temporelle des stocks, sont aussi sujettes à des évolutions significatives pouvant remettre en question les conclusions des modèles précédents. Parmi de nombreux travaux sur ce sujet (voir notamment section 2.3), Tang & Riley (2014) montrent que la réaction des populations microbiennes des sols aux variations des conditions climatique, notamment thermiques, est complexe et n’a pas toujours été bien prise en compte dans les modèles jusqu’ici, alors que le déstockage aurait selon eux été surestimé (Tang & Riley 2014). Reichstein et al. (2013) dressent l’état des incertitudes sur le rôle du sol et de la biomasse en regard des variations climatiques. En effet les évènements climatiques extrêmes (sécheresses, tempêtes, etc.) peuvent entraîner une diminution du stockage de carbone des écosystèmes affectés et peuvent ainsi annuler le rôle de puits que jouent normalement ces milieux. De plus, la présence de larges puits de carbone ne doit cependant pas forcément induire la possibilité de compenser largement des émissions : la capacité de stockage dépend de nombreux facteurs (autres que la simple présence d’un puits) et cette capacité n’est pas illimitée (Mackey al. 2013).

Il reste aussi à déterminer précisément les impacts biogéophysiques (température, bilan radiatif, etc.) des changements d’occupation du sol et évaluer les incertitudes. C’est notamment l’objet du programme LUCID (The Land-Use and Climate: IDentifications of robust impacts, De Noblet- Ducoudré and Pitman, 2007 ; De Noblet et al, 2012).

Enfin, deux autres raisons expliquent que les estimations des flux de carbone mondiaux soient soumises régulièrement à des rééstimations. Premièrement, parce que l’on observe une inadéquation entre les stocks de carbone (et notamment les taux de concentrations atmosphériques de CO2) et les

flux (en particulier les émissions anthropiques), ce qui a donné lieu à l’hypothèse d’un « missing

carbon », c’est-à-dire que la végétation semblerait séquestrer davantage que prévu notamment du fait

nombreux puits ou sources sont régulièrement découverts ou rééstimés, comme le carbone de sols organiques en forêt congolaise (Dargie, 2015), le carbone sous le Sahara (Li et al, 2015) ou encore les flux naturels, comme ceux liés aux failles sismiques (Lee et al, 2016).

Brovkin et al. (2013) soulignent les fortes incertitudes des différentes modélisations de l’impact climatique des changements d’occupation du sol : les différences de définition des catégories d’occupation du sol, le manque de significativité des effets lorsque les changements ne sont pas massifs (en dessous de 10 % des surfaces totales), l’importance des flux énergétiques, de l’albédo, des flux de chaleur ; et la faible magnitude de ces effets en dehors des zones tropicales.

Rôles de l’azote et du phosphore

Les dépôts d’azote ont un double effet sur les stocks de carbone : d’une part, une hausse de la productivité primaire nette, et d’autre part, un effet généralement négatif sur la minéralisation du carbone dans le sol : au total, le bilan net reste très positif (de Vries et al, 2009 ; Ferry et al, 2010). En forêt spécifiquement, les dépôts d’azote font décroitre le rapport C/N de la litière, ce qui tend à accélérer sa décomposition (Janssens et al, 2010). La hausse de la productivité primaire des forêts, liée à la hausse des dépôts d’azote et des concentrations en CO2, entraine cependant une hausse de la

demande des arbres en nutriments : le sol ne peut toujours y répondre et cela pourrait expliquer la détérioration de la nutrition minérale des arbres en Europe depuis les années 1990 (Jonard et al, 2015). Jain et al. (2013) montrent qu’au niveau des estimations mondiales les émissions de CO2 liées à

l’occupation du sol dépendent davantage du cycle de l’azote que de la donnée source sur l’occupation des terres. D’après leur modèle ISAM, si l’on n’inclut pas le cycle de l’azote, on risque de sous- estimer ces émissions. Cela se vérifie particulièrement dans les zones tempérées où le différentiel est de 61-76 %. Ce résultat est intéressant car il montre, contrairement aux études précédentes, que les émissions liées aux changements d’occupation du sol sont plus fortes en zone tempérée qu’en zone tropicale1. Néanmoins, pour l’Europe et notamment la France, il faut relever l’incertitude relative à la comptabilisation des flux de surface dans ces travaux et dans les modèles mondiaux en général. Pour cette étude en particulier, les auteurs soulignent sous-estimer l’afforestation en Europe en raison de la construction de leurs modèles qui ne prend pas en compte l’afforestation après prairie ou après culture, ni même l’enfrichement, phénomènes qui correspondent pourtant à une dynamique réelle dans certaines zones rurales en France. La prise en compte conjointe des cycles d’azote et de phosphore dans les modèles estimant les flux de carbone réduit à la fois les taux de séquestration par la reforestation et les émissions par la déforestation, car l’azote et le phosphore diminuent la production primaire nette liée à l’augmentation des concentrations de CO2

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(Wang et al, 2015). Rôle du méthane

L’occupation du sol et les changements d’occupation du sol participe aussi aux flux de méthane (CH4), puissant gaz à effet de serre (ayant un pouvoir de réchauffement 25 fois supérieur au

CO2), mais son rôle exact (source ou puits) et son évolution dans le temps restent incertain. Il a

d’abord été admis que la biomasse émettait du méthane, dans une fourchette d’abord estimée à 62 – 236 Tg/an (Keppler et al. 2006), mais cette valeur a été revue à la baisse à 10 – 60 Tg/an (Kirschbaum et al. 2006). Une étude récente (Sundqvist et al. 2012) remet en cause ce rôle de source en mesurant une absorption nette de méthane par les plantes en Suède ce qui expliquerait par ailleurs les concentrations plus faibles que prévues mesurées dans l’atmosphère. De récents travaux confirment aussi l’incertitude sur le rôle du sol dans les flux de méthane. Les couches superficielles des sols gelés

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Selon ces résultats, ces émissions dans les années 1980, 1990 et 2000 s’élèvent respectivement à 0,8 ; 0,8 et 0,7 ; GtC / an pour les régions tropicales et à 1,1 ; 0,9, ; et 0,7 GtC / an (Jain et al, 2013).

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en surface (permafrost) des régions arctiques risquent, en fondant sous l’effet de températures plus élevées, de libérer dans l’air le méthane qu’elles contiennent et qui est jusqu’ici piégé dans la glace (Beer, 2008) Cependant des recherches au Canada (Lau et al. 2015) montrent un effet inattendu : les sols minéraux (à faible teneur en carbone organique) qui sont justement les plus présents dans les régions à permafrost (87 %) tendent, en se réchauffant, à capter1 et non à émettre du méthane. Cet effet, lié à des actions bactériennes, reste mal compris. Les travaux les plus récents montrent la variabilité des émissions de méthane des sols gelés en fonction de facteurs climatiques (Zona et al. 2016). L’incertitude sur le rôle de la biomasse et des sols dans les flux de méthane est tel que l’on peut passer d’un rôle de puits massif à un rôle de source massive, ce qui modifie complètement les modélisations. D’un point de vue méthodologique, cependant, le PRG du méthane prend en compte la durée de vie dans l’atmosphère, et donc prend en compte sa destruction et son stockage. Dès lors le simple fait de convertir une partie des émissions de CH4 en CO2eq. reviendrait à prendre en compte le

rôle de puits de méthane du sol et de la biomasse. Rôle de l’ozone

Les plantes absorbent naturellement de l’ozone. Néanmoins, l’augmentation (par un facteur 2 jusqu’ici) des concentrations en ozone troposphérique a un effet sur la capacité des plantes à stocker le carbone, en réduisant leur productivité et en causant une fermeture des stomates par lesquels le CO2

est absorbé (Sitch et al. 2007). Si l’effet négatif de l’ozone sur la croissance des plantes, et notamment en forêt (Karnosky et al, 2005), son effet sur le sol reste en revanche mal compris (Pregitzer et al, 2006).

Le rôle de l’océan

En tant que tel, le rôle de l’océan dans les flux de gaz à effet de serre est encore incertain. Le projet international Socom2, qui compare quatorze méthodes actuelles qui interpolent et extrapolent les données issues des données éparses sur les flux océan-atmosphère, permet d’estimer de façon cohérente le rôle de l’océan : celui-ci absorberait de plus en plus de carbone depuis 2000, avec une variabilité interannuelle plus forte que précédemment estimée. L’océan tendrait donc à voir son rôle de puits de carbone s’accroître. Les flux air-océan et terre-océan sont encore moins bien estimés, notamment la dissolution de carbone organique par la mobilisation de sol et de biomasse par les cours d’eau causée par des perturbations anthropiques. Le devenir de ce carbone (partie dissoute, enfouie, émise vers l’atmosphère, métabolisée en biomasse marine ou dans les cours d’eau) n’est pas encore connu. D’après des travaux récents (Regnier et al. 2013 ; Butman et al. 2014), ces flux représentent 0,1 à 0,2 PgC / an et sont en augmentation.

Le rôle de l’albédo et la prise en compte du forçage radiatif total

L’albédo est actuellement estimé et modélisé dans les différentes modèles climatiques. Or, il est considéré à part dans les instruments d’inventaire pour les politiques climat. En effet, les inventaires estiment seulement le forçage radiatif anthropique lié aux flux de GES. La prise en compte des changements d’occupation du sol génère des effets environnementaux plus complexes que les émissions de GES des autres secteurs. Si l’objectif est bien la réduction du forçage radiatif afin de réduire la hausse des températures, alors la prise en compte du forçage radiatif lié à la modification de l’albédo devrait aussi pouvoir être prise en compte.

On considère généralement l’effet albédo résultant des changements d’occupation du sol. Par exemple, les conversions de forêts de feuillus en plantations de conifères en Europe ont notamment entrainé une modification de l’albédo, ce qui explique entre autres que l’évolution des forêts gérées

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Les flux de captage de CH4 mesurés dans l’étude vont de −0.1 à −0.8 mg C-CH4/ m²/jour (Lau et al, 2015). 2

européennes ait plutôt contribué à renforcer le réchauffement climatique (Naudts et al, 2016). Or, des travaux menés en France par l’Inra dans le cadre du programme CICC (Couverts Intermédiaires et Changements Climatiques) montrent qu’à occupation agricole constante, la gestion a aussi un effet significatif sur l’albédo : les cultures intermédiaires entrainent ainsi un forçage radiatif net 2.5 à 7 fois plus fort que l’effet de stockage du carbone (Ceschia, 2016). Ces résultats appellent à une prise en compte conjointe des effets biogéochimiques et biophysiques dans les estimations des effets climatiques des changements d’occupation du sol, et non à la seule métrique du carbone.

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