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L’impact de la représentation de l’espace dans les données d’occupation du sol Une attention davantage portée à la composition qu’à la configuration.

Une part de l’incertitude est engendrée par la façon de considérer l’espace, à savoir un découpage en surfaces, en catégories discrètes, en mosaïque, sur le modèle des cartes catégorielles (choroplèthes) en polygones adjacents, qu’ils soient perçus en tant que polygones (approche spatiale dite ‘wall-to-wall’) ou reconstruits théoriquement par extrapolation des surfaces à partir de points représentatifs (approche échantillonnée). Cette simplification du paysage hétérogène et complexe en classes discrètes entraine forcément différences de vues (Fuller, et al. 1998), allant à l’encontre de la perception d’un espace continu, où les limites ne sont pas toujours claires à établir entre deux états. On propose ainsi de différencier deux approches : l’approche discontinue de l’espace (permettant de prendre en compte la variabilité thématique en identifiant les limites nettes entre zones relativement homogènes), plus intuitive ; et l’approche continue de l’espace avec des analyses de données au niveau d’un point et non d’une surface. Reste à savoir si le regard le plus juste à porter sur les dynamiques territoriales est un regard mathématique (Slak, 1998). Or la composition est une simplification du territoire vu comme un ensemble de zones homogènes séparées les unes des autres. Cette approche a des conséquences directes sur l’évaluation des méthodes d’estimation des changements. Stratifier, c'est-à-dire découper l’univers d’étude en sous-ensembles homogènes, relève d'une transformation de cet objet d'étude pour qu'il corresponde à cette grille de lecture. En effet, classer en unités homogènes part du principe qu'il n'y a pas d'unités hétérogènes. Les objets mixtes, c'est-à-dire appartenant de fait à plusieurs catégories, doivent être - de droit - reclassées. (Duhamel, 2009) distingue ainsi deux formes de problèmes qui se posent avec la stratification du territoire: la juxtaposition et la superposition. La superposition spatiale, c’est-à-dire la présence de plusieurs objets au même endroit et de plusieurs occupations du sol possibles, sera traitée avec l’incertitude thématique (section 3.3.2). En appliquant ce cadre conceptuel à notre perspective, il semblerait d’abord que seule la composition des territoires soit l’objet d’analyse. En réalité, la nécessité de comprendre les logiques spatio-temporelles des changements d’occupation des terres va nous amener à tenir compte de la configuration. En effet, seule la configuration des surfaces pourra expliquer les effets de seuils de détection, les effets de voisinage, la difficulté de suivre certains changements de composition précisément par leur configuration particulière. On peut avoir un paysage avec la même composition mais de configuration très différente, et inversement. Or Mimet et al (2016) montrent que le changement paysager peut être principalement l’effet de variations de la configuration, et non de la composition.

Continu et discontinu

Question classique en géographie (Alexandre et Génin, 2008), la question du continu et du discontinu, et donc des frontières, a d’abord été traitée sous l’angle biogéographique. Dans ce domaine, là où il est possible de se concentrer sur des zones homogènes ou au contraire d’analyser le tapis végétal comme un continuum, une position de synthèse a été proposée en France : le continuum à facettes1 (Godron, 1967). « Les modèles purement continuistes ou discontinuistes ne décrivent ainsi que partiellement la réalité, le continuum absolu à variation linéaire n’ayant pas (…) de réalité concrète (…). La notion de continuum à facettes est suffisamment réaliste pour éviter tout a priori qui obligerait à faire “entrer” de force la végétation, dans un modèle d’organisation spatiale prédéfini. » (Godron et Andrieu, 2008, p 170).

Le modèle de paysage-mosaïque pose d’emblée la question des délimitations, des lisières et des zones de transitions. L’idée de carte d’occupation du sol implique généralement celle de limites claires, avec un fort degré de dissimilarité entre deux classes différentes et adjacentes, au point où la ligne de

1Les “facettes” désignent les espaces où l’homogénéité est forte et les “transitions entre les facettes” désignent les espaces où l’hétérogénéité est maximale.

séparation pourrait être digitalisée sans hésitation. Or la cartographie de l’occupation du sol peut aussi bien induire une approche inversée où l’occupation du sol est associée à des points, autour desquels s’étendent des zones définies par un fort degré de similarité interne, sans que l’espace de séparation entre deux classes soit net mais plutôt progressif. Cette seconde approche permet d’être plus près de la complexité des formes réelles (voir fig. 3.9). L’incertitude liée à la délimitation de deux classes peut avoir plusieurs facteurs : soit la frontière est réellement floue ; soit la différence entre attributs (qualitatifs ou quantitatifs) est faible entre les deux espaces ; soit les deux espaces sont hétérogènes (De Groeve et Lowell, 2001). Certains espaces en particuliers présentent de telles configurations : l’interface urbain/naturel par exemple présente un parfois continuum entre pelouses et espaces à strates herbacées, entre parcs urbains et forêts périurbaines, et des zones de transitions floues (Jouy-Wissocq, 2011).

Fig. 3.9. Hétérogénéité de la configuration paysagère

Le terrain peut présenter des formes d’hétérogénéité graduées ou bien discrètes : une même approche de segmentation spatiale présentera une incertitude différenciée selon ces configurations paysagères (Kuechler et Zonneveld, 1988). Selon l’échelle d’observation, et donc selon l’unité minimale détectée, apparaitront différents effets de ruptures et de continuité.

Frontières floues, matérialisation et cartographie de l’incertitude.

Ces frontières floues peuvent se matérialiser comme l’ensemble des frontières possibles, par exemple lorsque plusieurs opérateurs sont amenés à digitaliser le même espace et que leurs polygones sont superposés. De Groeve et al. (1999) proposent une représentation de l’incertitude spatiale par superposition des limites faisant apparaitre les polygones les plus sûrs (Super ground truth en opposition au ground truth) quand il s’agit d’évaluer l’exactitude d’une carte. Cette littérature permet de passer de l’idée de polygones fixes à des espaces flous (« fuzzy ») où la largeur de la frontière est appelée « bande epsilon »1 (Edwards, 1994), ou bien où cette largeur correspond à des « scories », c’est-à-dire les zones restantes quand deux polygones représentant un même espace ne se superposent pas exactement. Un indicateur pour l’évaluation de la qualité spatiale utilise les frontières entre catégories en comparant les frontières traversées sur le terrain par un transect et celles sur la carte (Skidmore et Turner, 1992). Dès lors, la cartographie des limites relève d’un choix, d’un compromis entre plusieurs possibilités. Il est cependant nécessaire de conserver une cohérence temporelle dans le dessin de ces limites, tant pour éviter la détection de faux changements (Gerard et al, 2010 ; Nastran et Kulovec, 2014) que pour ne pas prendre en compte de nouveaux critères ignorés précédemment.

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Figure 3.10 : La délimitation des zones floues : seuils perceptifs et zones de recouvrement

Escher, Métamorphose, gravure sur bois (1939-40) Ce type d’image illustre parfaitement les ensembles flous qu’on peut représenter sous la forme de courbes d’appartenance à une classe, dessinant (en gris) les espaces d’incertitude thématique.

Figure 3.11. Typologie des effets de frontières

Nous proposons cette typologie simple construite selon deux gradients : l’axe horizontal faisant varier la résolution et l’axe verticale la complexité de la structure changer ordre c a b, avec a1 moins droit et A2 plus courbé encore.

L’unité minimale et l’unité de référence.

La question de l’unité de référence rejoint deux questions : celle de la maille fondamentale et celle de l'unité minimale détectée, correspondant généralement à l’idée de résolution spatiale et à celle de granularité. La maille fondamentale est un concept utile pour l'interprétation du territoire en tant que maillage de parcelles ayant un sens (d’usage principalement). L'unité minimale cartographiée (UMC ou MMU pour minimal mapping unit, Di Gregorio et Jansen, 1998) relève plutôt d'un questionnement technique sur les capacités d'observation du territoire. Il s'agit alors de définir quelle est la plus petite unité détectée par un dispositif d'observation, soit la résolution, ou, concrètement pour les dispositifs numériques, du pixel. En termes d'interprétation, la maille fondamentale peut varier en fonction des usages: pour la culture, c’est la parcelle; pour l’artificiel, c’est le bâtiment; pour la forêt, c’est le groupement d’arbre (mais l’arbre pour l’œil). L’objectif associé aux systèmes de suivi en terme de précision spatiale – qui se situe en dessous de l’hectare, car c’est à cette échelle spatiale qu’ont lieu la plupart des changements anthropiques (Townshend et Justice, 1988) – correspond donc à une maille fondamentale présupposée. En revanche, l'unité minimale de détection, elle, est habituellement fixe. Il existe des systèmes (certains produits d’occupation du ool régionaux, la base Urban Atlas…) où cette unité minimale est différenciée (en fonction des réalités physiques, ou en

fonction de l’importance de la classe). Ceci entraine un biais car on présuppose la taille du changement en fonction du type de conversion, et l’on va suivre ce qui correspond à cet attendu et peut-être manquer une dynamique inattendue. Dans tous les cas, reste le bruit paysager, ce qui est hors unité minimale, et qui ont tendance à ne pas être pris en compte avec cette grille de lecture surfacique : les éléments linéaires et ponctuels. Or tant les dispositifs techniques que les observations directes sont dépendantes de l'intérêt porté aux unités qui composent le territoire, et qui ne sont pas en elles-mêmes d'ordre surfacique, linéaire ou ponctuel: elles sont les trois à la fois. La taille du « grain » spatial ainsi que l’étendue de la zone étudiée (voir paragraphe suivant) constituent les dimensions de l’incertitude spatiale les plus généralement citées (Turner, et al. 1898 ; Lam et Quatrochi 1992). L’interprétation des changements d’occupation du sol doit prendre en compte la bonne échelle paysagère associée à l’UMC retenue, au risque de commettre des erreurs importantes d’observation. Par exemple, un système avec un UMC grossier ne sera pas pertinent pour suivre le phénomène de l’étalement urbain (Pacheco et Gutiérrez, 2014) : il le percevra par à-coups, lorsque les seuils seront atteints, alors que le phénomène est régulier dans le temps et que l’émiettement spatial constitue sa caractéristique la plus significative

Jeux d’échelle

Avant tout, la dimension-même de la carte, l’étendue de la zone étudiée, constitue une première contrainte d’échelle qu’il ne faut pas écarter car elle peut limiter de fait l’ampleur des dynamiques observées ou encore la taille maximale des objets (Turner, et al. 1989 ; Saura-Martinez, 2001). L’échelle est un enjeu méthodologique primordial : il est à la base de beaucoup de questionnements quant à la posture à adopter face à la réalité de terrain, face à la temporalité des changements, aux spécifications techniques des outils de suivi, aux données produites.

« Les géographes savent depuis longtemps que ce qui est vrai à une échelle ne l’est pas

forcément à une autre, et qu’en changeant d’échelle on changeait également la nature de l’observation, le problème, le type d’explication et l’outil d’analyse et de représentation » (Racine,

1981, p.141). Turner, et al (1989) ainsi que Burel et Baudry (1999), entre autres, ont ainsi appliqué ce principe au paysage, démontrant qu’en changeant d’échelle d’observation, le motif paysager (sa composition et sa configuration) n’est pas détecté de la même façon : il y a dépendance d’échelle. Il y a une difficulté à lier différents niveaux de détail entre eux sans passer par un « hiatus qui correspond

au brusque changement d’échelle, au passage d’un ordre de grandeur à un autre » (Lacoste, 1980,

p.23). Cette idée a été résumée par le concept de MAUP (Modifiable Areal Unit Problem) (Openshaw, 1984; Wong et Amrhein, 1996; Marceau, 1999; Wu, 2004), question classique mais non résolue. Turner et al. (1989) ont identifié des règles mathématiques pour pouvoir comparer des observations effectuées à des échelles différentes, et ont formalisé les règles sur les rapports entre le changement de taille du grain (résolution) et les proportions des catégories d’occupation des sols. Ainsi, des formes et des processus dépendent de l’échelle à laquelle on les observe : dès les années 1980, ce comportement fractal des structures spatiales a été observé (Goodchild 1980 ; Goodchild et Mark, 1987), la question étant de savoir si ce caractère fractal provient d’une réalité complexe des formes ou bien des caractéristiques mêmes d’observation et de représentation de cette réalité. Les espaces boisés sont ainsi perçus et représentés, selon l’échelle, en tant qu’arbre, groupement d’arbres, bosquet, massif forestier, région forestière… et ces différents niveaux de perception sont aussi valables pour d’autres types d’occupation comme les zones humides (Powers al 2012). L’application de la théorie des fractales et de la relativité d’échelle à la géographie permet de soulver des questions quant à la nature des processus de structuration de l’espace (Forriez, et al. 2010 ; Pumain, 2010). La somme des informations mesurée à une échelle ne peut être extrapolée à une échelle différente (Lam et Quatrochi, 1992) ; l’échelle fine n’est pas forcément la plus pertinente.

Enfin, en termes d’interprétation aussi, l’échelle est primordiale. La difficulté est que l’échelle

micro tend à privilégier l’individu, l’objet; tandis que l’échelle macro tend à privilégier la structure

naturelles du paysage (sol, végétation…); et ceux des sciences sociales du territoire (population, économies, facteurs). Or pour bien saisir les changements d’occupation du sol, à l’interface entre dynamiques d’échelle locale et globale, de court terme et de long terme, une approche multiscalaire est nécessaire (Townshend et al., 2000 ; Bordin, 2006 ; Verburg et al., 2006 ; Cohen et al, 2011). Pour l’occupation du sol, c’est justement l’entre-deux, l’échelle méso, qui est le niveau le plus pertinent (Ruas, 1999).

La généralisation

La règle de généralisation cartographique se définit comme « l’opération qui, par sélection,

schématisation et harmonisation, reconstitue sur une carte la réalité de la surface représentée dans ses traits essentiels en fonction du but de la carte, de son thème, de son échelle et des particularités de la région cartographiée » (Cuenin, 1972). Le problème de la généralisation se pose pour la

représentation de l’information géographique (Ruas, 2004) et son utilisation quantitative (Hangouët, 1998). Pour l’occupation du sol, la généralisation réduit la complexité de la structure spatiale et thématique et génère des erreurs (Bossard, et al. 2000), dans un compromis entre qualité (justesse, précision) et simplicité (lisibilité, pertinence). Beaucoup de procédures d’évaluation de l’exactitude des données ne prennent pas en compte qu’il y a en plus des vraies erreurs des ‘erreurs’ méthodologiques liées à la généralisation. Il est dès lors difficile de décrire statistiquement la qualité de la généralisation à partir du moment où généraliser consiste à faire volontairement des erreurs. Effets de seuil

Fixer une unité minimale cartographiée est nécessaire, or ce choix entraine forcément un effet de seuil : en dessous, non détecté, en dessus, détecté. Plusieurs scénarios sont possible où l’occupation du sol et les changements sont sous-estimés ou surestimés en raison des effets de seuil.

Figure 3.12. Effet de seuil et surestimation d’un changement

Dans cet exemple, repris de Cuniberti et al. (2005) l’UMC est de 1ha et le critère de continuité du bâti de 100m. L’apparition d’un seul corps de bâtiment l’année N+1 entraine une continuité de bâti entre la zone bâtie déjà repérée et la zone de bâti non repérée car en dessous du seuil de détection. Un changement minime de la topographie entraine un changement important, et surestimé, d’occupation du sol (Cuniberti, et al. 2005).

Cela soulève un problème crucial : si on baisse ce seuil, l’UMC devient égale à taille du batiment et ce n’est plus une carte d’occupation du sol mais carte topographique. L’occupation du sol repose sur la généralisation. Il convient de bien choisir les seuils (UMC, critère de continuité) les plus pertinents (Cuniberti (2005), propose pour l’artificialisation un UMC de 0.5 ha et un seuil de continité de 100 m).

Les formes

La cartographie de l’occupation du sol soulève la question des formes détectées qui apparaissent en fonction des seuils spatiaux : s’agit-il de l’émergence de forme comme artefact méthodologique, ou détection d’une véritable morphogenèse dans le paysage ? La cartographie de l’occupation du sol entraîne d’elle-même la création de formes pertinentes au regard des règles choisies de classification et des limitations techniques du système d’observation. Ces formes sont certes détectées, mais ont-elle pour autant une signification vis-à-vis du fonctionnement du paysage ? La segmentation des strates paysagères a plus de sens avec une approche orientée-objet qu’une simple approche pixellique, mais pour se rapprocher davantage du sens fonctionnel des formes, Foltête (2004) propose une approche de détection prenant en compte le contenu spectral des tâches, leur taille et leur forme, ainsi que leur contexte afin de leur attribuer un comportement fonctionnel probable. Compte tenu de cette variation spatiale des formes, le contour des polygones est incertain. Dès lors, il faut s’assurer de la cohérence temporelle du dessin du parcellaire surtout lorsqu’on souhaite appliquer des méthodes basées sur une partition constante du territoire (Bordin, 2006).

3.3.3 L’incertitude liée à la résolution thématique

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