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Dans l’inventaire français, l’incertitude sur les flux de GES du secteur UITCATF est relative à chaque type de conversion particulière, et à chaque réservoir de carbone. L’amélioration de ces connaissances mobilise des travaux sur chacune de ces dynamiques.

2.3.1 Les incertitudes relatives à la temporalité des flux de GES

Les valeurs de stock de carbone dans le sol et la biomasse sont des moyennes à la fois dans l’espace (les stocks de carbone varient au sein d’une même occupation du sol en fonction du type de sol, de la variation de la couverture végétale, des microconditions climatiques, etc.) et dans le temps (le carbone n’est pas en équilibre, il varie selon la dynamique de la biomasse, selon l’historique de l’occupation du sol à cet endroit, selon l’évolution des conditions). L’incertitude liée à cette temporalité est cruciale dans le contexte des inventaires d’émission de GES qui rendent compte d’un flux entre deux dates. La comptabilisation du carbone dans l’inventaire UTCATF simplifie les processus à l’œuvre : le stockage et déstockage de carbone dans le sol résument des phénomènes complexes et dynamiques d’évolution de la matière organique dans le sol. Au lieu d’une dynamique unique, la cinétique de dégradation du carbone – passant de l’état réduit (synthèse organique) à l’état oxydé (minéralisé) – est en réalité double. D’abord, a lieu la minéralisation primaire par les bactéries et les champignons (quelques mois à quelques années) ; puis la minéralisation secondaire, dégradation plus lente du carbone humique. Cette fraction humifiée de la matière organique est à tort dite « stable », car elle est mobilisée qu’après plusieurs dizaines d’années, voire plusieurs siècles. Seule une petite part de ce carbone n’est pas minéralisé et est à l’origine des roches carbonées (Duchaufour, 1960).

Le rythme de stockage de carbone n’est pas constant, les valeurs de stockage indiquées sont des valeurs moyennes, en général lissées de manière linéaire sur 20 ans. La cinétique de stockage de carbone dans les ligneux est liée à la croissance de l’arbre qui absorbe du carbone jusqu’au stade de sénescence. Contrairement à l’idée ancienne d’une forêt ‘neutre’ en carbone (Odum, 1969), où les taux de séquestration atteignent un plateau vers 50 ou 70 ans (Nilsson & Schopfhauser 1995), les forêts anciennes continuent de stocker du carbone : d’après les bases de données des réseaux CarboEurope et AmeriFlux, elles séquestrent entre 0,8 et 1,8 Mds tC/an (Luyssaert. al 2011) ; cette accumulation augmente avec la croissance en taille des arbres, donc avec l’âge (Stephenson al 2014). De fortes incertitudes demeurent sur les dynamiques de stockage à long terme.

Un aspect important de la temporalité des flux de GES est la différence de rythme entre émissions et absorptions pour des changements symétriques (les flux liés à une conversion prairie → culture sont plus rapides que les flux liés à une conversion culture → prairie. Le déstockage de carbone du sol est plus rapide (parfois deux fois plus rapide) que le stockage, et cela est encore plus différencié pour la biomasse. Dès lors, la prise en compte des changements d’occupation des sols dans les politiques climatiques ne doit pas considérer les flux de transition d’occupation des sols comme symétriques et pouvant s’annuler mutuellement.

La durée de transition par défaut du Giec est de 20 ans pour le passage, après changement d’occupation, d’un stock de GES dans le sol à un autre jusqu’à équilibre supposé, de manière linéaire.

Pour cette raison, les inventaires UTCATF doivent calculer des matrices de changements entre l’année inventoriée N et l’année N-20. Il s’agit de la « période de temps présumée nécessaire pour que les

stocks de carbone atteignent l’équilibre (…), même si d’autres périodes peuvent être utilisées à des niveaux plus élevés, en fonction des circonstances nationales » (Giec, 2006). Cette valeur de 20 ans

correspond en fait à un premier horizon temporel suggéré par le Giec (1996) pour tenir compte des flux les plus importants ; un second horizon temporel (de 20 à 100 ans) est aussi suggéré pour retrouver une valeur à l’équilibre, et ce notamment afin de tenir compte des perturbations de la biomasse, en particulier forestière. Le choix de ne conserver que l’horizon temporel de 20 ans est dicté par un souci de recourir aux données disponibles, mais tenir compte des flux sur une plus longue période est recommandé, si cela est possible (Giec, 1996). Une approche de niveau 3 (tier 3) peut faire appel à une modélisation plus complexe de ces cinétiques (Giec 2003a). La figure ci-dessous issue de la synthèse d’Arrouays et al. (2002) démontre qu’une cinétique minimale de 40 ans serait préférable pour les flux de déstockage et une cinétique minimale de 100ans (voire au-delà) serait préférable pour les flux de stockage.

Fig. 2.4. Flux de carbone dans les sols après changement d’occupation

D’après Arrouays et al. 2002. Les courbes décrivent l’évolution (non linéaire) du stock de carbone après un changement, et ce sans changement antérieur et sans changement intervenant pendant la période de 120 ans

considérée.

L’incertitude liée au type de gestion des terres et aux conditions climatiques

Une terre appartenant à une catégorie d’occupation est considérée comme une source ou un puits en fonction de cette occupation et de l’historique des occupations précédentes. Néanmoins, deux sols ayant une occupation identique peuvent devenir l’un une source ou l’autre un puits en raison des conditions particulières et des modes de gestion différenciés, selon que le milieu soit dans un fonctionnement dit ‘naturel’ ou bien qu’il soit ‘perturbé’. Ainsi, une tourbière stocke naturellement du carbone mais si son fonctionnement est perturbé (piétinement, drainage, apports de nutriments, extraction de tourbe), elle devient émettrice (Laggoun-Defarge & Muller, 2008). De même, les écosystèmes forestiers sont sensibles aux régimes sylvicoles et aux variations climatiques, aux évènements extrêmes, etc. L’épisode de sécheresse et de canicule de 2003 a ainsi eu des conséquences sur les stocks de carbone des forêts françaises (Landmann et al, 2003). En Europe de l’Ouest, cet épisode a entrainé une perte de 30% de productivité primaire (-17% en France) et les écosystèmes

forestiers ont représenté une source nette de carbone (env. 0,5 Pg C en un an) Les conséquences du changement climatique sur le rôle de puits de la biomasse, notamment forestière, restent incertaines : par exemple, une étude suggère que ces changements, malgré une baisse de la pluviométrie, pourraient stimuler la production et le stockage de carbone des forêts mélangées méditerranéennes (Simioni et al. 2015).

2.3.2 Etat des connaissances sur les stocks de carbone dans les sols et la

biomasse

Pour un état de l’art général sur les mesures des stocks des sols pour différentes catégories d’occupation, on se reportera notamment à Guo & Gifford (2002). En France, des travaux issus d’instituts techniques de recherche (Inra, IFN, Ademe et projets Carbofor), ont donné lieu à des rapports de référence (Arrouays et al. 2002 ; Dupouey & Pignard 1999; Lousteau et al. 2004 ; Pellerin et al, 2013) et établissent l’état de l’art sur le stockage de carbone dans sols (principalement sols agricoles et forestiers).

Valeurs par défaut disponibles

Des valeurs par défaut de stocks de carbone par type d’occupation du sol sont disponibles à des échelles de grandes régions (Steffen et al, 1998 ; Giec, 2006). Elles permettent de donner des ordres de grandeur, notamment pour les pays qui ne disposent pas de réseaux de mesures systématiques.

Valeurs utilisées en France pour les stocks de carbone des sols

Rusco et al. (2001) ont montré qu’en Europe, les valeurs de carbone des sols sont très hétérogènes et ne sont pas comparables entre elles. Un travail d’harmonisation est nécessaire, en lien avec le travail d’harmonisation des inventaires nationaux, tant pour les valeurs carbone, les données de biomasse forestière (inventaires forestiers nationaux), que les données de changements d’occupation du sol (enquêtes de terrain et données cartographiques). Cette situation a, depuis, peu évolué.

La France bénéficie de données systématiques sur l’ensemble du territoire ; notamment via le Réseau de Mesure de la Qualité des Sols (RMQS). Compte tenu des données disponibles et de l’expertise accumulée en France sur ces questions, on ne peut appliquer directement au territoire français des données par défaut (du Giec) mesurées ou estimées dans des conditions agronomiques pédologiques et climatiques très différentes. Les stocks de carbone à l’hectare utilisés dans l’inventaire français, notamment pour les boisements et les défrichements, sont fournis par l’Inra d’Orléans à un niveau régional. Ils proviennent du RMQS qui repose sur le suivi de 2200 sites répartis uniformément sur le territoire français, selon une maille carrée de 16 km de côté. Pour les zones artificielles et les autres terres, le RMQS ne fournit pas de valeur de stock de carbone, ce stock n’est donc pas déterminé pour les autres terres et estimé de manière simplifié pour les zones urbanisées en considérant que le stock de carbone des zones urbanisées est moitié moindre de celui des prairies qui correspond au stock de carbone maximum (zones humides exclues). Ce réseau de mesure constitue à ce jour la source la plus précise et couvrant de la façon la plus homogène l’ensemble du territoire pour l’estimation des stocks de carbone dans les sols de France. Les stocks les plus faibles se situent dans les sols peu profonds et caillouteux des grandes zones viticoles (vallées de la Saône et du Rhône, Bordelais, Languedoc-Roussillon) (15 à 40t/ha) ; dans les régions de culture intensive (Nord, Picardie, Bassin parisien, Beauce, Sud-Ouest) (40 à 50t/ha) ; les stocks les plus élevés se situent en régions forestières (par ex. Lorraine), bocagères (ex : Bretagne, Normandie) et dans les massifs de moyenne et haute

montagne (Ardennes, Jura, Pyrénées, Alpes et Massif central). Les valeurs les plus hautes concernent des zones humides (sols tourbeux, par exemple dans le Jura). La méta-analyse d’Arrouays et al. 2002 fournit des moyennes établies d’après la littérature pour des catégories similaires et permet de les comparer au RMQS (voir tableau ci-dessous).

Tableau 2.1 Comparaisons des stocks dans les sols d’après deux sources RMQS/ InfoSol Arrouays et al. 2002

Catégorie d’occupation tC /ha (médiane)

Catégorie d’occupation tC /ha (moyenne) Forêt 75 Feuillus 66,5 Résineux 66 Mixte 69 Prairie 78 Lande 59 Prairie 68,5 Pelouse 94 Occupation complexe 67

Culture 49 Terre arable 43

Vignes 39

Vignes et vergers 32

Vergers 44

Zone humide 125 Zone humide 94,5

Artificiel 39 n.d. -

Source : RMQS (Infosol, 2015), médianes des stocks régionaux ; et Arrouays al 2002, moyennes pour la France (voir leurs sources pages 71-72). Les stocks de carbone organique des sols (0 à 30 cm) correspondent à des moyennes mesurées, ne sont pas à l’équilibre.

Fig.2.5 Variation des stocks de carbone régionaux du RMQS

La variabilité des valeurs est liée, d’une part, à l’absence de mesure sur le long terme, et, d’autre part, à l’importance d’autres variables explicatives que l’occupation du sol (conditions pédoclimatiques, gestion, etc. (Arrouays et al, 2002).

Prélèvement d’échantillons de sol dans le cadre de l’enquête LUCAS

Au cours de l’enquête LUCAS 2009, certains points d’échantillonnage sont sélectionnés (en fonction du pays, de l’occupation du sol, de la pente, de l’altitude…) pour y prélever des échantillons de sol sur

l’horizon 0-20cm (Toth, et al. 2013). En France, 2952 points (sur 32329 points visités au total) ont été sélectionnés, dont 1613 en cultures, 380 en Foret, 830 en prairies et 53 en landes. Ces échantillons ont été analysés pour déterminer différents paramètres physico-chimiques, dont le taux de carbone organique dans le sol en g/kg (fig. 2.6).

Fig. 2.6 Taux de carbone organique du sol d’après l’enquête LUCAS

Plusieurs limites sont à souligner : d’une part, le plan d’échantillonnage a été prévu pour être représentatif des différents types d’occupation des terres, et non des différents types de sols. En outre, certaines catégories sont sous-représentées (zones humides, zones urbaines, sols organiques) et les points au dessus de 100m ne font pas l’objet de prélèvement de sol. En fin de compte, 43% des échantillons européens ont été prélevés en cultures (alors que la surface correspondante ne représente que 34% des sols européens). Une étude a été menée par le Centre européen de recherche (JRC) afin de déterminer les stocks de carbone à partir de ces taux de carbone organique et d’autres paramètres (notamment la densité apparente) obtenus via d’autres travaux : cela donne, en France, un stock moyen de carbone organique de 28g/kg (toute occupation du sol confondue), avec un écart-type de 11g/kg, ces valeurs étant purement indicatives au vu de la diversité de contextes (Toth, et al. 2013). En l’état, les points d’échantillonnage ne peuvent être utilisés tels quels en complément du RMQS par le Citepa.

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