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Il n’existe pas de consensus sur les politiques à mener concernant les sols, la biomasse et les changements d’occupation des terres dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Plusieurs aspects suscitent, si ce n’est des controverses, du moins des avis opposés et peuvent mener à la mise en place de stratégies contradictoires. En premier lieu, des désaccords concernent le rôle de la forêt. Historiquement, la forêt joue un rôle économique : les dimensions paysagère, écosystémique, culturelle et récréative sont apparues progressivement et ce n’est que tardivement que la forêt a été investie du rôle de puits de carbone. Il existe dès lors une tension entre, d’une part, une approche qu’on peut qualifier de conservatrice, qui consiste à préserver le stock de carbone en forêt et donc à privilégier le maintien et l’accroissement des forêts (en surface et en volume), et d’autre part une approche dynamique consistant à promouvoir l’exploitation sylvicole4

afin de renouveler les forêts en

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Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux, organisme d’Etat lié au Ministère de l’Agriculture

2 Conformément à la décision 1/CP.16 adoptée à la COP-16 (2010) et à la loi sur la transition énergétique de 2015

3 Disponible à l’adresse suivante : disponible à l’adresse http://www.consultations-publiques.developpement-

durable.gouv.fr/IMG/pdf/2015-08-27_DEVR1519707D_SNBC.pdf

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Approche notamment mise en avant par des sociétés forestières industrielles pour justifier des cultures ligneuses (ex : palmiers à huile, eucalyptus…) (Ellison et al, 2011).

séquestrant du carbone pendant la croissance des nouvelles pousses, et à stocker le carbone via la production de bois-matériau au lieu de bois-énergie (Ellison et al, 2011). Ces deux approches ne sont contradictoires que sur le court-terme, car la temporalité n’est pas la même : préserver des forêts, mêmes anciennes, permet de conserver le stock - voire de continuer à l’augmenter (Luyssaert et al. 2011) alors que la récolte de bois entraîne une émission de carbone (même pour du bois-matériau) qui va mettre du temps à être compensée par la repousse d’autres arbres. De plus, l’approche carbone peut entrer en contradiction avec d’autres politiques environnementales : ainsi, le maintien de bois mort pour la biodiversité entraîne des flux de CO2 lors de la décomposition. L’argument climat peut aussi

être invoqué à tort : dans le cadre du vote de loi sur la biodiversité, un amendement proposait de revenir sur une disposition du projet de loi visant à protéger les arbres d’alignements en bord de route, s’appuyant sur le fait que « lorsque l'arbre est à maturité, il ne joue plus pleinement son rôle de

captation du dioxyde de carbone et de diffusion d'oxygène. En revanche, même abattu, le bois continue à stocker du carbone et contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique »1 (M.

Saddier, 2016). Cet argument oublie que même arrivé à maturité, l’arbre conserve un stock de carbone et l’accroit encore souvent (Stephenson et al. 2014), alors que la coupe du bois, non seulement entraîne une émission, mais fixe définitivement ce stock. Seul le remplacement de l’arbre abattu permet d’utiliser l’argument climat pour justifier la coupe, or il n’était pas question pour ces arbres d’alignement de les remplacer, mais bien de les couper définitivement. Une autre version de ce débat consiste à opposer la politique dite de « stock » (conservation de la forêt et production de bois- matériau) à une politique de substitution (production de bois-énergie contre l’utilisation d’énergies fossiles) (Marland et Schlamandinger, 1997 ; Nabuurs et al, 2007 ; Leturcq, 2010 ; Lecocq et al, 2011 ; Bellassen et Luyssaert, 2014 ; ADEME, 2015)

En deuxième lieu, c’est la question de l’urbanisation qui conduit à des conclusions opposées sur les meilleures politiques à adopter concernant l’occupation du sol au regard du climat. L’urbanisation, comme processus de croissance de population des villes, entraine une artificialisation croissante des sols et donc une perte des stocks de carbone de ces terres. La densification des villes, et non l’étalement des banlieues pavillonnaires en périphérie de celles-ci, semble donc une politique cohérente de lutte contre l’effet de serre en limitant l’imperméabilisation des sols. Or cette attention portée sur les sols oublie que la croissance des villes entraine des changements socio-économiques et des comportements à même d’augmenter les émissions de GES par rapport au mode de vie en zones rurales ou rurbaine, comme des déplacements de loisirs à plus grande distance pour compenser le manque d’accès à la nature (Charmes, 2013). D’autre part, la périurbanisation peut prendre une forme durable en induisant une organisation spatiale et un usage des ressources spécifiques (Mancebo, 2014). Enfin, la question de l’échelle nationale de l’inventaire UTCATF est aussi sujette à critique, car des politiques durables de gestion des terres dans un pays peuvent conduire à des émissions dans le secteur UTCATF ailleurs. Par exemple, une stratégie de mobilisation faible de la ressource forestière entrainera le recours au bois récolté dans d’autre pays et éventuellement à de la déforestation. Cette question rejoint celle des changements indirects d’utilisation des sols (Indirect Land-Use Changes ou ILUC) qui est largement débattue dans le cadre du développement des biocarburants dits de première génération (Fargione et al, 2008).

L’inventaire est donc au cœur d’enjeux politiques parfois divergents ; la forêt est un enjeu stratégique majeur qui occulte souvent d’autres aspects, alors que les politiques visant l’occupation du sol et non directement le climat visent avant tout l’artificialisation et non la forêt.

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Martial Saddier, http://www.actu-environnement.com/ae/news/arbres-alignements-protection-loi-biodiversite-suppression- Assemblee-nationale-26398.php4

1.4.2 Les programmes de recherche, partie intégrante des objectifs français

Le second positionnement de la France par rapport aux décisions internationales est, outre à se fixer des objectifs, à financer des programmes de recherche.

En France : programmes confiés à l’ADEME, l’INRA, l’IFN, l’ANR, etc.

Tant l’inventaire que les réflexions stratégiques ont besoin de synthèses opérationnelles fournissant des données de références, qu’il s’agisse de méta-analyses ou de nouvelles données. Ainsi, plusieurs programmes de recherche, pilotés par des organismes tels que l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la maitrise de l’énergie), l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) ou l’IFN (Inventaire Forestier National aujourd’hui intégré à l’Institut Géographique National), ont été mis en place pour répondre à ce besoin et produire ces références. L’inventaire UTCATF s’appuie davantage sur ces productions de références que sur des travaux académiques publiés en dehors de ce cadre. Les travaux de l’INRA et de l’IFN, menés dès les années 1980 et surtout depuis les années 19901, ont permis d’approfondir les connaissances sur le lien, en France, entre les sols et la biomasse (surtout forestière) et le climat (Arrouays et al. 1994 ; Balesdent et al. 1998 ; Arrouays, et al. 2002 ; ADEME et GIS-Sol, 2014). LE GIP ECOFOR, créé en 1993, renouvelé en 2003 et en 2013, rassemblant notamment l’INRA et le Ministère de l’Environnement autour des écosystèmes forestiers, fournit notamment des réflexions sur le puits de carbone forestier actuel et projeté. INRA et IFN ont été associés (avec les différents services ministériels pertinents) à la mise en place de l’inventaire UTCATF français par le CITEPA (CITEPA, 2005) surtout dans le cadre de l’application du Protocole de Kyoto qui a accru l’importance stratégique de cet exercice En 2002, l’INRA a publié une ‘expertise collective’, « Stocker du carbone dans les sols de France » (Arrouays et al. 2002), commande publique et exercice de grande ampleur qui a servi – et sert encore – de référence, de même qu’une étude plus récente commanditée par l’ADEME et les ministères en charge de l’agriculture et de l’environnement (Pellerin et al. 2013) et qu’une nouvelle expertise, lancée en 2016, sur l’artificialisation des sols2

. Au besoin de valeurs de références actuelles et historiques s’ajoute aussi le besoin de projections auquel répondent ces organismes3

(). Ces programmes sont réalisés en lien avec l’administration publique (le GIS SOL est sous la co-tutelle des ministères de l’environnement et de l’agriculture), tout comme l’est la réalisation de l’inventaire UTCATF. Actuellement, ce sont les données issues du Réseau de Mesure de la Qualité des Sols (RMQS) du GIS Sol, prélevés sur une grille d’échantillonnage assurant une représentativité nationale voire régionale, qui sont utilisés comme source pour l’inventaire UTCATF. Plus récemment, en parallèle au GIS SOL, un GIS CAS (groupement d’intérêt scientifique sur les changements d’affectation des sols) a été lancé en novembre 2014, là encore dans une configuration mixte (Ministères de l’agriculture et de l’environnement, ADEME, INRA), signe de l’intérêt croissant pour cette question précise en particulier. Ce groupement vise à analyser les impacts environnementaux (y compris les flux de GES) des changements d’occupation du sol et l’effet des politiques françaises et européennes. De plus, l’ADEME finance à la fois de nombreux projets de recherche et d’innovation4

ainsi que des projets de

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Programmes Agrotech, AgriGES GICC, GIS-SOL, CARBOFOR.

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Expertise scientifique collective en appui à la décision publique sur l’artificialisation des sols, menée par l’Inra (Y. Le Bissonnais) et l’Ifsttar pour le compte des ministères de l’Environnement et de l’Agriculture et de l’Ademe ; à laquelle Marianne Cohen et moi-même sommes associés.

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Avec la commande, par exemple, de l’étude « Projections d’émissions/absorptions de gaz à effet de serre dans les secteurs forêt et agriculture aux horizons 2010 et 2020 – 2008 » par l’INRA ; « Emissions et absorptions de gaz à effet de serre liées au secteur forestier dans le contexte d’un accroissement possible de la récolte aux horizons 2020 et 2030 » par l’IFN ; ou encore différentes projections effectuées par le CITEPA

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via notamment le programme « Recherches sur l’Atténuation du Changement ClimaTique par l’agrIculture et la Forêt » (REACCTIF)

thèses – dont la mienne. Enfin, pour souligner à nouveau la perméabilité entre ces organismes et les acteurs publics, notons qu’une annexe de la Stratégie Nationale Bas-Carbone de la France reprend la synthèse d’une étude du CITEPA et du CEREN sur l’analyse de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre en France.

Le programme 4‰ (quatre pour mille)

Alors que la biomasse forestière constituait l’enjeu majeur des réflexions stratégiques concernant le stockage du carbone, le rôle des sols agricoles, déjà envisagé par l’expertise commandée à l’INRA et publiée en 2002, a pris une nouvelle ampleur en France et dans le monde depuis le lancement du programme dit « 4 pour 1000 » lors de la COP-21, en décembre à Paris. L’annonce de ce programme a été faite par le Ministre de l’Agriculture, Stéphane le Foll, le 17 mars 2015, lors d’une conférence internationale sur l’« Agriculture intelligente face au climat » en préparation de la COP-21 et alors que l’année 2015 avait été déclarée Année Internationale des Sols par l’ONU1. S’appuyant sur

des estimations globales récentes (Le Quéré et al. 2014), le rapport de grandeur entre les stocks de carbone des sols totaux (environ 2400 MtC) et les émissions dues à la combustion d’énergie fossile (8.9MtC/an) est d’environ 4 pour 1000. C’est sur ce rapport entre l’immense capacité de stockage des sols au regard des émissions de carbone que se fonde ce programme : il suffirait théoriquement d’augmenter d’un facteur de 4‰, chaque année, la capacité de stockage des sols pour compenser les émissions anthropiques (Arrouays, 2016). Bien entendu, il convient de relativiser le sérieux de ce calcul qui compare d’une part une estimation de l’ensemble des stocks des sols – sur la majorité desquels une action pour accroitre la capacité de stockage n’est pas possible- et d’autre part une estimation d’une partie des émissions anthropiques totales, soit un stock de carbone sous forme organique et des flux de carbone sous forme gazeuse, chacune des valeurs résumant des estimations avec une forte variabilité spatiale et temporelle. Le simple rapport arithmétique entraîne une conclusion simpliste qui ne questionne pas la faisabilité ni la pertinence d’un tel objectif. Le discours de l’annonce du programme met en lumière l’importance de l’ambition politique vis-à-vis de l’incertitude scientifique, rapport crucial dans notre sujet : « Je propose (…), pour donner un objectif, (…) on puisse se fixer un grand programme qui pourrait s’appeler les 4 pour mille, (…),parce qu’on

a là un outil qui nous permet, selon les éléments dont je dispose, d’avoir une perspective extrêmement efficace de lutte contre le réchauffement climatique par le stockage. » (Le Foll, 2015). La valeur de

4‰ n’a qu’une valeur indicative, symbolique, pour souligner l’immensité de la capacité des sols à stocker du carbone, afin de rivaliser avec le symbole visuel et très ancré de la forêt (Arrouays, 2016). Cette valeur est fixée par le politique alors que les estimations scientifiques varient, ce rapport est amené à évoluer et il serait différent selon d’autres estimations : il en va de même pour l’objectif climat de « 2°C » qui ne correspond pas à une valeur scientifique (seules plusieurs fourchettes sont définies selon différents scénarios) mais à une valeur portée par les politiques pour faciliter les débats. Ces liens réciproques entre acteurs politiques et scientifiques pour ce sujet seront traités à la fin de ce chapitre. Les incertitudes concernant les assertions sous-jacentes à l’objectif du 4 pour 1000 seront quant à elles traitées dans le chapitre 2.

Dans ce contexte, un des prochains rapports spéciaux du GIEC, à paraitre d’ici 2018 dans le cadre de la préparation de son sixième rapport d’évaluation, traitera des questions des liens « entre le changement climatique, la désertification, la dégradation des terres, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire, et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres » (GIEC, 2016).

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1.4.3 Le rôle de l’inventaire UTCATF et du CITEPA dans ce contexte

Une place paradoxale

L’inventaire établi annuellement par le CITEPA occupe une place à la fois centrale et périphérique. Centrale, car les valeurs qui en sont issues sont officielles et sont à la base des travaux et réflexions sur le sujet. Néanmoins, les chiffres ne sont pas toujours cités comme étant ceux de l’inventaire mais plutôt comme les chiffres officiels de la France, voire issus du Ministère de l’Environnement. Les collaborations des organismes techniques et de recherche pour la réalisation de l’inventaire sont plus souvent ponctuelles et les questions de fond concernant l’amélioration méthodologique font l’objet de discussions avec les instances politiques, les instituts techniques et les producteurs de données, dans un cadre institutionnel1 mais ne font pas l’objet de grands programmes impliquant plusieurs organismes, plusieurs chercheurs, pendant plusieurs années.

Une configuration institutionnelle à l’origine de ce paradoxe

Cet écart entre une place fondamentale et une visibilité faible tient en partie à des raisons structurelles. Il n’y a pas de mutualisation de la réalisation de l’inventaire qui est avant tout une tâche technique, une obligation politique, dont le coût doit rester limité, et qui est renouvelée chaque année : un programme long sur sa réalisation irait à l’encontre de cette temporalité. Cet exercice est confié à un opérateur d’Etat, le CITEPA2

, une petite structure. Organisme privé, il a le statut d’association loi 1901 à but non lucratif et a pour mission depuis sa création en 1961 de produire et diffuser des données et informations sur les émissions dans l’air de polluants atmosphériques. Parmi les substances inventoriées, les GES sont devenus de plus en plus importants avec l’essor de la préoccupation climatique. La réalisation de l’inventaire a ainsi été confiée à cet organisme qui dispose de l’accès à de nombreuses données sources, à la fois issues du monde industriel et des organismes publics de production de statistiques. Ainsi, c’est pour des raisons historiques que cet organisme a été amené à concentrer en son sein une forte expertise sur les méthodes d’estimation et de suivi des émissions de GES. Dès lors, la visibilité de l’inventaire résulte de la visibilité du CITEPA lui-même : son statut d’organisme d’expert entre acteurs publics et privés, avec un rôle technique, explique que la visibilité de l’inventaire soit limitée aux institutions directement concernées. Le rôle du CITEPA est de respecter les normes fixées par les règles internationales, de réaliser un inventaire opérationnel, en conformité aux règles, sans logique de recherche, mais en recherchant l’efficacité : un inventaire fiable et qui ne sous-estimerait ni ne surestimerait les flux de GES. Ce ne sont pas des objectifs purement scientifiques émanant d’une communauté de chercheurs. Néanmoins, le CITEPA participe à différents programme de recherche (notamment les programmes de l’ADEME) dont les résultats peuvent bénéficier à l’inventaire.

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